Des pessimistes ne cessent de se plaindre de la dégradation de notre enseignement et du recul du savoir lire et compter. Nos politiciens prouvent le contraire. Ils ont des lettres : quatre, pour être précis ! Quel talent, après des années d’études, de pouvoir résumer toute la politique de notre grand et vieux pays de manière aussi laconique. Le FN avait inventé l’UMPS pour dénoncer le système bipartisan qui voulait l’exclure de la République. Dans un élan de créativité qu’il faut saluer tant il est rare chez elle, l’UMP vient de trouver, après des années de réflexion et de recherches, le FNPS. Le parti des instituteurs, lorsqu’ils n’étaient pas chahutés par les sauvageons, à l’époque de Pagnol, le PS, montre la richesse de son langage en stigmatisant la porosité des électorats de l’UMP et du FN, et en faisant appel au front républicain contre l’extrême droite. Le débat politique se réduit pourtant à un jeu très simple.
Il y a trois grands partis. On pourrait imaginer entre eux une compétition consistant à séduire ou à convaincre les électeurs par des propositions sur l’avenir du pays. Dans un Etat surendetté, enclin à restreindre la dépense publique, la capacité d’action des politiques est faible sauf à promettre le sang, la sueur et les larmes. N’étant pas suicidaires, ils se contentent donc modestement d’autres promesses qui ne seront pas tenues, comme le soupçonnent les électeurs, notamment ceux qui iront à la pêche. Le problème des politiciens n’est pas de résoudre ceux du pays, mais de sauvegarder leur « métier ». Dès lors, les idées ou les projets comptent peu. La politique ne rime plus qu’avec tactique et devient un jeu délectable pour les habiles. Dans un système dominé par l’élection présidentielle, qui ne conserve que deux candidats au second tour, la tactique du PS comme de l’UMP consiste à se retrouver face au FN au second tour. Le calcul est d’une parfaite symétrie : toujours en parler pour qu’il soit premier ou second, mais le dresser en épouvantail pour que choisi par une majorité relative au premier tour, il soit éliminé par une majorité absolue au second.
Cette exception française explique tout. L’UMP a été au pouvoir pendant dix ans d’affilée après la victoire »historique » de Chirac contre Le Pen. Aucune réforme structurelle n’a été mise en oeuvre. Sarkozy a voulu changer de tactique en siphonnant l’électorat frontiste. Il y est parvenu en 2007, mais en décevant ses électeurs par la suite. En 2012, le procédé était émoussé et contesté dans son propre camp. Aujourd’hui qu’il a renoncé à une retraite annoncée qu’on croyait aussi définitive que l’abstinence chez un addictif, il change donc son fusil d’épaule. Il n’est plus nécessaire d’effaroucher les centristes pour séduire les frontistes, car les premiers risquent de lui préférer Juppé et les seconds semblent attachés solidement à Marine. Quant aux électeurs de gauche capables de voter Chirac, il y a du travail pour les amener à glisser dans l’urne un bulletin Sarkozy. Donc, il faut dénoncer la manoeuvre perfide des socialistes. Ce sont eux qui font monter le FN par leurs provocations dans les domaines de la sécurité, de la justice et de l’immigration. Si le PS a intérêt à ce que le FN soit fort et l’UMP faible, le message de Sarkozy aux électeurs de droite est simple comme le billard : ne vous laissez pas duper. Si vous votez FN plutôt qu’UMP, le PS sera présent au second tour et l’emportera. Votez utile ! On ne peut innover davantage !!! Certains se sont étonnés du goût « réchauffé » des propositions récentes de l’ancien Président. En fait, elle sont sans importance. Il suffit de convaincre les électeurs de droite que le seul moyen de battre la gauche est de voter UMP. Savoir si cette victoire conduira à une politique de droite, une réelle nouveauté dans notre pays, est subalterne. Pourquoi effrayer l’électeur avec des réformes pénibles, quand la logique du moindre effort consiste à se trouver devant le perdant à coup sûr au second tour !
Dans ce jeu politique où les idées et les programmes sont devenus superflus, le PS fait exactement le même calcul. Chacun des deux partis sait bien que son bilan n’est guère reluisant, que les majorités ont manqué d’intelligence et plus encore de courage, mais chacun pense avoir toutes ses chances face au FN. Le PS et l’UMP doivent donc se recentrer pour recueillir les électeurs de l’un ou de l’autre au second tour. Quant aux réformes indispensables, elles pourront encore attendre. D’ailleurs, malgré des performances médiocres, la France bénéficie de vents favorables et des efforts des autres. La baisse de l’Euro, celle du pétrole, la faiblesse des taux, la compréhension de la Commission Européenne qui lui accorde un nouveau répit pour rentrer dans les clous sont autant de bonnes nouvelles. Les pays qui ont eu le courage de réformer durement, l’Allemagne qui aligne d’enviables excédents, le Royaume-Uni qui affiche un chômage à 5,6% et le record de croissance du G7 à 2,6%, et même l’Espagne, dont le taux de croissance dépassera en 2015 celui de l’Allemagne, sont certes des concurrents, mais aussi des clients. La France pourrait se dire qu’il y a un « bon dieu »pour les cigales. « Contentons-nous de profiter du vent et ne ramons pas inutilement », murmurent nos courageux politiques !
Le seul grain de sable qui pourrait enrayer le miraculeux engrenage serait que le FN cesse de faire peur à une majorité d’électeurs. Il faudrait pour cela répondre à quatre attentes.
Beaucoup d’électeurs ne croient pas en la possibilité de renoncer à l’Euro ou craignent cette éventualité. L’exemple du Royaume-Uni montre que l’Euro a été une erreur, mais la comparaison de la Grèce et de l’Espagne souligne que l’important est la réforme compétitive et non l’Euro. L’abandon de celui-ci ne pourrait de toute façon se faire que de manière concertée. Ce ne sera donc pas une priorité.
Le PS n’a pas renoncé à la stigmatisation morale d’un parti qui ne serait pas républicain. Usé, l’argument dessert la République que le PS ne mérite pas à force de l’instrumentaliser à des fins partisanes. Cet obstacle-là est en partie écarté.
La crédibilité d’un parti repose sur la faisabilité de ce qu’il propose. Une bataille contre les institutions européennes et nationales appuyé sur la mise en oeuvre du référendum d’initiative populaire sur les questions de sécurité, de justice ou d’immigration pourrait entraîner une adhésion populaire malgré les tensions provoquées. En revanche, la démagogie économique et sociale ne peut que faire fuir les gens sérieux et réalistes.
La profession politique se recrute majoritairement dans les deux autres partis. Il est frappant de constater que la confiance décroit avec l’importance du pouvoir. Elle est forte dans la proximité municipale, très faible pour les parlementaires, et plus encore pour l’exécutif. La possibilité d’un changement radical du personnel politique comme il s’en est produit un en Grèce dans des circonstances politiques beaucoup plus difficiles demande beaucoup d’imagination. C’est sans doute là l’élément décisif.
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