Pour savoir qui a remporté une négociation, il faut d’abord savoir ce que les protagonistes attendaient de la négociation. C’est en comparant le résultat aux attentes que l’on est en mesure d’estimer celui qui, au final, s’en approche le plus.
“Ouf ! Le pire a été évité !”… “Le monde respire”… “La première puissance mondiale fera face à ses échéances” … “In extremis”
Les titres que vous avez pu lire ou voir depuis quelques jours vous rassurent, les Etats-Unis ne seront pas en défaut de paiement, un accord de dernière minute a été trouvé entre Obama, le représentant des Démocrates et celui des Républicains.
Quelle est la nature de cet accord ?
Tout d’abord, l’Etat fédéral est autorisé à lever 900Mds$ (rien que cela…) sur les marchés en 2011 pour assurer son fonctionnement, et 1 200Mds$ en 2012 !!! Pour mémoire, la dette actuelle de l’Etat fédéral américain est de 14 262Mds$ auquel, pour faire bon poids, vous n’omettrez pas d’ajouter les dettes des Etats, des villes. Si tout cela ne suffit pas, pensez que les ménages américains sont les plus endettés du monde.
Second point de cet accord, l’Etat fédéral s’engage à réduire son coût de fonctionnement de… 1000 Mds$ dans un premier temps, puis de 1500Mds$ dans un second temps. Les modalités d’application de ces réductions seront définie par une commission bipartite au plus tard pour le mois de novembre prochain.
Cet accord résout-il les problèmes ?
Cet accord ne résout rien du tout.
1) Parce que le problème de l’ Etat fédéral américain est triple : son niveau d’endettement, la nature de ses créanciers et ses perspectives de remboursement.
Cet accord permet à l’Etat fédéral d’augmenter considérablement son endettement. Endettement qui va servir au fonctionnement, pas à la restructuration de la dette ni à l’investissement infrastructurel. On aggrave donc le problème. Aujourd’hui, le premier créancier de l’Etat fédéral, ce n’est plus la Chine qui se fait tirer l’oreille, mais… la FED, c’est à dire l’autre poche du même veston (phénomène que je dénonce moi-même depuis un an mais qui est brillamment et simplement expliqué ici). Or, les échecs patents des plans de relance d’Obama laissent l’Amérique sans réelle perspective de redémarrage. Tous les indicateurs économiques sont au rouge. Comment l’Etat va-t-il pouvoir rembourser sans perspectives de redécollage de l’économie, sans investisseurs ? Grâce à la FED ? Gare au décollage des taux!
2) Parce qu’il repousse la prochaine échéance à 2013 !
2013 sera l’année de tous les dangers. Un net-chroniqueur dont je suis loin de partager les analyses écrivait il y a quelques jours : “dites à vos enfants qu’ils ont la chance extraordinaire de vivre en direct la chute de Rome”. Oui, la période que nous vivons s’apparente par bien des égards à celle de la chute de l’Empire romain et 2013 pourrait bien être la date fatidique pour un certain nombre d’Etats, dont le nôtre. Pour les raisons que nous venons d’évoquer, le problème de la dette américaine ne sera pas réglé en 2013 et il faudra refinancer. C’est à dire se retrouver dans le même contexte que ce que nous venons de vivre, passer devant le Congrès, évaluer l’état de l’économie, évaluer les capacités de remboursement, trouver des investisseurs. En 2013, la France deviendra le plus gros émetteur de dette en Euro avec environ 300Mds€ à refinancer et ce, tous les ans. D’autres Etats auront eux aussi des besoins. Une gigantesque crise de liquidités se profile donc en 2013.
Si, comme moi, vous êtes convaincu que cet accord ne résout rien mais ne fait que repousser à plus tard la gestion du problème, regardons d’un petit peu plus près les commentaires concernant l’aspect politique de cette crise.
Vous lisez partout dans la grande presse que les grands vainqueurs de cette négociation sont les Républicains qui, aiguillonnés par leur aile droite, les “Tea Party”, ont obligé Obama à faire des concessions sur les réductions budgétaires et la taxation des “hauts” revenus.
Je m’inscris en faux. Cette analyse est erronée, le vainqueur de la négociation est Obama et Obama seul.
Pour savoir qui a remporté une négociation, il faut d’abord savoir ce que les protagonistes attendaient de la négociation. C’est en comparant le résultat aux attentes que l’on est en mesure d’estimer celui qui, au final, s’en approche le plus. Les Républicains, gens de droite, étaient motivés par la résolution du problème de la dette. Problème de fonds, solutions de fonds. Avant d’accorder à l’Etat fédéral le droit de régler son problème conjoncturel d’échéances, ils voulaient que le problème de fonds de l’équilibre budgétaire soit résolu, car, sinon, affirmaient-ils, le problème conjoncturel se représenterait d’ici peu, encore aggravé par les dettes provenant de la nouvelle autorisation de levée de fonds. Souvenez vous, ils “exigeaient” 4 000 Mds$ de réduction budgétaire (chiffre d’ailleurs repris par les agence de notation) afin de pouvoir espérer un début de solution. Les Démocrates, quant à eux, gens de gauche, n’étaient attachés qu’à l’aspect tactique et émotionnel des choses. Il leur fallait obtenir le droit de lever suffisamment de fonds pour tenir jusqu’après les élections. Leur objectif n’était pas de résoudre ou ne pas résoudre le problème de la dette, mais de se mettre dans une situation qui n’obère pas trop les perspectives de l’élection de l’année prochaine. Cela fut clairement exprimé par un membre du cabinet d’Obama qui avait dit que le point non négociable, celui sur lequel ils ne transigeraient pas, c’est le relèvement de la dette à un niveau suffisant afin de ne pas avoir à renégocier avant 2012.
Les deux parties se présentaient donc sur des terrains totalement différents. L’une souhaitait résoudre un problème de fond, l’autre un problème tactique. Qui a résolu quoi ?
Le problème de la résolution de la dette est repoussé à 2013, les Etats-Unis s’enfoncent un petit peu plus et le débat de fonds n’aura lieu qu’après les élections. Les Républicains voulaient mettre en place une politique alternative d’épuration des comptes fédéraux ? Ils attendront !
Celui qui emporte une négociation est celui qui obtient ce qu’il recherche, pas celui qui s’attache à une posture. Les Républicains ont donc perdu cette négociation.
Barack Obama : one point; Michele Bachmann, zero !
Cette victoire d’Obama risque d’ailleurs d’être double. Les membres du Tea Party ne sont pas dupes de ce qu’il vient de se passer. Ils ne sont d’ailleurs pas dupes de la campagne de communication que mènent actuellement tous les medias traditionnellement pro-Obama. En ne communiquant que sur l’aspect politique de la négociation, c’est à dire l’aspect sur lequel Obama, durant toute la crise, n’a fait lui-même que communiquer, occultant ainsi l’aspect de fonds de la crise de la dette, en affirmant et en relayant l’idée que les “gentils” Républicains, ceux avec qui on peut jouer au golf et passer des accords, sont sortis vainqueurs de la négociation, la grande presse bourgeoise enfonce le coin qui vise à casser l’unité du Parti Républicain. La masse des Républicains modérés ne peut espérer gagner les élections sans le soutien des Tea Party. Provoquer intelligemment la rupture, c’est assurer la réélection d’Obama. Son seul et unique souci.
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