Affaire Servier & Médiator : ce procès qui n’aura peut-être jamais lieu…

Alors que la responsabilité civile des laboratoires Servier a été confirmée en appel mi-avril 2016, les juges viennent d’annoncer la fin de leurs investigations concernant le volet pénal de l’affaire. Des investigations que les avocats des laboratoires Servier aimeraient pourtant voir se poursuivre, dans une stratégie manifestement dilatoire. Buts sous-jacents de la manœuvre : repousser le procès aux calendes grecques et diluer les responsabilités.

Creuser toujours…

On pourrait croire les avocats des laboratoires Servier très attachés à une manifestation pleine et entière de la vérité, tant ils semblent disposer à approfondir les investigations. Pour les avocats de la défense, il ne fait aucun doute que nous entrons simplement dans une nouvelle phase de la « guérilla juridique » (1) poursuivie par les Laboratoires Servier. La stratégie est le même depuis les premiers soubresauts de l’affaire du Mediator, révélée par la pneumologue Irène Frachon en 2007. A ce train-là il n’y aura bientôt plus personne à indemniser ou à condamner, sachant que la principale personne physique côté accusé, à savoir Jacques Servier, est décédée depuis deux ans. Du côté des victimes, le Mediator aurait fait entre 500 et 2 000 morts avérés entre 1976 et 2009, période de sa commercialisation, mais comme le souligne Irène Frachon, « on n’a pas fini de mourir du Mediator » (2).

Le Mediator est pourtant une affaire qui ne serait jamais réellement sortie sans la pugnacité de la pneumologue brestoise, et sans la maladroite tentative de censure des laboratoires Servier. Un bel effet Streisand qui attire l’attention des médias sur une histoire sans réel relief à ses débuts, hormis quelques plaintes de patients qui ne suscitent pas de réaction des autorités de santé. Il faudra attendre l’enquête de la CNAM fin 2010 pour comprendre que le Mediator est directement responsable d’au moins 500 morts. En cause : ses effets secondaires indésirables et potentiellement mortels sur les valves cardiaques. Là où l’affaire prend un nouveau relief, c’est lorsque l’on découvre que Servier connaissait de longue date ce risque : dès 1977, une étude publiée pointe du doigt les similitudes entre le Médiator et une amphétamine (3). La machine médiatique et judiciaire s’emballe, mais du côté de la Justice, le moteur va très vite caler : la partie civile est jugée en 2015, et 2016 pour l’appel (sous réserve d’un pourvoi en cassation toujours possible), mais pour ce qui est de la responsabilité pénale, aucune date pour un éventuel procès n’est encore fixée.

Une instruction qui a quand même déjà fait des victimes collatérales…

Nul besoin d’attendre un hypothétique verdict d’un grand procès Mediator pour voir défiler les premiers « réprouvés publics », auxquels la rumeur et le soupçon font souvent plus de tort qu’une condamnation en bonne et due forme. Le médecin Irène Frachon a pu compter sur sa légitimité de pneumologue pour défendre sa position. Mais les attaques contre elles ont été nombreuses et violentes : le lobbys des labos et les manœuvres de Servier ont tous mis en œuvre pour jeter l’opprobre sur celle qui a éclairé d’une lumière crue les petits arrangements politico-sanitaires en coulisse. Avec tant d’argent en jeu, les moyens employés ont été à la hauteur des enjeux, jusqu’au montage de blogs fortement suspectés (4) de servir uniquement à ternir la réputation du docteur Frachon.

Du côté des laboratoires pharmaceutiques, le mal est fait. Alors on souhaite surtout se débarrasser au plus vite de cette tâche sur la réputation, et tous ceux qui touchent de près ou de loin à l’affaire Servier sont devenus des pestiférés. Cette histoire génère donc aussi des victimes collatérales que personne ne va pleurer : les lobbys. Il s’agit désormais de montrer patte blanche vis-à-vis de l’opinion publique. Du coup, la filière pharmaceutique fait le ménage. Inattendu parmi les sacrifiés sur l’autel des (bonnes) relations publiques, Daniel Vial, le lobbyiste que politiques et laboratoires pharmaceutiques s’arrachaient il y a encore peu. Fondateur de la revue Pharmaceutiques (3), et des fameuses universités d’été de Lourmarin, Daniel Vial s’est rapidement imposé comme un intermédiaire incontournable pour ceux qui souhaite « placer » une molécule sur le marché (autrement dit : la faire rembourser par la sécu). Symbole de décennies de petits arrangements et grosses magouilles entre les Big Pharma et les autorités de santé, Daniel Vial est désormais devenu encombrant. Même Servier, pourtant empêtré dans l’affaire Mediator, décide de s’en séparer : trop cher, le bouillant Daniel Vial est jugé de plus un peu trop « olé olé » (3) par Servier lui-même.

Puis éclate l’affaire Cahuzac, dans laquelle les laboratoires sont suspectés d’avoir alimenté une partie des comptes offshore incriminés. Quoi qu’il en soit réellement, tous les intermédiaires habituels du « milieu » deviennent subitement infréquentables : un ministre « sponsorisé » par les labos, cela fait désordre, alors plus personne ne souhaite désormais s’exposer aux côtés d’entremetteurs à l’odeur de soufre (5). Les liens « d’amitié » étroits et publics entre Daniel Vial et l’ex-ministre déplaisent donc fortement à Sanofi, qui l’éjecte de son poste de conseiller du Président en 2013. Dans un petit milieu où réseau et discrétion sont indissociables, le lobbyiste qui s’expose trouve rapidement portes closes. Une mise au vert à l’apparence de linceul professionnel pour Daniel Vial. Mais avec lui, l’industrie pharmaceutique espère surtout enterrer les souvenirs des collusions avérées avec les autorités publiques. Et dans l’affaire du Mediator, à l’instar de beaucoup d’autres, si une question demeure, c’est bien celle de la connivence du pouvoir politique.

Quid des responsabilités politiques ?

C’est un volet encore peu exploré par la justice, décidément peu prompte à se prononcer quand certains milieux « d’affaires » sont concernés : quid des responsabilités politiques dans l’affaire du Mediator ? Si Servier connaissait la dangerosité de son produit, qu’en savaient réellement les autorités de santé et les autorités politiques ? Pourquoi et comment a-t-il été autorisé et pourquoi si longtemps, sachant que la CNAM disposait bien des données prouvant au moins 500 morts imputables au Mediator. A tout le moins, le cas du Mediator est l’histoire d’une faillite des contrôles.

Mais cela va peut-être plus loin, sachant que les laboratoires ont été durant des années de généreux sponsors des partis politiques et campagnes électorales. Le Figaro (6) nous apprend ainsi que Philippe Douste-Blazy, ministre de la Santé de 1993 à 1995, a touché 40.000 francs de Pierre Fabre et 40.000 francs du Syndicat national de l’industrie pharmaceutique pour les législatives de 1993, sur un total de 203 500 francs versés par des personnes morales. Il est vrai que depuis la loi de 1995, ces dons ne sont plus directement possibles, alors des parades sont trouvées : puisqu’il faut bien maintenir de bonnes relations avec le pouvoir politique, le coup de pouce financier s’est transformé parfois en promesse d’embauche à la fin d’un mandat. Nombreux sont ainsi les ex-Ministres à être allé « pantoufler » dans l’industrie pharmaceutique : de Claude Evin à Jacques Godfrain chez Fabre, en passant par Michel Barnier, Claudie Haigneré et Elisabeth Hubert, employés respectivement par les laboratoires Bio Mérieux, Sanofi et Fournier (7).

Bien peu de gens au sein des instances politiques et administratives ont donc intérêt à voir se rouvrir des pages peu glorieuses de notre histoire politique. Seuls les avocats de Servier peuvent avoir effectivement un intérêt à la poursuite des investigations : en plus de gagner du temps, il pourrait bien réussir à mouiller une bonne part de notre classe politique. Autant d’éléments qui permettent de penser que le vrai procès du Mediator n’est pas pour demain.

1. http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/04/25/97001-20160425FILWWW00271-mediator-les-juges-ont-acheve-leur-enquete.php
2. http://www.lamarseillaise.fr/marseille/sante/28078-on-n-a-pas-fini-de-mourir-du-mediator
3. http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20110909.OBS0048/mediator-la-preuve-des-mensonges-de-servier.html
4. http://lesvoixoff.blogspot.fr/
5. http://politikementinkorrekt.blogspot.fr/2012/04/affaire-du-mediator-les-hommes-de.html
6. http://www.lefigaro.fr/politique/2013/04/10/01002-20130410ARTFIG00784-quand-l-argent-des-politiques-venait-de-l-industrie-pharmaceutique.php
7. http://www.challenges.fr/entreprise/20130411.CHA8203/politiques-et-industrie-pharmaceutique-des-liaisons-inavouables-qui-depassent-le-cas-cahuzac.html

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8 Comments

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  • tell guillaume , 9 mai 2016 @ 19 h 20 min

    Pas tous mais nos médecins sont comme une partie de la populace Franchouillarde dés qu’ils peuvent se mettent de la tune de coté ou se faire arroser par des caisses de champagne ou de vins et des billets d’avion pour des vacances par les laboratoires pharmaceutiques et surtout des bons remboursements en fin d’années( tout comme les pharmaciens ) par notre gentille caisse de maladie pour avoir respecter les consignes; d’avoir donner des génériques à notre population pour soit disant faire faire de économies à notre SS ceci en achetant des médicaments sur le marché très protégés des lobbies pharmaceutiques avec des molécules fabriquées sur une table de cuisine au fin fond d’un village du Bangladeshi ou du Pakistan ou de Chine ou… voila ou nous en sommes avec tous vendeurs de poisons !

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