Ce matin là, dans la grande lumière de juillet, ma ville d’Oran s’apprêtait à changer d’univers et les foules des quartiers suburbains, musulmanes et arabo-berbères, affluaient vers la ville européenne pour se l’offrir en l’humiliant.
La mort fit son entrée à 11 heures du matin et les massacres se poursuivirent jusqu’à 17 heures, quand les gardes mobiles du général Katz, qui avaient fait la guerre aux européens depuis un an, furent commandés de sortir pour que la tuerie cessât.
Tout ce qui était chrétien ou juif, européens selon la nomenclature officielle (F.S.E. : Français de souche européenne) fut fusillé à bout portant, entassé dans des camions en partance pour les quartiers périphériques du Petit Lac ou de Victor Hugo, aux fins d’y être étripé, égorgé et enfin pendu par la gorge aux crochets de l’abattoir par les foules en transe.
Pour la première fois, on comprenait l’âme de la guerre : celle d’une religion et d’une ethnie (l’islam arabo-berbère) voulant éliminer le peuple européen judéo-chrétien afin qu’il n’y eut plus sur la terre d’Algérie qu’une seule population partageant la même « foi ».
Certes, tout était plus compliqué qu’ils ne le croyaient, et l’avenir allait le leur apprendre, mais ce jour là tout était clair : l’européanité devait être exterminée.
Depuis plus de dix ans, j’ai assisté, quelque fois avec un quinzaine de compagnons, au dépôt de nos bouquets au pied de la statue du maréchal Lyautey à deux pas des Invalides.
C’était simple, nous étions tous Oranais, en compagnie de nos amis d’autres régions d’Algérie, et nous nous souvenions en honorant NOS morts, rien que NOS morts.
Puis, en 2005, Jean-Pierre Rondeau, alors président de l’association des anciens du lycée Lamoricière, obtint de pouvoir nous réunir sous l’arc de triomphe de l’étoile. C’est très ému que je me suis rendu ce jour là sous le monument dédié aux campagnes et victoires de l’empereur, où repose le soldat inconnu de 1914-18, pour maintenir le souvenir de notre pogrom.
Et nous fûmes interdits de cérémonie par la police de Nicolas Sarkozy.
Cela ne me surprit guère et renforça ma gêne d’avoir à obtenir l’accord des suiveurs du général de Gaulle – notre bourreau – pour honorer nos victimes (SES victimes).
En 2006, la même interdiction fut édictée par le même, et ce ne fut qu’à compter de 2007 que la cérémonie put avoir lieu.
Dés lors nous assistâmes au dépôt de gerbes par le truchement d’organisations de moins en moins oranaises, et j’en vins à regretter nos bouquets personnels qui matérialisaient notre relation posthume avec des amis disparus.
Mais plus que tout, nous étions noyés parmi d’autres délégations n’ayant aucun rapport avec l’Algérie ni la tuerie d’Oran, et cela marginalisait chaque année un peu plus la signification de notre présence.
Cette année, en plus de l’arc de triomphe, des associations, qui n’ont plus rien d’oranaises, nous proposent le quai Branly. Le comble du mauvais goût et de la soumission est atteint. Au moins sous l’arc, il m’est souvent arrivé de m’évader de la pantomime des autorités en lisant les noms des batailles de Napoléon et en jouissant d’une architecture qui me reliait aussi à Rome dont je me sens le fils.
C’en est trop. J’ai décidé de ne plus participer sous l’arc de triomphe (Je ne parle même pas de la chose baptisée « monument » du quai Branly) à ces dépôts de gerbes au cours desquels on déshonore à la fois notre peuple européen d’Algérie et le grand empereur, dont les nains qui officient ne mesurent ni la stature ni le ridicule de leur position.
Mais je veux proclamer que le 5 juillet 1962 à Oran fut l’ouverture du terrible opéra auquel nous assistons, qui va ensanglanter l’Europe, et dont les Français d’alors, comme ceux d’aujourd’hui, en n’en comprenant pas la signification, ont favorisé l’avènement et livré par avance leurs enfants en holocauste.
Georges Clément
Oranais
Paris, le 4 juillet 2015
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