En politique, la désignation de l’ennemi est primordiale. C’est ce que le Président de la République avait heureusement rappelé au Secrétaire Général de l’Otan lors de sa visite à Paris. L’humanisme des démocraties décadentes répugne cependant à cette désignation même quand il ne manque pas de se désigner lui-même, comme l’islamisme le fait avec insistance. Le président de la république, lui-même, n’est pas très clair à ce sujet. Il se veut l’incarnation du progressisme et pointe les régimes autoritaires conservateurs comme étant les adversaires ou au moins les obstacles. Sans doute pourrait-on lui accorder que si les pays conservateurs sont pour lui des adversaires politiques, l’ennemi militaire est objectivement le terrorisme, et comme il l’a précisé dans sa conférence avec Trump, le terrorisme islamique. Mais cette réponse est pour le moins insuffisante.
L’OTAN est une machine de guerre qui fonde sa puissance sur l’interopérabilité des moyens humains et matériels qu’elle réunit. Mais cette force n’a d’intérêt que si elle vise un objectif précis et se déploie dans une stratégie cohérente. Depuis, l’effondrement de l’empire soviétique, et la disparition de l’affrontement entre les deux blocs qui s’étaient apparemment engagés en 1945 dans une lutte à mort, les Etats-Unis n’ont plus le même intérêt vital dans l’organisation de l’Atlantique Nord et dans son financement. L’Otan est donc devenue un moyen dont la finalité est incertaine. D’une certaine manière, elle se survit à elle-même en poursuivant l’ombre de l’ennemi disparu, l’URSS réduite à la Russie. Or, ce pays n’est plus le foyer d’une idéologie expansionniste qui menaçait tout l’Occident et plus généralement le monde capitaliste. Il est au contraire redevenu un Etat qui défend ses intérêts nationaux, ceux d’une nation parmi les plus puissantes du monde, dotée du territoire le plus vaste de la planète. La perte de républiques devenues indépendantes alors qu’elles étaient de vieilles provinces russes, l’avancée de l’OTAN à ses frontières, les troubles en Ukraine et en Géorgie qui aspirent à intégrer l’organisation militaire occidentale comme la plupart des anciens satellites européens l’ont déjà fait, la montée en puissance de la Chine, placent la Russie dans une situation de citadelle assiégée victime de sanctions économiques injustifiées. La politique habile du Président Poutine qui était loin d’être anti-occidentale au début ne s’explique que par sa volonté de desserrer l’étau. Il l’a fait en récupérant la Crimée, évidemment russe, en soutenant des séparatismes chez les anciens membres de l’URSS , tentés de rejoindre l’Otan. Il a mené en Syrie la politique la plus intelligente qui lui a permis d’une part de sauvegarder les bases russes dans ce pays, mais surtout de retrouver une position de premier plan sur la scène internationale puisqu’il est le seul à parler à tous les acteurs étatiques engagés dans cette tragédie. Par ailleurs, la Russie qui incarne désormais le conservatisme politique, culturel, voire religieux, dont la gestion n’est plus socialiste, poursuit son soutien à des pays qui le sont encore mais sont surtout des ennemis des Etats-Unis en Amérique latine. Cette stratégie est cohérente, réaliste et dénuée d’idéologie. C’est la réponse du berger à la bergère.
Le véritable problème, c’est que la bergère, elle, n’a pas une stratégie claire, que l’OTAN a de multiples cibles parce que ses membres ont des intérêts divergents. Le Président français considère à juste titre que la relation conflictuelle avec la Russie doit être dénouée. Mais le Président Trump lui rappelle que c’est l’Iran qui pose aujourd’hui le plus gros problème. Manifestement, pour M.Macron, c’est la Turquie qui, elle, est membre de l’Otan. Or, la Turquie qui a acheté des missiles à la Russie, qui s’entend avec elle en Syrie, qui considère que les alliés objectifs des Occidentaux contre l’Etat islamique, les Kurdes des FDS, sont eux aussi des terroristes, demeure un partenaire stratégique de premier plan pour les Etats-Unis qui y possèdent une base importante à Incirlik. Le Président turc, Recep Tayyip Erdogan, pour rallier ses « partenaires » à sa définition du terrorisme n’hésite pas à recourir au chantage avec deux menaces explicites : bloquer le plan de défense de la Pologne et des Etats baltes, faciliter le départ des migrants de la Turquie vers l’Europe. Et à travers la première menace, on retrouve une divergence essentielle entre les voisins immédiats de la Russie dont la mémoire est chargée de crainte et de rancune, et la France qui n’a aucune raison objective de se défier de Moscou.
Si on résume, Donald Trump comme Thatcher naguère veut d’abord « récupérer sa monnaie », et avoir le soutien de ses alliés contre l’Iran, et aussi sur un plan plus économique face à la Chine. Comme ses prédécesseurs, les guerres entre musulmans ne l’intéressent guère, et il n’est pas question de contrer la Turquie, dont l’action néfaste dans l’ex-Yougoslavie, en Syrie, en Libye est cependant claire. Ce dernier point aurait pu être abordé par le Président français : les 13 soldats morts au Mali montrent que l’ennemi prioritaire est bien l’islamisme. La partition actuelle de la Libye, et l’impuissance du gouvernement de Tripoli reconnu par l’ONU, sont une cause essentielle de l’impossibilité d’en finir avec le djihadisme dans le Sahel. Or c’est une fois encore la Turquie qui empêche le Maréchal Haftar de rétablir l’unité libyenne et de sécuriser le pays. Ce n’est pas par hasard que la France a renoncé à livrer six bateaux à Tripoli pour la surveillance des côtes. (à suivre)