Selon les sondages, entre 71% et 84% des Français soutiennent le mouvement des gilets jaunes. 78% des sondés ont jugé l’intervention du Président peu convaincante. Ces chiffres sont inouïs. Jamais pareil phénomène n’avait eu lieu dans le cadre de la Ve République. Une telle opposition à un gouvernement ne s’était vue qu’en 1995 en réponse au plan Juppé. Toutefois, la situation était plus classique. Il s’agissait d’une mobilisation des classes populaires, de la gauche contre la « droite » au pouvoir. Un seul élément peut rapprocher les deux : la maladresse du pouvoir, son incapacité à sortir d’une position dogmatique exposée avec raideur et hauteur. En 1995, Chirac était élu sur le thème de la fracture sociale. Les mesures sévères sur les retraites, le pouvoir d’achat et la sécurité sociale étaient apparues comme une trahison du programme présidentiel que les Français avaient sanctionnée. De la même façon, l’insistance absurde de Macron sur la transition énergétique pour justifier la hausse des taxes est, pour la plupart des Français, un hors-sujet par rapport à ce qu’ils avaient cru déceler en lui de nature à lui apporter leurs suffrages : la compétence économique et donc la capacité de redresser la situation du pays. Non seulement, les résultats en matière de chômage, de pouvoir d’achat, et d’amélioration des comptes publics ne sont pas au rendez-vous, mais l’acharnement à taxer sans cesse davantage pour rentrer dans les clous bruxellois, au lieu de faire des économies sur les dépenses superflues de l’Etat, apparaît comme une évidence aux yeux d’une majorité de Français. La France vient de confirmer sa première place en Europe pour la pression fiscale : 58,4% du PIB, du jamais vu, là encore.
Devant un tel soulèvement, un pouvoir démocratique doit faire preuve de souplesse. Il lui était facile d’annoncer un moratoire de trois mois pour la hausse prévue en janvier, le temps d’une discussion et d’un examen de la situation. Macron a fait preuve à cette occasion d’une psycho-rigidité inquiétante. Elle n’est pas le fait d’un homme politique responsable. Elle révèle « en même temps » un narcissisme, qui n’est devenu que trop évident, et une certaine fragilité, les deux n’étant nullement contradictoires. Le Chef de l’Etat ne veut pas céder parce que cela atteindrait sa personne, et parce qu’il a, une fois pour toutes, décidé que tout recul ébranlerait l’ensemble de sa politique. C’est évidemment le contraire : si, dès le début, tenant compte de la montée du prix du pétrole, le gouvernement avait adapté ses mesures au contexte dans lequel vivent de nombreux Français « périphériques », il aurait pu facilement surmonter l’obstacle. En se raidissant inutilement, et semble-t-il en désaccord avec son Premier Ministre, Jupiter, tombé de l’Olympe depuis l’affaire Benalla, a fait glisser clairement la contestation sur sa personne.
Au-delà de cette fragilité conjoncturelle du pouvoir macronien, deux autres éléments concourent à le mettre en péril. D’abord, la contestation, voire la révolte, est spontanée. Elle naît un peu partout dans le pays en rassemblant des gens qui pour beaucoup n’ont aucune obédience , ni partisane, ni syndicale. Il n’y a pas de leader incontestable et les contacts pris ne peuvent être qu’informels et flous. Ils ne peuvent conduire à une négociation débouchant sur un accord. En second lieu, et ceci explique en partie cela, c’est le pouvoir tout entier qui a quitté le sol de notre démocratie. Celle-ci pouvait décevoir, mais elle était parvenue à un rythme régulier fondé sur le bipartisme. En cassant celui-ci et en empêchant la troisième force, le Rassemblement National, de prendre place dans l’alternance, comme les travaillistes avaient succédé aux libéraux au Royaume-Uni, un intrus est arrivé au pouvoir après une sorte de coup d’Etat médiatico-judiciaire suivi de l’exclusion d’un parti représentant un tiers des Français. Qu’on aime ou non ce parti, ce n’est pas sain. Macron a été élu par défaut, et la majorité exorbitante qui a été envoyée à l’Assemblée est hors-sol. Elle ne remplit pas son rôle faute d’expérience, de représentativité locale, voire parfois de sérieux. Au garde-à-vous devant un Président qui n’est pas le Général de Gaulle, elle dévalue le pouvoir législatif et n’est d’aucun secours, pourtant, pour un Chef d’Etat en difficulté.
Certains préconisent une dissolution de cette Assemblée peu représentative. Cela paraît justifié en raison de sa déconnexion d’avec le peuple. Mais qui peut penser qu’un Président complètement isolé, sans relais dans le pays, détesté par les Français qu’il a méprisés, et face à une Assemblée hostile pourrait remplir son rôle, et cela au profit du pays ? La seule solution est malheureusement de revenir sur l’erreur initiale : son élection. C’est lui qui doit démissionner et laisser les Français élire un successeur. Ce contre-temps coûteux sera préférable à la descente aux enfers que connaîtra le pays avec le maintien au pouvoir d’un homme qui n’est pas fait pour cela.
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