En regardant la sarabande genevoise des pourparlers « de la dernière chance » sur la Syrie, De Gaulle aurait sûrement beaucoup à dire sur le rôle et l’utilité du « machin » Onusien. A peine commencé voilà qu’ils sont gelés pour au moins 15 jours après que l’opposition syrienne ait dénoncé une nouvelle offensive du régime sur Alep. Cette énième rebondissement de la grande tartufferie syrienne n’est pas surprenant. A défaut de savoir sur quoi et selon quels termes, on a tellement laissé la situation se dégrader que nouer le dialogue relève déjà de l’exploit. On a déjà dit dans ces colonnes, à quel point le nombre d’acteurs, leur diversité, et la divergence fondamentale de leurs projets rendait toute forme de consensus difficilement imaginable. Alors qu’à Genève ronds de jambes, et faux semblants se côtoient, des flots humains continuent de se déverser dans une mièvrerie compassionnelle qui n’a rien à envier à l’hypocrisie en cours dans les palais du bord du Lac Léman. En réalité cette offensive pourrait enfin donner une bouffée d’air à la minorité chrétienne d’Alep.
L’illustration parfaite en est que, pendant que l’on laisse toute la région se vider de ses forces vives, avec un petit sourire en coin, alors que le FMI voit dans cet exode une « opportunité de croissance », c’est l’histoire elle-même que l’on assassine. De cette région bouillonnante de civilisations mortes, de minorités installées depuis des millénaires, il ne restera bientôt que le chant du Muezzin et le crépitement des mitrailleuses. L’archevêque d’Alep lançait ce cri dissonant dans le concert larmoyant d’ode à l’accueil de l’autre le 29 janvier « aidez-nous à rester chez nous ! ». Monseigneur Jean-Clément Jeanbart, dont le nom sonne comme une réminiscence des liens de notre pays avec cette terre garde l’espérance, mais il est assez lucide pour souffrir de voir ainsi cette terre si importante dans l’histoire de l’Eglise primitive se vider de sa sève. Pendant qu’à Genève, on essaye de marier la carpe et le lapin, des communautés vieilles de deux millénaires sont rayés de l’histoire d’un trait de plume, des monastères sont dynamités, des cités antiques rasées. Qui dira qu’au nom d’alliance biaisées, d’intérêts économiques calculés, de forfaitures en renoncement, c’est à un génocide culturel que nous avons passivement pris part ?
Le premier renoncement, père de tous les autres, est de ne pas nommer les choses : le réfugié est une abstraction, une figure miséreuse errante, qui doit susciter la pitié. Il est Syrien, Irakien, Erythréen, Afghan… Et l’on en saura pas beaucoup plus. A peine parle-t-on des chaldéens ou de melkites, des mots qui, s’ils étaient jetés à la face de l’homme de la rue, ne lui dirait rien. Surtout ne pas donner l’impression de favoriser une communauté par rapport à une autre, le politiquement correct est à ce prix. On ne sait pas ce que l’on perd. Trop peu de personnes sont entrés dans la petite Eglise de Saint Julien le Pauvre à Saint-Michel pour voir la richesse de cette tradition uniate orientale, qui tire sa source des toutes premières communautés chrétiennes. La liberté, la démocratie, et tous les autres concepts grandiloquents que nous avons servis en guise de politique envers la Syrie ne valent rien puisque personne ne connait sa richesse, ce qu’elle a, ce qu’elle perd, ce qui meure. Dans la très laïque république française, il ne fait pas bon de s’associer aux souffrances d’une « confession », de peur d’en froisser d’autres. Même si ce silence tue. Ces peuples l’ont compris, et ils s’en souviendront, du moins ceux qui resteront.
Entre Genève et Alep, il y a plus qu’une mer et des montagnes, il y a un monde. La consolation sera maigre, le jour où le tribunal de l’histoire nous jugera coupable de cet abandon. Pendant qu’avec anxiété, les chrétiens assiégés dans cette ville mainte fois martyre, se préparent à subir une bataille décisive, ils se souviendront que leur salut sera venu du régime d’Assad. Ce sera lui qui aura sauvé cette minorité éprouvée de la folie djihadiste. Ce régime que nous avions voué aux gémonies, « assassin de son peuple » selon les mots du ministre de l’incohérence extérieur que nous avons, c’est finalement lui qui l’aura sauvé, avec l’aide des russes. Ou étions-nous ? Peut-être trop occupé à affiner les prévisions de croissance du FMI concernant l’accueil des réfugiés…
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