André Tardieu avait dit du gouvernement d’Aristide Briand qu’il menait une politique du chien crevé au fil de l’eau…. On pourrait en dire autant de celle dont les Français sont devenus depuis trois ans les spectateurs alors que la démocratie supposerait qu’ils en soient les acteurs. Simplement, il faudrait mettre la formule au pluriel tant il y a de chiens entraînés par les courants divers. En 2017, après une manipulation électorale réussie, un homme né dans les cabinets de gauche, mais ami de gens très riches, entrait à l’Elysée. Son parti, créé en deux temps trois mouvements, remportait les élections législatives. L’un et l’autre voulaient chasser les politiciens de l’ancien monde pour remplacer celui-ci par un nouveau monde fait d’unanimité au-delà des partis et des idéologies, rassemblant des hommes et des femmes de gauche et de droite, des représentants de la société civile, compétents dans leur domaine, les uns et les autres emplis d’un enthousiasme réformateur capable de moderniser la France, d’en faire une « startup-nation ».
Trois ans plus tard, les masques, que « La République en marche » avait pu trouver, alors, pour cacher la réunion des ambitieux et des carriéristes, de gauche, de droite, et de nulle part, qu’aucune conviction, qu’aucune valeur ne réunissaient, sont tombés. En fait, ce qu’il y avait de nouveau dans cette politique, c’était un aveu : la politique est un métier, les idées et les idéologies n’y ont aucune place. C’est une profession qui ne demande aucune compétence particulière. Elle est la voie de la réussite pour ceux qui ont acquis un peu de technique à Sciences po ou a l’ENA, et avant tout la capacité de parler de tout sans rien y connaître, mais avec beaucoup d’assurance. Ensuite, on passe d’un cabinet à un autre, on se constitue un carnet d’adresses qui permet de faire éventuellement un passage en entreprise, sans le moindre savoir lié à l’activité de celle-ci. La participation à un parti politique, la connaissance des arcanes de son appareil est une autre voie. Le mélange des deux, une bonne précaution. Autour d’un gros noyau de socialistes qui détiennent les ministères régaliens de l’Intérieur, de la Justice, de la Défense, des Affaires étrangères et quelques autres comme la santé, la transition écologique, ou encore des postes-clefs comme la présidence de l’Assemblée et celui de porte-parole du gouvernement, quelques « républicains » dont les dents rayent le parquet, à qui on laisse l’enfer de Matignon et l’économie. Le pouvoir est à l’Elysée, l’idéologie, renforcée par des ministres progressistes, comme Mme Schiappa, ou J.B Djebarri, est à gauche. Quelques supplétifs du Modem, quelques hauts fonctionnaires ou quelques personnalités issues de l’entreprise constituent l’élément décoratif. Les difficultés sociales sont pour les recrues venues en apparence de la droite. La constitution des cabinets est supervisée par l’Elysée qui contrôle tout.
Cette omniprésence présidentielle est-elle la marque d’un visionnaire qui sait où il va ? Non, c’est le signe d’une théâtrocratie narcissique qui, à travers ses virages et ses mirages, parvient avec virtuosité à conduire la France… droit dans le mur. Le flamboyant réformateur qui prétendait faire de notre pays celui d’une économie dynamique qui crée des « licornes », s’impose dans le numérique et l’intelligence artificielle, et qui rayonne donc à l’international, en est à se vouloir souverainiste pour réimplanter en France les usines basiques qui nous ont manqué face à la crise sanitaire. Avec une dette qui passera de 100 à 150%, le poids maintenu d’une fonction publique improductive, inefficace, mais qui entrave en permanence l’action des fonctionnaires opérationnels, et des agents économiques en général, une fiscalité décourageante sauf pour les plus riches, était-ce bien la peine de changer de gouvernement ? On gardera de celui-ci quatre chiens crevés au fil de l’eau : un réformisme économique empêtré dans la protestation des gilets jaunes et des grèves, un progressisme sociétal qui aura un peu plus détruit le modèle familial qui était le vrai socle de notre société, un recul des libertés accentué à l’occasion du confinement, et une politique de l’ordre et de la loi privilégiant les immigrés clandestins ou non. Endettement monstrueux, PMA pour toutes, loi Avia et répression policière à deux vitesses : le bilan est calamiteux. La « majorité » artificielle de 2017 n’a aucune base réelle dans le pays. Elle se disloque à l’Assemblée et s’efface aux élections municipales, où c’est le « sauve-qui-peut » entre un parti qui n’aura gagné aucune bataille, ni celle de Paris, ni celle de Lyon, et se perd dans des alliances de refuge qu’on tolère ici, mais qu’on refuse là et des élus qui veulent ménager leur avenir. Chacun entend continuer sa carrière. Ceux qui avaient des convictions, comme Agnès Thill sont déjà partis.
La vraie politique démocratique doit reprendre ses droits. Elle suppose une diversité d’idées opposées qui permettent l’alternative et l’alternance claires, c’est-à-dire le choix authentique des électeurs. Elle exige donc des formations politiques fondées sur un socle de valeurs. Que la gauche soit progressiste en apparence, c’est-à-dire décadente en réalité, est logique. Que la droite ne soit pas conservatrice est une absurdité ! C’est donc à la droite de se reconstituer sur cette base si elle veut proposer une relève crédible : c’est ce qu’elle n’a pas fait depuis bien longtemps, en préférant les marchandages et les compromissions.