Tribune libre de Hermine Marès
Un catalogue rassemble des pages qui décrivent des marchandises utiles au profit.
Décrire l’homme est une tâche plus ardue, des générations de philosophes ont essayé de définir l’homme ; ils ont trouvé qu’il est entre autre un animal politique, un animal raisonnable, un être qui rit, qui pense, qui travaille, qui crée. Mais la trop grande complexité de son humanité étouffe dans cette liste trop restreinte. Un Diderot s’est perdu dans sa recherche : « Ce que nous sommes ne peut pas être compris dans une définition. »
Comment mesurer aujourd’hui la grandeur de l’homme ? Une expérience assez simple. Laissez-vous glisser sur l’immense toile qui réunit tous les ordinateurs du monde, et promenez-vous sur le réseau social où sont rangés 900 millions d’êtres humains (au moins). Tapez sur le clavier : « un nom ». Apparaît alors le profil de l’intéressé, une photo, aperçu de l’individu, accompagnée d’une description détaillée, opinions politiques, livres, situation amoureuse, équipe préférée, opinion religieuse, adresse électronique. Maintenant, dirigez-vous vers un réseau commercial, où cette fois-ci, ce sont 900 millions d’objets à vendre qui y sont rangés. Tapez sur le clavier : «un objet » . Apparaît alors le profil de l’objet qui vous intéresse, une photo, aperçu de l’objet qui veut se vendre, accompagnée d’une description détaillée: marque, taille, neuf sans emballage, matière de base.
Curieuse similitude. Deux catalogues semblables. En quête d’homme ou d’objet, le web vous rassasie pareillement.
Les catalogues d’êtres humains sont apparus avant le XXIe siècle. Si vous reculez un brin, vous vous apercevez qu’à l’entrée d’Auschwitz, certains dressaient aussi des listes d’êtres humains, avec photo, description, numéro pour être supprimés de la société des autres hommes. Et si vous reculez encore un peu plus loin, du côté de la Case de l’Oncle Tom, vous rencontrez aussi un groupement d’humains dans les salles de ventes, que certains ont réduit à la quantité de marchandise, d’outil de travail pour servir le rendement .
Un homme avec une étiquette qui doit être rangé avec les semblables de même catégorie d’étiquette, voilà le produit fini du catalogue des êtres humains. Reste à savoir si les caractéristiques de l’être humain admettent le caractère entier de l’homme. « Seules les machines peuvent être parfaitement égales entre elles, prévient Virgil Georghiu, seules les machines peuvent être remplacées, démontées, réduites à leurs éléments essentiels ou à quelques mouvements principaux. Lorsque les hommes leur ressembleront jusqu’à s’identifier à elles, alors il n’y aura plus d’hommes. »
Nous dénonçons l’esclavage, nous dénonçons les déportations, parce que l’homme là-bas n’a pas été respecté par les autres hommes, il était traité comme une machine. L’homme peut-il se supporter en se traitant lui-même comme une marchandise ? Simplement quand il ose s’aliéner avec les autres hommes sur les pages du Grand catalogue des êtres humains. À suivre…