L’impuissance de l’Etat en France, l’impuissance de l’Europe dans le monde peuvent se résumer en seul mot : Calais. Le nom de cette ville, qui est le port de transit terrestre et maritime principal pour le Royaume-Uni, symbolise à lui seul l’incapacité des Etats européens, et de la France en particulier, de maîtriser les flux migratoires sur leur territoire, d’empêcher l’immigration illégale, et d’assurer la sécurité, en l’occurrence des habitants et des transporteurs. L’Europe fait payer à ses ressortissants l’irresponsabilité de ses dirigeants qui ont laissé s’installer le chaos, quand ils ne l’ont pas créé, au sud et à l’est de la méditerranée. Des migrants fuient les zones de combat d’Erythrée, de Somalie, du Soudan et peuvent pour le plus grand profit des nouveaux marchands d’esclaves, les passeurs, traverser la Libye puis la Méditerranée. La traversée est assurée sur des embarcations de fortune surchargées dont certaines disparaissent en mer en provoquant des centaines de noyés, 3000 depuis janvier. Les autres sont récupérées par la marine italienne et les Garde-côtes qui disent avoir sauvé 6500 personnes en quatre jours. L’Italie n’est pas leur destination. Beaucoup se dirigent vers la frontière française, puis vers Calais pour retrouver des membres de leur famille ou de leur clan en Grande-Bretagne. D’autres viennent par la Turquie et la Grèce, du Pakistan et d’Afghanistan, en profitant de l’émotion créée par la guerre en Syrie, et en répondant à l’appel irresponsable de Mme Merkel. Pour certains d’entre-eux aussi, l’Angleterre, avec laquelle ils ont plus de liens, est l’objectif. Celui-ci n’est pas tant d’échapper à la violence que de trouver des conditions de vie très supérieures à celles de leurs pays d’origine.
L’Angleterre est une île qui a toujours bénéficié de son insularité géographique et a souvent cultivé une insularité politique. Inviolée depuis 1066, elle a su habilement s’opposer à toutes les entreprises de domination du continent, et a développé un étonnant mélange d’originalité et d’ouverture sur le monde. Elle doit sa réussite économique actuelle à un libéralisme décomplexé qui met son taux de chômage à 4,9%. Elle vient de choisir de quitter l’Union Européenne, mais elle n’appartenait déjà ni à l’Euroland, ni à l’Espace Schengen. Sa souveraineté maintenue lui permettait donc de sélectionner ceux qui pouvaient franchir des frontières plus faciles à défendre que d’autres. Si l’arrivée d’étrangers s’est révélée trois fois plus importante qu’en France et a atteint des records, il s’agit surtout d’immigrants européens attirés par le marché de l’emploi. Les clandestins africains et asiatiques restent en France alors que beaucoup souhaitent franchir la Manche. Mais la France qui ne connaît pas la prospérité britannique, fait partie de Schengen et ne contrôle pas ses frontières. C’est une passoire à l’entrée qui se termine par un mur à la sortie, à Calais. Londres et Paris se sont entendus lors des accords du Touquet en 2003 pour une gestion commune du problème.. sur le territoire français. Depuis, les Anglais ont voté le brexit sans doute en partie à cause du trop grand nombre d’étrangers, souvent européens, présents en Grande-Bretagne, et la France a fait la démonstration de la stupidité de ses dirigeants qui depuis le début du siècle font face sans succès à l’afflux d’immigrants clandestins non-européens.
Devant les risques que présentaient pour la sécurité du tunnel, les migrants venus en grande partie des Balkans à la fin des années 1990, le gouvernement Jospin, en 1999, avait ouvert à Sangatte un Centre d’accueil, confié à la Croix Rouge. 1600 clandestins s’entassaient dans ce hangar qui a vu passer 70 000 personnes en trois ans. Nicolas Sarkozy avait, dès son arrivée au Ministère de l’Intérieur, fait un « coup » dont il est coutumier. Il avait fermé Sangatte, et je l’avais applaudi à l’époque, croyant qu’il y aurait un suivi. Petit à petit, la route étant toujours la même et toujours aussi libre, le flux s’est reconstitué. Désormais, à Calais, il y avait la « jungle », avec ses campements improvisés, ses luttes ethniques, et ses débordements sur la tranquillité des riverains. Sarkozy Président, c’est Eric Besson qui se chargea donc de faire disparaître cette présence importune en faisant raser le camp. C’était en 2009. Puis Hollande est arrivé, le désordre international s’est étendu, notamment à la suite de l’intervention calamiteuse de son prédécesseur en Libye et de sa propre politique au Moyen-Orient. La gauche est idéologiquement favorable à l’immigration. Les deux facteurs ont agi de concert pour amplifier le phénomène qui atteint des proportions inégalées. Le gouvernement, le Ministre Cazeneuve notamment, ressemblent de plus en plus aux occupants d’une barque dont la coque est percée. Ils vident l’eau sans boucher le trou. Entre Avril et Août 2014, le nombre des immigrés illégaux est multiplié par 7, passant de 400 à 3000. Les violences entre groupes ethniques dégénèrent. Les habitants sont victimes de déprédations et d’agressions. Ils ne se sentent plus chez eux, dans leur pays. Alors, le gouvernement, incapable de faire régner l’ordre, de remplir sa première mission, va piteusement reproduire le scénario : démantèlement progressif de la nouvelle « jungle », au sud puis au nord, dispersion des clandestins vers des Centres d’Accueil et d’Orientation (2000 places) et vers des Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (6000), création d’un nouveau « Sangatte » en Janvier 2016, le Centre Jules Ferry capable d’héberger 1500 clandestins. Le gouvernement ne maîtrise évidemment ni les flux, ni la situation, et encore moins les chiffres. Depuis Octobre, 5528 migrants ont déjà été accueillis dans 161 CAO. 10 000 nouvelles places ont été créées depuis 2012. La masse des clandestins de la jungle calaisienne est estimée à 6900. Selon les associations qui participent généreusement à ce désastre, ils seraient 10 000 et plus. Ils ont leurs « commerces ». Les juges ont suspendu l’arrêté qui les fermait d’autorité. Quoi d’étonnant que la jungle ait sa loi, dans cette curieuse démocratie où l’Etat est impuissant à protéger sa propre population en faisant respecter sa loi ?
Les Calaisiens n’en peuvent plus. Qu’au moins leur calvaire serve de leçon. Il n’y a pas de démocratie lorsqu’un Etat n’est plus souverain et qu’il ne parvient plus à faire respecter les droits fondamentaux de ses citoyens sous prétexte d’obéissance à des traités avec l’étranger ou de soumission à des textes internationaux. Un Etat démocratique doit être maître de ses frontières, et son peuple l’unique source de ses lois que ses juges doivent se contenter d’appliquer. Qu’il y ait des droits de l’Homme qui protègent de l’oppression ne légitime en rien le passage en force des limites d’un pays, mais seulement le droit pour des demandeurs d’asile sérieux de demander l’accueil dans un pays où ils n’ont pas pénétré par effraction.