En ce 2 Novembre où chaque famille rend hommage à ses défunts, marque leur souvenir par quelques fleurs sur une tombe, l’actualité nous appelle à une réflexion sur le rapport entretenu entre le groupe et la mort. Le mois de Novembre au coeur de l’Automne semble voué à la commémoration des défunts. L’Eglise à fixé au 1er Novembre la Fête de tous les Saints, des figures exemplaires de la communauté catholique. Le lendemain, elle appelle la petite communauté familiale à célébrer la mémoire de ses membres, et des messes sont dites dans les paroisses à la mémoire des membres de la communauté paroissiale. Le 11 Novembre, on célébrera la victoire de 1918, une Fête Nationale dont beaucoup pensent qu’à terme elle devrait être le « Memorial Day » à la française, le jour du souvenir de tous ceux qui sont morts « pour la France », parce que cette guerre avec son Million-et-demi de morts a été la plus meurtrière de toutes celles qu’a livrées la Nation. Par un singulier hasard, le général de Gaulle est mort un 9 Novembre et nombreux sont ceux qui célèbrent sa mémoire, en ce jour, à Colombey. Accompagnée ou non d’espérance métaphysique, la mort n’appartient pas à l’individu. La communauté se l’approprie pour souligner son emprise sur les personnes, pour traduire l’idée qu’au-delà de la solidarité des vivants, il y a celles des générations qui se succèdent et des valeurs qu’elles transmettent. Or cette prééminence du groupe sur la mort connaît une évolution considérable. La dissolution de la famille traditionnelle a pour conséquence qu’on meurt de plus en plus souvent seul. L’hécatombe de la canicule de 2003 chez les personnes âgées des villes de « grande solitude »chantées par Sardou avait alerté sur le phénomène. Le caractère éphémère des liens, l’éloignement géographique ne justifient plus les retrouvailles de la « Toussaint »et diminuent les hommages aux morts, de plus en plus souvent incinérés.
Davantage laissé à lui-même, celui qui va mourir veut être plus autonome. Il veut choisir sa mort et le moment de celle-ci. Le suicide n’est plus criminalisé, et l’Eglise moins sévère à ce sujet. L’euthanasie qu’elle condamne à juste titre toujours est revendiquée par une large majorité des Français (96% ?) dans les cas de maladie incurable. La loi Léonetti avait pourtant réalisé un équilibre quasi-parfait entre le souhait de bannir l’acharnement thérapeutique et le refus de faire mourir, avec tous ses risques. Tel ou tel membre des services hospitaliers qui s’y autorise par une étonnante privatisation du droit de tuer en montre déjà l’étendue. On assiste en effet à une inversion du rapport public/privé à propos de la mort. Celui qui veut mourir dit en somme, ce qui se comprend : mais de quoi vous mêlez-vous ? Cela est mon affaire ! Mais à l’autre bout de la vie, il est admis aujourd’hui que c’est bien une personne privée, la « mère » qui détient un droit de vie ou de mort sur le foetus qu’elle porte suivant le principe que son corps lui appartient. Or, jusqu’à preuve du contraire, il faut être deux pour concevoir un enfant. Le père est mis entre parenthèse, et avec lui la dimension sociale de l’enfant qui consacre le passage du couple à la famille, et qui représente aussi une richesse pour la communauté. Si l’on comprend l’hostilité métaphysique de l’Eglise à la mise à mort d’une créature de Dieu, on voit très bien que les clivages au sein de la droite lors du vote de la Loi Veil portaient sur le lien entre l’individu et la collectivité. L’avortement devait être limité à la détresse, lorsque les souffrances individuelles l’emportent sur l’intérêt général. Actuellement, l’avortement, c’est 220 000 bébés en moins pour la démographie nationale. Et ce sont des individus qui en décident souverainement, même des mineurs à l’insu de leurs parents, de plus en plus tard et à la charge de la collectivité.
Récemment, la condamnation à 10 ans de prison d’une femme, qui a tué son mari parce qu’il la battait et abusait de leurs enfants, a ému une partie de l’opinion publique. Le jury populaire de la Cour d’Assises du Loiret a manifestement voulu faire un exemple pour rappeler que la peine de mort étant abolie, il n’était pas admissible qu’elle soit « privatisée » dans certaines circonstances exceptionnelles. La réaction des médias est cependant pleine d’enseignements. Les mêmes qui vont dénoncer la « bavure » policière, condamner le commerçant qui a fini par tuer son dixième cambrioleur, ou applaudir à la limitation de la légitime défense, trouvent la sanction d’une femme battue et meurtrière, trop sévère. L’appel permettra de trancher.
Les exactions des casseurs à Nantes et à Toulouse ont profité de l’hommage rendu dans ces villes à la mémoire d’un militant écologiste, Rémi Fraisse, dont tous les Français connaissent le nom désormais. Celui-ci est sans doute la malheureuse victime d’un concours de circonstances. Il allait participer pacifiquement à une manifestation illégale. Une minorité de provocateurs harcelait les gendarmes en lançant pierres, cocktails molotov et bouteilles d’acide. Ceux-ci ripostaient avec notamment des grenades en principe utilisées de manière non-létale. L’une d’elles est sans doute venue exploser entre le dos et le sac du manifestant. Moins de Français ont aujourd’hui en tête le nom de Thomas Dupuis, « mort pour la France », trois jours plus tard, au Mali où il se battait contre les terroristes. Ces deux morts sont humainement aussi douloureuses. Mais l’une demeure un accident privé, le décès d’un garçon idéaliste, victime des casseurs plus que des gendarmes, car ces derniers n’envoient pas de grenades sur une grève de la faim ou un « Sit-in ». L’autre a donné sa vie au Pays. Que ses camarades honorent la mémoire de Rémi est légitime. Le mot « hommage », de même que le terme de « Zone à Défendre » pour justifier des occupations illégales, ou encore celui de « violences policières » pour qualifier les actions de maintien de l’ordre sont de subtils glissements sémantiques destinés à inverser petit à petit les valeurs en vue de renverser l’ordre républicain, en rendant illégitime ce qui est légal et légitime ce qui est illégal. Comme le soulignait Max Weber, ce qui caractérise l’Etat est de détenir le monopole de la violence légitime. Ce monopole exercé par un Etat démocratique, respectueux du droit, même s’il n’est pas parfait, l’expose bien sûr au risque de provoquer la mort. Mais lui contester ce droit revient à justifier une violence privée qui n’a rien de légitime. Entre la privatisation de la mort, le renversement des valeurs et celui de l’Etat, il y a une convergence et une connivence dangereuses dont il faut prendre conscience !
5 Comments
Comments are closed.