Au soir de la prise de la Bastille le 14 juillet 1789, Louis XVI interroge le duc de La Rochefoucauld : Est-ce une révolte ? Avec beaucoup de perspicacité celui-ci répond : Non, sire, c’est une révolution ! Nul doute que dans les cercles du pouvoir tout le monde aujourd’hui se pose une question analogue. Le mouvement des « gilets jaunes » est-il un simple accès de mauvaise humeur que quelques charges de CRS, un report des hausses de taxes et la promesse de vagues comités de réflexion suffiront à régler ou s’agit-il d’un mouvement de fond qui risque de tout emporter ?
La Révolution française
La convocation des États-Généraux en janvier 1789, préalable aux événements révolutionnaires de l’été a, déjà, une origine fiscale. Il s’agit d’obtenir de cette assemblée la levée de nouveaux impôts afin de combler le déficit budgétaire considérable lié au soutien militaire aux insurgents américains. Pour compléter le tableau l’hiver 1788 a été très rigoureux et les récoltes désastreuses. La famine guette ! Enfin l’autorité royale est sensiblement affaiblie par le discrédit jeté sur le roi, et surtout sur la reine à l’occasion de l’affaire dite du collier, mettant en cause Marie-Antoinette. Rivarol pourra en toute vérité écrire, quelques années plus tard : Quand les peuples cessent d’estimer, ils cessent d’obéir. Enfin, de nombreuses forces aspirent à un changement de régime. Le cousin du roi, Philippe d’Orléans dont la fortune est immense, voudrait être calife à la place du calife. Il est grand maître du Grand Orient de France et bénéficie ainsi de l’appui des réseaux maçonniques. La bourgeoisie aspire à tenir dans la direction du royaume un rôle proportionné à sa montée en puissance économique.
Actualité de la Révolution française
En 2018 beaucoup de « gilets jaunes » sont les lointains descendants de ceux qui exprimèrent leurs griefs et remontrances dans les célèbres cahiers de doléances. Comme eux ils se plaignent du poids des impôts et taxes. En 2017 la pression fiscale en France représente 48,4% du PIB soit le taux le plus élevé d’Europe. Comme eux ils sont en situation matérielle précaire. En 2017 le salaire mensuel net médian est de 1710 € net ; difficile, dans ces conditions, de s’offrir un repas à deux, à 200 € sans le vin, en compagnie de Gérald Darmanin… Quant au taux de chômage il reste stable entre 9 et 10% de la population active. Comme eux ils ont le sentiment que des « privilégiés » ne prennent pas leur part du fardeau commun. Les plans ville et les plans banlieue se succèdent au bénéfice des métropoles urbanisées, au détriment de la France périphérique et de la France rurale. Comme eux ils n’ont plus aucune estime pour les plus hauts représentants de l’État. Macron réalisera, peut-être, un jour le tort considérable que lui ont fait ses photos, à l’Élysée, en compagnie de saltimbanques colorés et dénudés en résilles et soutiens-gorges proclamant fièrement être : fils d’immigrés, noir et pédé. Ne parlons pas du scooter de François Hollande, ni des galipettes de Dominique Strauss-Kahn.
Les trois France
Dans la réalité il existe désormais trois France qui ne se comprennent plus, voire se méprisent et se haïssent. La France qui a élu Emmanuel Macron est celle des gagnants de la mondialisation : cadres, professions libérales, hauts fonctionnaires, élus, journalistes, les fameux CSP+, etc. Elle détient le pouvoir et se sent plus proche de son associé de New-York ou Hong-Kong que du garagiste à proximité de sa maison de campagne dans le Lubéron. Rappelons qu’au premier tour de l’élection présidentielle Macron a obtenu 18% des voix avec une participation de 78% de votants ce qui fait 14% du corps électoral. Ce n’est pas un plébiscite ! Vient ensuite la France dite des quartiers que l’on qualifie de populaires pour ne pas dire allogènes. Ce sont les quartiers dits sensibles, les zones de non droit. C’est la France décrite par Laurent Obertone dans son essai : La France interdite. Eric Macé estime que près de « 20% de la population vivant en France peut être perçue comme non blanche » (Slate 14 janvier 2016). Cette population vit, pour une bonne part, de manière autarcique dans des ghettos ethniques, d’aides sociales diverses. Elle est l’objet des soins constants des pouvoirs publics et des médias qui croient qu’ils achèteront éternellement la paix sociale par la démagogie, la flatterie et toujours plus d’argent déversé sur ces quartiers. Ainsi qui croira que François Hollande se serait précipité pour aller réconforter Théo à l’hôpital, en février 2017, alors qu’il prétendait avoir été violé par un policier s’il avait été routier berrichon ? Qui connaîtrait Mamadou Gassama, Malien naturalisé après avoir sauvé un enfant de 4 ans suspendu dans le vide s’il s’était appelé Anton Drosevic et avait été …serbe ?
Humiliés et offensés
Vient enfin la France des sans-dents (F Hollande), des analphabètes (E Macron), des minables (H Clinton). La France des « Gaulois réfractaires » qui se lève tôt, travaille dur et paie ses impôts. Elle est majoritaire dans le pays mais éprouve cependant un puissant sentiment d’injustice. Elle sait que pour avoir été flashée à 83 km/h au lieu de 80, il lui faudra payer l’amende alors que dans le même temps elle n’entendra plus jamais parler des préjudices qu’elle a subis : vols de portables, effractions de voitures, injures, etc. Ceci explique, au témoignage de plusieurs officiers de gendarmerie départementale, qu’en intervention les gendarmes commencent, désormais, par se faire insulter et agonir d’injures. Elle sait que si elle vote mal, comme lors du référendum de 2005 sur la constitution européenne, le système trouvera le moyen de faire avaliser autrement ce qu’elle avait refusé. Le même phénomène vient de se reproduire, il y a quelques semaines, en Nouvelle-Calédonie. Elle a observé que les millions de manifestants pacifiques de 2013-2014 contre la légalisation du mariage homosexuel n’ont pas fait reculer le pouvoir d’un pouce. Elle est un peu fatiguée du militantisme et de l’arrogance du lobby LGBT. Que des messieurs préfèrent des messieurs et des dames des dames après tout c’est leur problème, pense madame Michu, mais qu’ils prennent tout le monde à témoin de leurs tourments, émois et désirs cela commence à lasser. Elle sait que son nom pourrait demain se retrouver sur le mur des cons du Syndicat de la magistrature et que la loi dite républicaine ne s’applique ni dans les zones de non droit ni chaque fois que se produit un litige avec une communauté gitane. Elle n’a plus aucune confiance dans ses élus, à l’exception sans doute des maires, qui sont perçus, d’abord, comme des permanents politiques et syndicaux rémunérés par la puissance publique. Elle sait que, demain, il n’y aura plus assez de médecins, surtout en zone rurale, parce que depuis Jacques Chirac tous les gouvernements ont fixé un numerus clausus de passages en seconde année de médecine trop faible par rapport aux besoins afin de limiter les dépenses de santé. Moins de médecins, moins de prescriptions, moins de déficit de la Sécurité Sociale. Il suffisait d’y penser ! Qui est responsable ? Sans doute une équipe d’énarques qui trouveront toujours un médecin.
Sortir de la crise
Logiquement un État qui prétend s’occuper de tout est accusé de tout ce qui ne va pas. A ce jour l’Etat français n’assure plus ni la paix sociale ni la justice. On ne peut pas « en même temps » chanter, nuit et jour, les louanges de la Révolution française et affirmer comme Macron de retour d’Argentine : « Aucune cause ne justifie que les forces de l’ordre soient attaquées, que des commerces soient pillés, que des bâtiments publics ou privés soient incendiés ». C’est, une fois de plus ignorer le profond désespoir de beaucoup de nos compatriotes (un agriculteur se suicide tous les deux jours) qui voient dans une violence aveugle le seul moyen de se faire entendre. Les manifestants qui ont mis à sac la préfecture du Puy-en-Velay ont peu de chances d’être des casseurs professionnels. Dans jacquerie numérique, il y a toujours jacquerie. Le régime peut choisir la répression brutale comme ce fut le cas pour la révolte du papier timbré en 1675 en Bretagne. Il peut aussi piéger pour les décrédibiliser les meneurs de la contestation comme ce fut le cas en 1907 avec Marcelin Albert porte-parole des émeutes viticoles dans l’Aude. Un régiment d’infanterie s’était rallié aux « séditieux » ! La difficulté, à ce jour, est que les « gilets jaunes » n’ont pas de représentant reconnu. La démocratie directe, c’est compliqué. De plus personne ne connaît réellement l’état d’esprit des forces de sécurité. Elles appartiennent incontestablement, sociologiquement, à la France qui manifeste, et en partagent les mêmes revendications. Demain elles subiront les mêmes hausses de taxes puis le prélèvement à la source dont personne ne connaît l’impact effectivement opérationnel ni psychologique. Elles sont, après les agriculteurs, la catégorie socio-professionnelle à plus fort taux de suicides. Le principal atout, par défaut, d’Emmanuel Macron est sans doute qu’à ce jour personne ne semble incarner de manière crédible cette révolte sociale et identitaire qu’il faudrait un miracle pour transformer en révolution, voire mieux en contre révolution.
Jean-Pierre Maugendre