En 2006, une guillerette association décidait de s’occuper du sort alors peu enviable des stagiaires en entreprise, dénonçant avec force vociférations l’absence de rémunération pour des stages toujours plus délicats à dénicher. Dans un billet un peu trop long, je prenais note des revendications excitées du petit groupe auto-représentatif, et concluais que cette affaire présageait du pire en terme de développement juridique et social. Las. J’ai eu raison.
J’écrivais en effet qu’une fois le lobbying de cette bruyante association réussi, les entreprises se verraient confrontées à des règles encore plus strictes pour prendre des stagiaires, ce qui provoquerait à la fois une raréfaction de ces stages et des difficultés supplémentaires pour les embauches fermes.
Neuf années se sont écoulées, et on découvre, au détour de ces petits articles de la presse subventionnée, que le dernier volet de la loi de 2014 sur les stages est devenu effectif ce 28 octobre dernier. Très concrètement, cette magnifique loi (réclamée, je le rappelle, à cors et à cris par différentes association dont Génération Précaire) plafonne la part de stagiaires dans les effectifs d’une entreprise et renforce les moyens d’identifier et de sanctionner les abus. Une entreprise de moins de 20 salariés ne pourra ainsi pas prendre plus de trois stagiaires, et pour une entreprise de plus de 20 salariés, l’effectif de stagiaires ne pourra dépasser 15% ramené à l’entier supérieur.
Youpi, donc, notamment de la part de cette fameuse association, frétillante d’aise à l’idée qu’enfin, les entreprises seront un peu plus contraintes dans leur rapport avec le reste de la société :
« C’est une mesure que nous demandons depuis la création de Génération précaire, il y a dix ans. Nous regrettons que le seuil de 10% que nous défendions, et que le gouvernement avait porté auprès des parlementaires lors du vote de la loi, n’ait pas été adopté, mais cela reste une avancée historique. »
On ne sait pas trop ce qui est historique dans l’affaire, si c’est la rapidité avec laquelle le collectif a réussi à conscientiser les députés pour leur faire pondre une telle loi, si c’est le seuil de contrainte imposé, ou si c’est le fait qu’encore une fois, le législateur s’est cru avisé d’intervenir entre des relations interpersonnelles dans lesquelles il avait déjà lourdement agi, provoquant la situation problématique en premier lieu.
Parce qu’en fait, oui, la situation s’est effectivement et largement détériorée depuis les premiers couinements du collectif Génération Précaire, et comme prévu, le stage est devenu une denrée rare et complexe à gérer en entreprise alors qu’il n’en était pas ainsi du tout il y a vingt ou trente ans.
Et de là à conclure que cette situation est devenue progressivement invivable précisément à cause des actions mal dirigées et contre-productives de ce genre de collectif, il n’y aurait qu’un pas à franchir. Je le franchis d’ailleurs d’autant plus facilement que tout se déroule comme prévu.
Encore une fois, un problème, analysé de travers, aura provoqué l’ire d’un groupe de collectivistes à la petite semaine qui, décidant de faire résoudre la difficulté par celui-là même qui en fut le principal responsable, applaudit maintenant à deux mains les mesures mises en place et qui provoqueront une nouvelle brouettée d’ennuis et de vexations, vexations qui entraîneront à leur tour une nouvelle salve de protestations outrées de ces mêmes collectivistes, qui retourneront, le sourcil en bataille, chouiner auprès du même responsable. Le cercle vicieux est amorcé, attendez-vous à de grands moments de n’importe quoi.
Je m’explique.
L’analyse simpliste de nos groupistes précaires est qu’ils se retrouvent devant des entreprises méchantes qui leur offrent de trop rares stages, à la fois pourris et pas rémunérés. L’analyse qui leur bondit au visage et qui sied assez bien à leur bien trop courte réflexion est que ces entreprises font exprès, d’une part parce qu’elles sont méchantes, et d’autre part parce que la loi les autorise à ce genre de débordements. La conclusion, inévitable, est qu’il faut donc réguler tout ça.
Quant à savoir pourquoi, en premier lieu, les entreprises ont ce toupet inouï de proposer des stages non ou mal rémunérés, en trop petite quantité, cela ne leur traverse même pas le crâne (et c’est normal, puisque ces entreprises font exprès parce qu’elles sont méchantes).
Pourtant, la situation n’a pas toujours été aussi catastrophique. Pourtant, il y a vingt ou trente ans, les entreprises n’étaient pas enrobées de ces dizaines d’articles de loi tentant de leur faire comprendre que prendre des stagiaires est une tâche ingrate, pénible, coûteuse, et que le moindre écart leur coûtera chèrement. Pourtant, il y a quelques décennies, les stages n’avaient aucune rémunération obligatoire, et pourtant, les étudiants trouvaient des stages sans problème.
Mais voilà : à mesure qu’on a fait monter le SMIC, les stagiaires sont devenus coûteux. À mesure qu’on a encadré, normé, régulé stages et salariat, chaque jeune en formation est devenu un risque juridique de plus pour l’entreprise. Et de la même façon qu’il a fallu déverser des tombereaux de loi pour encadrer les loyers et les méchants propriétaires et que ces lois ont inexorablement fait grimper les loyers et ont progressivement boutés les locataires les moins riches dans les clapiers les plus éloignés de leurs centres d’intérêts (travail, écoles, crèches, universités), entraînant une hausse stratosphérique du coût de la vie, de la même façon l’augmentation du nombre de lois encadrant les stages et les employeurs a rendu l’obtention d’un stage bien plus complexe, a provoqué d’importantes réticences des employeurs et a transformé l’idée même de stage en parcours du combattant.
Par exemple, l’obligation de rémunération a mécaniquement rendu les stages plus coûteux, et par voie de conséquence, a fermé tous les stages pour lesquels les entreprises dépensaient déjà une somme conséquente en vue de former leurs futurs collaborateurs. Concrètement, prendre un stagiaire il y a 20 ans se traduisait assez régulièrement par une embauche de la personne ainsi formée. De nos jours, l’entreprise aura toutes les peines du monde à rentrer dans ses frais, le poids mort de la formation s’ajoutant à la rémunération obligatoire. Parallèlement, le différentiel avec un CDD ou un intérimaire devient plus étroit, ce qui ou bien rend les choses plus difficiles pour les prétendants au CDD, ou bien ferme des portes aux stagiaires éventuels, … ou les deux, ce qu’on observe très concrètement.
Par exemple, imposer des quotas (que ce soit par maximum ou minimum) dans l’entreprise revient à lui fixer d’une façon arbitraire une partie de sa masse et de sa compétence salariales. Les quotas actuels représentent un maximum ? Les entreprises aux trésoreries tendues et qui n’ont pas de temps à consacrer à la formation proposeront donc… 0 stages. Dès lors, une baisse du nombre total de stages disponibles dans les entreprises est inévitable, sans aucune hausse parallèle des embauches, soit l’effet inverse de celui recherché. Les quotas deviendront un minimum ? Les entreprises utiliseront alors massivement le réseautage, le piston et la cooptation, fermant définitivement l’idée d’un stage à tous ceux qui ne pourront bénéficier de ces influences internes.
Non, décidément, le lobbying en « faveur » des stages continue de provoquer un désastre : des milliers de jeunes ne seront plus formés, des milliers d’autres seront utilisés pour des tâches ingrates et peu formatrices. L’État, s’immisçant encore une fois dans des relations privées, va caraméliser les interactions des uns et des autres, les figer dans un bon sentiment épais mais destructeur au final.
Rassurez-vous : même si la réflexion du collectif effervescent a été bien trop courte, cela n’empêchera pas ses membres de continuer sur la même lancée nuisible. Notant que la France vient, avec cette loi, de se doter d’un dispositif assez unique en Europe, ils incitent les autres pays à faire la même grosse boulette :
« Le combat reste à mener au Royaume-Uni, en Italie, en Grèce, en Espagne. Il en va de même aux États-Unis et dans les organisations internationales. Avec des collectifs d’autres pays, nous allons organiser, mardi 10 novembre, la première journée internationale des stagiaires »
Mais bon sang, c’est bien sûr ! Comme d’autres pays n’ont jamais pensé à une idée aussi débile lumineuse, c’est forcément parce qu’ils sont trop bêtes ou trop timorés et qu’ils méritent amplement que la France leur montre le chemin ! Et surtout, surtout, ne faisons aucune analyse critique de la situation actuelle, de ce qu’elle était et de ce qu’elle est devenue. Tout comme les 35 heures que le monde nous envie mais ne copie certainement pas, il ne suffit pas que notre marché du stage soit en déconfiture, il faut saboter aussi celui des autres pays !
La France, phare du monde moderne, montre à nouveau la voie, qui est droite mais de pente raide. Avec un mur en face.
> H16 anime un blog.
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