Pauvre Christophe Barbier, chantre docile de la Macronie, obligé de minimiser les dérapages de l’autre Christophe, Castaner, qui, une fois encore, englue le pouvoir que subit la France dans les contradictions qui constituent sa réalité profonde. Barbier regrette que Castaner ait parlé trop vite. Il le déplore surtout parce que, selon lui, la polémique masque les réussites du gouvernement, par exemple celle qui consiste à limiter le nombre des incidents pendant les manifestations. Mais il relativise la faute puisque, selon son docte avis, le mensonge est inhérent à la politique. Mélenchon n’avait-il pas, par exemple, alerté sur le risque que les militaires, intégrés au dispositif de sécurité parisien lors des manifestations des gilets jaunes, fassent usage de leurs armes ? Certes, mais le bouillant élu de la France insoumise n’est pas ministre de la République, ne représente pas l’Etat. C’est un tribun du peuple dont la parole doit être libre et qui en l’occurrence ne parlait que d’une éventualité. Castaner, lui, est ministre et n’a pas « un peu déformé les faits ». Il a menti sans vergogne en parlant d’une « attaque » de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, d’agressions contre le personnel soignant, et d’un policier blessé en protégeant l’institution. Ni policier blessé, ni personnel molesté, et l’attaque n’était qu’une intrusion moins volontaire que la désinformation du ministre. Le pauvre Castaner, honteux et confus, s’est rétracté jurant qu’on ne l’y prendrait plus.
Pourtant, sa précipitation à grossir les faits était dans la logique gouvernementale : il faut amplifier les violences pour décourager les manifestants pacifiques et appeler les citoyens partisans de l’ordre à soutenir les policiers et à réclamer la fin du mouvement protestataire. « L’attaque d’un hôpital », c’était le dérapage impardonnable des gilets jaunes. Sauf qu’il n’a pas eu lieu. Le scénario a été le suivant : avant l’arrivée du cortège à la Place d’Italie, la police a dispersé la foule avec canons à eau et gaz lacrymogènes en abondance. Beaucoup de ceux qui n’étaient ni équipés ni préparés mentalement à cette confrontation ont trouvé refuge sur le périmètre d’un hôpital, pour échapper à la répression. Ils n’ont cherché à pénétrer dans les locaux que parce qu’ils craignaient les coups lorsque la police les a poursuivis. Il n’y a eu aucune violence à l’encontre du personnel, et les interpellations se sont déroulées calmement tandis que le personnel de l’hôpital relativisait les faits. Les gardes à vue se sont terminées sans suite judiciaire pour des personnes peu habituées à cette situation : syndicalistes, gilets jaunes, retraités qui avaient surtout eu peur. Mais personne ne s’étonnera que le Parquet de Paris, tellement proche de l’Elysée, ait ordonné ces mesures inappropriées.
Mais la machine était lancée. Le directeur général de l’AP-HP, Martin HIrsch, ce compagnon de route de la gauche, l’un des bénéficiaires de l’ouverture à gauche de Sarkozy, accréditait l’attaque et annonçait une plainte. Des ministres renchérissaient, notamment la ministre de la santé, Mme Buzyn, qui parlait d’exactions, ou encore celui de la culture, qui, avec une naïveté touchante, révélait le fond de la pensée gouvernementale : c’est dangereux de manifester. Ce serait mieux si les opposants ne manifestaient pas. Le meilleur des mondes pour le pouvoir est sans opposition. Même Madame Pécresse y allait de sa défense de l’ordre, et, prouvant une fois de plus son manque de perspicacité politique, pourfendait la culture de l’excuse, qui, en l’occurrence, était justifiée. Quant au Premier ministre, il jugeait l’intrusion irresponsable, et renouvelait sa confiance au ministre de l’intérieur. C’est peut-être cette confiance renouvelée qui est irresponsable. Un minimum de clairvoyance devrait au contraire conduire à exiger la démission d’un menteur dont la stratégie a consisté à diaboliser les gilets jaunes pour faire taire la contestation au besoin après l’avoir allumée par des provocations. Il est quand même extraordinaire qu’un pouvoir qui se voulait transparent, ennemi juré des « fake news » soit pris la main dans le sac d’en avoir lancé un. Il est non moins extraordinaire qu’un gouvernement qui voulait transcender l’opposition des Français entre ceux de gauche et ceux de droite ait pu créer dans le pays une fracture aussi profonde et aussi large, entre les Français, entre ceux-d’en-bas et ceux d’en-haut, entre les citoyens et la police, tandis que la loi des quartiers est de moins en moins celle de la République. Castaner est simplement le pompier incendiaire démasqué, celui qui révèle combien le pouvoir a espéré récupérer les partisans de l’ordre en laissant s’amplifier le désordre tandis qu’il ne parvenait pas à répondre aux attentes des Français.
Pendant ce temps, selon son habitude, après Versailles et Louis XIV, les Invalides et le tombeau de l’Empereur, Jupiter-Narcisse accueillait un Chef d’Etat à l’ombre d’un Génie à Amboise. On suppose que ces gestes ont pour but de valoriser le Président Macron aux yeux du monde. Malheureusement, ils soulignent de plus en plus en quelles mains la France est tombée.
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