Le Député-maire du XVIe arrondissement de Paris, coutumier des formules intempestives sur des sujets qu’il connaît peu, a confié au Figaro son manque d’enthousiasme pour l’accueil du Roi d’Espagne dans l’hémicycle du Palais Bourbon. « Curieuse conception de la République » a-t-il jugé. Pourtant, c’était la seconde fois qu’un monarque espagnol rendait visite aux députés français et prononçait un discours devant eux. Mais Juan-Carlos était, lui, invité par Philippe Seguin, et Edouard Balladur était Premier Ministre. Il y a des élus un peu superficiels qui changent d’avis en passant de la majorité à l’opposition, face à un Premier Ministre et à un Maire de Paris, tous deux d’origine espagnole… Cette visite et ce discours étaient pourtant riches d’un enseignement qu’il nous faut méditer.
D’abord, il n’est pas sûr que la forme républicaine des institutions soit la meilleure garantie des valeurs qui sont contenues dans l’idée de République. Beaucoup de dictatures impitoyables se sont lovées dans l’enveloppe républicaine. Certaines croient même nécessaire de préciser qu’elles sont démocratiques et populaires. Cet excès doit éveiller un doute le plus souvent justifié. L’essentiel ne se situe pas dans l’opposition entre république et monarchie, mais entre régime autoritaire ou totalitaire et démocratie ou Etat de droit. La République naissante de 1792 a été une tyrannie sanglante. Les massacres de Septembre en témoignent. Aujourd’hui, au nord de l’Europe, du Royaume-Uni à la Norvège, des monarchies sont au contraire des exemples de démocraties et d’Etats de droit peu contestables. Au sud, l’Espagne demeure une exception d’autant plus remarquable qu’elle doit le rétablissement de la royauté à la volonté d’un dictateur.
Mais l’Histoire est éclairante. La République espagnole n’a duré qu’entre 1931 et 1936. Elle a connu des troubles sociaux et une violence considérable. Peu après la victoire du Front Populaire, les agressions contre les édifices religieux et contre le clergé se sont multipliées. Un député monarchiste, José Calvo Sotelo prononça aux Cortés un discours pour stigmatiser ces actes. La députée communiste Dolorès Ibarruri lui dit alors qu’il avait parlé pour la dernière fois. Il était assassiné par des membres des gardes d’assaut, les CRS espagnols le 13 Juillet 1936. Cet assassinat et les meurtres de prêtres et de religieuses provoquèrent le ralliement de nombreux espagnols au coup d’Etat de Franco et Mola. En Octobre 2013, 522 religieux catholiques victimes des « républicains » espagnols ont été béatifiés comme martyrs.
Dans de vieux pays habitués aux guerres civiles et aux divisions fratricides, il n’est pas sûr que la forme républicaine de l’Etat qui place au sommet du pouvoir le représentant victorieux d’un camp contre l’autre soit la meilleure garantie qu’il y ait une « République », c’est à dire un Bien Commun qui réunisse tous les citoyens d’un pays quelques soient leurs croyances ou leurs conviction. Le Roi qui n’est pas élu, ne gouverne pas, mais incarne l’unité nationale et peut peser aux moments les plus difficiles de la vie d’un peuple. Il peut faire en sorte, paradoxalement, qu’il y ait une « Res publica » entre les citoyens. Il faut, bien sûr, pour cela que les souverains aient du talent. Le père de Felipe VI, Juan-Carlos n’en manquait pas, lui qui avait assuré la transition démocratique de l’Espagne, en empêchant le succès d’un pronunciamento des nostalgiques d’un régime auquel il devait son trône. De même, son fils, en évoquant le rôle des « républicains » espagnols dans la libération de Paris, vient-il de montrer qu’il était le Roi de tous les Espagnols. Il a aussi, en français, dit combien le monde et l’Europe avaient besoin de la France. C’est une leçon pleine d’enseignement pour les Français qu’un Bourbon, Roi d’Espagne grâce à Louis XIV, vienne dans un palais qui porte le nom de sa famille, dire combien il aime notre pays et offrir avec son épouse l’image d’un couple dans lequel tout un peuple devrait pouvoir se reconnaître. Il faut souhaiter que l’Espagne préserve ce trésor malgré les menaces qui pèsent sur son unité et sur l’institution familiale, malgré la montée de l’extrémisme. Quant à M. Goasguen, il a perdu, une fois encore, l’occasion de se taire. Un mauvais esprit pourrait lui susurrer que donner le nom de « républicains » à un parti est une bien curieuse conception de la République…
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