par Jacques Garello*
Son élection à la tête du FMI a été saluée comme une grande victoire de l’Europe et de la France. La réaction est curieuse puisque par définition le Fonds Monétaire étant International, les intérêts d’une nation ou d’une aire économique n’ont pas à être pris en considération. Mais après tout les dirigeants européens se disent peut-être que cette nomination est une consolation de nature à faire oublier les échecs économiques cuisants de la France, de l’Euroland, et de tous les pays de l’OCDE endettés et stationnaires.
Les compétences économiques de Madame Lagarde ne sont pas évidentes. Soumise sans doute à la mauvaise influence des beaux esprits de Bercy, elle n’a cessé d’accumuler déclarations et intentions de peu de valeur aux yeux d’un économiste, fût-il moyen. Elle a vu très souvent les indicateurs au vert, alors qu’ils étaient au rouge : simple daltonisme. Elle a réagi avec énergie aux hausses du carburant, des prix alimentaires et des loyers : il n’y a qu’à les bloquer. Enfin et surtout, elle a été la grande prêtresse de la « rilance », un oxymore qu’elle a lancé sur la place publique il y a un an : ri pour rigueur, et lance pour relance. Un mélange de Reagan et d’Obama : comprenne qui pourra. Vous appuyez en même temps sur le frein et l’accélérateur…
Cette dernière illusion va-t-elle avoir une influence sur les orientations du FMI ? D’une part le directeur du FMI, fût-il DSK, n’a pas les pleins pouvoirs, il est entouré d’experts, d’obédiences diverses d’ailleurs. Il y a les « relanceurs », style Olivier Blanchard, pur produit de l’école française dirigiste et keynésienne, il y a les rigoristes, héritiers de Friedman. Ceux-ci ont inspiré les mesures disciplinaires à l’égard des pays qui se trouvaient endettés, surtout parmi les plus pauvres : le FMI depuis vingt ans passe pour un « redresseur de torts ». Mais il n’y a là que simple bon sens : la fourmi veut bien prêter à la cigale si elle s’arrête de chanter. Voilà pourquoi, en dépit de DSK, le FMI est critiqué, voire haï, dans beaucoup de pays. Madame Lagarde va-t-elle faire basculer le FMI dans le laxisme ? A l’école de Bercy on est bien formé au keynésianisme, avec les effets multiplicateurs qu’il engendre (multiplicateurs de déboires).
Mais, plus fondamentalement, la politique du FMI a-t-elle une influence réelle sur la marche des économies nationales ? Le rôle du FMI est aujourd’hui très incertain. Comme son nom l’indique, il a été conçu comme un fonds de réserve de devises destiné à atténuer les fluctuations sur le marché des changes et à maintenir les diverses devises à leur parité officielle par rapport au dollar : c’est le système inventé à Bretton Woods. Mais Bretton Woods a vécu depuis le 18 août 1971, soit quarante ans : le dollar n’est plus convertible en or, il n’a plus aucun statut international, les parités fixes ont disparu, et l’on est dans un régime de changes libres : la valeur des diverses devises varie chaque jour. Que reste-t-il alors de la mission du FMI ? Pratiquement rien, si ce n’est que le FMI a encore quelques réserves statutaires, constituées par un stock d’or (progressivement vendu) et des dépôts en devises des Etats adhérents. Le FMI peut les engager sous forme de droits de tirage spéciaux. Au total, la capacité de financement du FMI peut être estimée autour de 1 000 milliards de dollars. La tentative de transformer le FMI en une banque centrale mondiale (avec les « droits de tirage spéciaux » pour monnaie) a échoué depuis longtemps. Le FMI est donc davantage apprécié pour les liquidités dont il dispose, et pour les conseils qu’il peut prodiguer en accompagnement de ses quelques prêts, que pour sa puissance sur le marché des changes, qui est pratiquement nulle.
DSK passait pour l’un des hommes les plus puissants du monde. C’était une grossière exagération. Il ne faudrait pas imaginer maintenant que Christine Lagarde soit devenue « la femme la plus puissante du monde ». Sa nomination n’est donc ni une victoire, ni une catastrophe ; simplement un évènement médiatique qui a flatté l’orgueil des Français. Certains y croient.
*Jacques Garello est un économiste libéral français. Il est professeur à l’Université d’Aix-Marseille III et professeur émérite à l’Université Paul Cézanne. Il est président et fondateur du groupe des Nouveaux Economistes en 1978, de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS) en 1982, et de la Génération Libérale en 1998. Il est également membre du Conseil d’administration de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales (IREF).
Cette page a été produite par l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales (IREF).
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