par Pierre Toullec*
La nouvelle est tombée, les Républicains du Congrès et le Président Obama sont arrivés à un accord sur la « falaise fiscale » que s’apprêtait à vivre le Gouvernement Américain.
Dès l’annonce de l’accord, nombre de militants et leaders d’opinion de droite se sont levés pour crier au scandale et à la trahison de l’engagement des Républicains à ne pas voter en faveur d’augmentation d’impôts.
La décision prise fut d’augmenter les prélèvements sur les revenus supérieurs à 450 000 dollars annuels. Le taux d’imposition pour ces revenus passera de 35% à 39,6% (créant de facto une nouvelle tranche d’imposition). En échange, quelques minimes baisses de dépenses ont été accordées par le Président Obama (à raison de 1 $ de baisse de dépense publique pour chaque 43 $ d’impôts supplémentaires).
L’idéal aurait bien entendu été la mise en place du programme du Gouverneur Romney :
1) Conserver un taux d’imposition bas pour tous les citoyens Américains en conservant les Bush Tax Cuts au 1er janvier 2013 (pour rappel, tous les revenus supérieurs à 388 351 $ annuels sont déjà taxés à hauteur de 35% par l’État Fédéral, sans compter les autres impôts fédéraux et les impôts des États locaux)
2) Diminuer de 20% l’intégralité des impôts (pas seulement pour les plus riches ; pour tous les Américains)
3) Supprimer les niches fiscales pour les grandes entreprises
Cet idéal ne pouvait pas avoir lieu au vu du rapport de force actuel. Mais les Républicains ont cherché à atteindre leurs objectifs de campagne malgré la défaite de novembre en s’engageant dans un bras de fer avec les Démocrates. Au final, les Démocrates ont gagné.
L’erreur stratégique
Les Républicains ont cherché à gagner sur deux tableaux. Alors qu’il était prévu que les impôts augmentent pour tous les revenus de 2 à 3 points au 1er janvier 2013, ils ont menacé de bloquer la proposition de la gauche de ne valider qu’une partie des diminutions d’impôts du Président Bush qui devaient arriver à leur terme à cette date. Leur objectif était d’imposer un accord aux Démocrates tout en renouvelant les diminutions d’impôts pour tous les revenus.
Cependant, les Démocrates venaient de gagner – de peu – les élections. Ces derniers avaient dès lors un fort avantage politique dans le bras de fer entre les deux camps. Les Républicains ne pouvaient que bloquer le processus, pas s’imposer.
Jusqu’au bout, la droite américaine a voulu empêcher l’augmentation des impôts sur les entreprises et les revenus les plus élevés. Oui, leur raisonnement est juste, l’augmentation des impôts sur les entreprises aura un impact néfaste sur l’économie toute entière. Mais quel aurait été l’impact d’une augmentation des impôts sur tous les Américains ? Pouvaient-ils réellement se rendre responsables de telles augmentations d’impôts ?
L’autre gros problème est qu’en voulant se concentrer sur la question des impôts, les Républicains ont été incapables de peser sur la question de la diminution des dépenses (malgré leurs tentatives). Or, si les Démocrates étaient liés à l’idée de conserver le même niveau de dépenses publiques pour des raisons idéologiques, c’est sur les impôts que la gauche ne pouvait pas plier à cause de la campagne qu’ils ont mené sur ce sujet.
Au final, au 1er janvier 2013, les Républicains se sont retrouvés dos au mur avec l’obligation de céder à de nombreuses exigences des Démocrates après avoir perdu un combat qu’ils ne pouvaient pas gagner.
Mais qu’auraient-ils pu faire ?
Pour ma part, voici le discours que j’aurai souhaité voir les Républicains tenir.
1) Les Démocrates ont gagné l’élection sur l’idée que les impôts doivent être augmentés sur les revenus supérieurs à 250 000 $ annuels. Une telle décision ne pouvait pas passer sans l’accord des Républicains. Ces derniers affirmaient qu’une telle décision serait catastrophique pour l’économie. La perspective de voir les impôts augmenter pour l’intégralité des revenus était un risque trop grand. Les Républicains auraient pu dire :
« Nous sommes opposés à votre politique. Nous considérons qu’elle ne marchera pas. Cependant, nous ne souhaitons pas prendre le risque de voir les impôts augmenter pour la totalité de la population. Nous affirmons haut et fort que cette politique aura des conséquences catastrophiques et vous serez les responsables de cela. Mais parce que nous voulons empêcher une situation encore pire, nous allons permettre à cette loi de passer, à une condition. »
2) « La condition est une diminution importante des dépenses. Pour chaque dollar d’impôt nouveau, vous diminuez les dépenses publiques d’un dollar. Nous vous donnons la victoire politique et vous en assumerez les conséquences économiques. Nous choisissons de vous laisser la victoire, mais nous faisons le maximum pour diminuer le futur choc financier à venir en diminuant les dépenses. »
Nombre de Républicains étaient opposés à une telle stratégie car, à deux reprises, de tels accords ont été signés, puis n’ont pas été respectés (sous les Présidents Ronald Reagan et George H. W. Bush). Cependant, une telle tentative aurait été bien plus constructive plutôt que de tenter de gagner sur les deux tableaux. Cela aurait montré la reconnaissance de la défaite (il y a moins de deux mois !) et une expression de volonté de travailler ensemble. Les Démocrates, eux, auraient été obligés d’assumer les conséquences pleines et entières de leur politique telle qu’ils l’ont défendue. Dans le même temps, la situation financière aurait été moins catastrophique, avec une diminution des dépenses signée par les leaders démocrates. La gauche aurait été en position politique délicate à l’avenir, et la situation des États-Unis aurait malgré tout été améliorée.
Aujourd’hui, les impôts vont augmenter quasiment autant que ce que les Démocrates souhaitaient. Cependant, ils auront la possibilité de dire que si l’économie ne va pas mieux, c’est parce que leur programme n’a pas été entièrement mis en place. La situation financière, elle, sera pire puisque les dépenses ne diminueront pas…
Au final, en cherchant à gagner, les Républicains ont non seulement perdu une bataille politique qu’ils n’étaient pas forcés de mener, mais ils ont aussi laissé une situation financière s’aggraver en ne cherchant pas (ou pas assez) à diminuer les dépenses. De plus, ils ont relancé des mouvements d’opposition à leurs méthodes de gouvernement au sein même de leur base électorale. Enfin, ils ont donné des arguments aux Démocrates pour que ces derniers accusent la droite d’être (au moins partiellement) responsable de la future situation économique et financière à venir en 2013 et 2014.
Aujourd’hui, la situation politique des Républicains est affaiblie par ce combat, et l’économie américaine en souffrira aussi à terme.
Aujourd’hui, la situation est pire que si les Républicains avaient laissé une victoire sous condition aux Démocrates. C’est un beau gâchis de capital politique.
*Pierre Toullec (blog) est le Président de l’association des Amis du Parti républicain (GOP France, blog) et élu au sein du Conseil national du Parti breton, regroupant gauche et droite pour faire avancer la Bretagne.