Tribune libre de Christian Vanneste*
Pour peu, ils finiraient par nous avoir à la pitié. À peine avait-on tourné la page de la pitoyable prestation télévisée de François Hollande que les aveux de Cahuzac venaient rappeler l’écho affaibli de la tirade « Moi, Président, la République irréprochable » devenue « République apaisée et exemplaire ». On hésite, devant l’énormité de la révélation, entre la consternation indignée et le rire franc et massif que suscite une pareille farce. À peine le roi a-t-il tenté de restaurer son autorité compromise qu’un Don Salluste d’aujourd’hui, aussi attiré par l’or et le pouvoir que l’autre, vient lui faire exploser sa vérité au visage et couvre ses dernières déclarations de ridicule.
Vous avez dit exemplaire ? L’affaire Cahuzac, au contraire, relève plutôt de l’exceptionnel. Voilà un ministre du Budget qui est lui-même un fraudeur fiscal, un ancien conseiller de ministre de la Santé qui détient une société de conseil auprès des industries pharmaceutiques, un socialiste pourfendant les riches et les exilés fiscaux, dirigeant la rigueur budgétaire et fiscale à laquelle sont soumis les Français, et qui est un riche qui planque son fric à l’étranger. A priori, c’est plus une caricature qu’un exemple. Mais, si on tire le fil de la pelote désormais découverte, l’exception ne risque-t-elle pas de devenir la règle d’un monde qui n’en respecte plus ? Certes, les implants capillaires génèrent une juteuse activité médicale, mais on peut nourrir des interrogations sur le flux du compte suisse émigré à Singapour, sur son origine, sur sa destination, sur son unicité. Y aurait-il des rémunérations d’entreprises dont les produits sont financés par la Sécurité sociale ? Si cela se vérifie, on atteint le grand art de l’imposture, une sorte de record réalisé par un homme qui élu puis choisi pour assurer la meilleure gestion de l’argent public, en a siphonné une partie pour la mettre à l’abri dans une banque étrangère à laquelle son conseiller financier ne serait pas étranger. Force est de reconnaître le talent, exceptionnel ou exemplaire, on ne sait plus, du menteur : un champion du monde dont les séquences passeront en boucle dans les écoles de sciences politiques. En bloc et en détails, les yeux dans les yeux, à l’Assemblée nationale, à la télévision où c’est moins grave, selon les politiques, puisque c’est le peuple qui la voit, le regard droit ou la larme à l’œil, l’hypocrite, le comédien joue d’un aplomb sans pareil. Bon, mais autour de la tête d’affiche, il y avait le chœur, la main sur le coeur, commentant l’injustice subie, la douleur infligée, l’honnêteté outragée et témoignant soutien et compassion. Et il y avait les coryphées, Hollande et Ayrault, au courant de rien, et Moscovici, naïf et bon camarade au point de transmettre une information des autorités suisses blanchissant (c’est une manie) fin janvier. Maintenant, ils entonnent le grand air de l’amitié trompée, de la confiance trahie, et de la justice exigée contre le pelé, le galeux d’où vient tout le mal. L’opposition se réveille un peu tardivement, mais l’occasion est trop belle de faire oublier sa grisaille pour dénoncer le noir absolu. Pourtant elle ne manque pas de personnages douteux. Elle a, elle-aussi, ses anciens ministres du Budget mis en examen dans des affaires de financement politique occulte. Au début de cette affaire, j’ai été d’autant plus surpris de sa modération, que j’avais moi-même été beaucoup plus mal traité pour avoir dit… la vérité.
Certes, la République n’est pas exemplaire, mais l’affaire Cahuzac n’est pas exceptionnelle. C’est elle qui est exemplaire d’une politique qui est devenue une profession assez rémunératrice, mais surtout dispensatrice de pouvoirs, de prébendes et de privilèges, un métier à la marge des autres où les malins triomphent avec cette large complicité où s’apprécie l’habileté, même chez les adversaires, et où prospèrent des bandes réunies par une solidarité d’intérêts. Le goût du pouvoir, la soif de l’argent, le vertige de l’immunité, l’addiction aux plaisirs sans limite et sans risque, ou presque, ne sont pas généralisés mais y sont de plus en plus présents. Fillon avait parlé de mafia à propos des tricheries qui avaient, de part et d’autre, jalonné l’élection à la présidence de l’UMP. Le mot est fort, mais cible assez bien ce que devient l’activité politique : le moyen par lequel un certain nombre de personnes aux compétences contestables s’emparent alternativement d’un pouvoir et de ses ors, au nom du Bien Commun, pour ne pas l’assurer, mais pour continuer d’en vivre.
*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.
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