Quelle surprise ! Après des mois de ce silence compact que certains pouvaient même qualifier (à bon droit) de suspect, Bercy et le gouvernement se réveillent au sujet du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu : il semble bien qu’en fait, tous calculs faits de guingois, ce n’est pas exactement aussi facile que prévu à mettre en place. Oups.
On apprend en effet par différentes sources que les essais menés par la Direction générale des finances publiques aboutissent à de nombreux problèmes : entre les contribuables qui seraient potentiellement prélevés plusieurs fois et les mélanges baveux entre homonymes, les logiciels de traitement de ce prélèvement à la source sont tout sauf au point. Pire : d’un essai à l’autre, les problèmes rencontrés varient, disparaissent pour réapparaître en force, s’aggravent ou s’étendent sans que les troupes d’informaticiens au chevet du malade ne semblent pouvoir y mettre bon ordre.
Selon une note que Le Parisien s’est procurée, c’est globalement désastreux : si le prélèvement à la source est mis en place le premier janvier prochain, ce sera une catastrophe industrielle majeure en France.
Au passage, on admirera la belle cohérence d’ensemble du gouvernement qui, depuis une semaine, ne sait plus sur quel pied danser et quels mots-clés adopter pour tenter d’enfumer les contribuables : oui, oui, c’est garanti, la réforme du prélèvement à la source se fera parce que le Président Macron l’a décidée, voyons ! Mais il y a simplement des petits soucis qui font qu’on va s’ajuster, ou pas, et puis tout ira très bien mais serrez les fesses à tout hasard.
En réalité, l’ampleur des problèmes techniques est telle que l’Exécutif est, progressivement, obligé de se ranger à l’évidence : tout ceci va très mal se terminer. Mis à part quelques rigolos pour douter de ces problèmes et qui mettent les tergiversations du gouvernement exclusivement sur le dos de problèmes politiques, tout le monde commence à comprendre que persister revient à aller droit au casse-pipe.
Était-ce si difficile à imaginer, alors que l’État cumule depuis des décennies les catastrophes informatiques (depuis Louvois jusqu’à l’ONP en passant par Genesis, un logiciel pour la Justice) et s’est jusqu’à présent toujours montré incapable de mener à bien ce genre de projets aboutissant à des dépassements budgétaires énormes, voire un gâchis complet ?
Du reste, dans de précédents billets, je suis assez régulièrement revenu sur les déboires de l’administration face à cette réforme menée n’importe comment. Et s’il est trop tôt pour affirmer que ce prélèvement ne sera pas mis en place – après tout, on n’est jamais à l’abri du pire – il est en revanche à peu près certain que le bilan de l’exercice entrepris sera désastreux.
D’une part, au vu de la façon dont les différentes équipes (techniques, gouvernementales) communiquent actuellement, on ne peut qu’être consterné par la méfiance compacte que nos dirigeants inspirent : loin de donner des gages que tout ira sinon bien, disons au mieux et que le contribuable sera correctement traité pendant la phase de transition, tout indique au contraire un véritable ouragan de problèmes à l’horizon, auxquels s’ajouteront l’incapacité chronique et maintenant démontrée des différentes entités de communiquer entre elles. Entre la Direction générale des finances publiques et le Ministère, on assiste à un dialogue de sourds auxquels s’ajoutent les syndicats et les différentes associations de contribuables et d’entreprises qui sentent déjà l’odeur de la farce dont on les garnit avant le passage au four.
D’autre part, si ce prélèvement est bien mis en place, il y a énormément à parier que les couacs, ratés et autres « bugs » du système coûteront une blinde conséquente à l’État, que ce soit en perte de revenus, en perte de croissance, en remboursements, en traitement post-erreurs et autres paperasseries monstrueuses dont l’administration française a l’habitude. Et s’il n’est pas mis en place, tous les travaux menés jusqu’à présent l’auront été en pure perte, mais certainement pas gratuite. La facture finale promet d’être extrêmement salée.
Quelque part, tout ceci est donc déjà un immense gâchis, notamment parce que le prélèvement à la source est particulièrement pratique. Au-delà de l’explication avancée par Philippe Nemo dans un récent article et qui rappelle qu’un tel prélèvement sera un vrai choc (salutaire ?) pour les Français qui devront constater à quel point l’impôt est lourd en France, ce type de ponction aurait pu être l’occasion de repenser entièrement l’impôt sur le revenu.
Car si la mise en place du prélèvement à la source est un échec, c’est avant tout parce que l’impôt en France est une usine à gaz immonde, percluse de niches, de trous, d’inégalités et d’innombrables traces du corporatisme, du capitalisme de connivence, des petits et gros arrangements de certains avec la taxation nationale. En outre, au contraire de tous les autres pays où le prélèvement à la source est déjà en place, l’impôt français est construit sur la base du foyer fiscal, ce qui rend son individualisation pratiquement impossible en l’état : sauf à revoir de fond en comble la façon dont l’impôt est calculé, la complexité est telle qu’il n’y a aucune chance d’aboutir à un résultat fiable, que ce soit informatiquement ou autrement. L’actuelle débandade en est d’ailleurs l’illustration.
En somme, c’est une belle occasion complètement manquée de refaire un impôt équitable, simple, compréhensible de tous, facile à calculer ; typiquement, un impôt à taux unique (« flat tax ») ou, alternativement, dont le taux est une fonction simple à appliquer sur ses revenus, aurait largement aidé dans cette démarche de prélèvement à la source, et aurait certainement contribué à assainir le foutoir qui sert de finances au pays. Mais en l’état actuel, sans profondément remanier le code des impôts pour en revenir à une notion simple, individualisée, que chaque contribuable pourrait calculer sans l’aide de personne, toute tentative de passer du système actuel à un autre aboutira à des cris, des grincements de dents et des dizaines voire des centaines de milliers de contribuables tabassés par un impôt mal calculé, prélevé plusieurs fois ou sur les mauvais comptes.
Il y a peu de doutes qu’un jour, la France elle aussi passera à l’impôt prélevé à la source : le Léviathan aime trop cette méthode pour l’abandonner. Mais selon toute vraisemblance, cela ne pourra se faire que dans la douleur.
> H16 anime le blog Hashtable.
3 Comments
Comments are closed.