Nous proposons dans cet article la notion de contre-révolution absolue et sa nécessité comme résolution de la crise protéiforme qui frappe notre temps. En effet, nous ne traversons pas seulement une crise économique, mais aussi et surtout une crise humaine, dont l’économie n’en est que le signe le plus évident.
1. La révolution permanente
1.1 État des lieux
Si Léon Trotsky pensait, dans la lignée de Karl Marx, que la révolution devait être permanente, ils oubliaient tous les deux que par nature elle ne peut que l’être, mais sous une forme plus discrète et directement liée à la nature humaine.
La révolution s’inscrit dans le cadre de l’évolutionnisme (1) au sens large, et elle a pour moteur le matérialisme dialectique, qui affirme que l’humanité évolue dialectiquement. La dialectique est le postulat-méthode selon lequel l’homme et la nature s’expliquent l’un par l’autre, et constituent une totalité originaire, dans le sens que la dialectique des choses produirait la dialectique des idées, qui conduirait à la synthèse historique : la société sans classe. L’absolu du matérialisme dialectique est le devenir humain de la nature ; cette méthode est censée décrire le processus par lequel la nature devient sujet humain, et consiste concrètement à « saisir les choses et les concepts dans leur enchaînement, leur relation mutuelle, leur action réciproque, leur naissance, leur développement et leur déclin » (2). Nous comprenons pourquoi elle s’applique essentiellement à l’histoire, et pourquoi elle justifie la tendance naturelle de l’être humain à se tourner vers la révolution, dans l’espérance d’une société idéale dont tout le monde rêverait. Si la méthode d’action du matérialisme dialectique semble peu représentée, la méthode de connaissance issue de cette doctrine reste actuelle.
Les révolutionnaires pensent qu’ils peuvent changer le monde, et construisent leur politique sur cette idée de changement. Ils méprisent par ce biais une des lois scientifiques les plus basiques : le Second Principe de la Thermodynamique, qui dit que dans un système fermé (3) la dégradation d’énergie (au sens physique) augmente spontanément, à moins qu’un apport d’énergie extérieure conséquente soit fait. Autrement dit, tous les systèmes se dégradent spontanément (à commencer par le système « corps & environnement proche »), mais ils sont relativement entretenus par l’apport d’énergie extérieure (4). Le fait que tous les systèmes se dégradent fait qu’une inversion globale de la dégradation est impossible. Même le soleil, qui donne une énergie phénoménale à notre planète, est un astre en dégradation, qui s’éteindra un jour. La révolution est, plus profondément, l’acte conséquence de la croyance en la possibilité d’inverser la dégradation naturelle qui frappe la société, parce qu’elle frappe de la même façon chaque individu. Malgré cet impossibilité manifeste, on dépense une énergie phénoménale, qui entraîne bon nombre de morts dans la plupart des cas, à plus ou moins long terme, et on concentre la dépense d’énergie de toute une société pour entretenir cette croyance. Tout est illusion. Cela fait la joie de ces sacrifiés, qui sont dans le même rêve d’une perspective heureuse, qui défiera leur condition d’êtres humains. On dépense sans cesse pour justifier cette inversion de dégradation, qui n’a finalement pas lieu du tout ! L’histoire l’a montré, analogiquement la science le montre, et nous pouvons de plus nous en rendre compte facilement en analysant le réel dans la vie quotidienne. Sachant que la dégradation d’énergie de l’univers ne cesse d’augmenter, nous voyons mal comment un système dans cet univers pourrait à terme inverser définitivement ce processus à son échelle, vu qu’il aurait alors besoin pour ce faire de toute l’énergie disponible de l’univers rien que pour ne rester que constant, ce qui dépasse complètement l’entendement.
Le révolutionnaire pense que le changement est possible, et il s’appuie sur la matière, tout comme un éleveur de chevaux le fait pour en tirer les « meilleurs » éléments, par des croisements génétiques. Cependant ces chevaux, s’ils sont plus « beaux », ont le génome dégradé, et ces dégradations sont récessives ; ils sont de plus incapables de se débrouiller dans la nature aussi bien que leurs semblables sauvages. La reproduction avec une race sauvage ré-enrichit d’ailleurs ces allèles (5) et on ne voit jamais dans la nature d’évolution spontanée vers ce qui serait un stade supérieur. Au lieu de cela, on y voit :
– la lutte contre la dégradation naturelle à grand renfort d’énergie apportée, ce qui ne suffit pas pour empêcher la mort inéluctable ;
– l’adaptation au milieu ambiant si celui-ci change, ce qui ne peut se faire qu’en perdant de l’information génétique, ou du moins en la transformant sans apport supplémentaire (6).
Même Eörs Szathmáry et John Maynard Smith, deux des plus grands théoriciens évolutionnistes, avouent dans la revue Nature (N°374, mars 1995, p 227-232), qu’ « il n’existe aucun fondement théorique pour croire que les lignées évolutives deviennent plus complexes avec le temps, ni aucune donnée empirique pour établir que cela se produit. » Nous pouvons donc constater que l’évolutionnisme n’explique pas la réalité comme elle est dans toute sa complexité, et curieusement nous remarquons que la notion d’évolution est corrélée à la notion de révolution : les deux se basent sur le changement nécessaire au comblement d’un prétendu manque lié à la nature de la société et/ou des êtres, qui devraient donc nécessairement se transformer ou être transformés pour pouvoir enfin vivre correctement, en cohérence optimale avec le réel.
Cette notion de révolution est en fin de compte directement liée à l’être humain et à notre désir d’une nature dans laquelle nous préférerions vivre, ce qui n’est pas du tout la même chose que la nature réelle. Dans notre orgueil nous croyons que nous pourrons vaincre la dégradation que nous subissons, en changeant la réalité. Mais cela ne marche pas. Du fait de cette tendance, renforcée par l’individualisme moderne, il apparait que nous sommes dans un état de ce que nous appellerions « révolution permanente », qui commença au Péché Originel.
C’est la révolution permanente, modernisée et industrialisée, qui apporta le nazisme, le fascisme, le communisme, le démocratisme, et même dans une très moindre mesure le royalisme positiviste de l’Action Française (7). D’une manière générale toute idéologie est par définition un acte révolutionnaire, car elle implique une confrontation avec le réel, alors qu’il faudrait s’unir à lui dans son intégralité pour bien le connaître, ce qui est impossible par les moyens humains dont nous disposons.
L’être humain ne peut être changé, ou alors nous aurions déjà inventé l’immortalité. Faudra-t-il attendre encore des durées farfelues pour enfin observer la liberté absolue de l’homme ? Nous semblons bien mal partis… Comment croire qu’une pensée peut arriver à être un jour parfaite alors que nous savons qu’un corps ne peut y arriver ? La pensée n’est pas possible sans neurones : l’existence en tant qu’être est nécessaire à la pensée.
Nous sommes donc bel et bien, dans un état de révolution permanente, car cette tentation est naturelle : c’est l’orgueil de nous imaginer que nous pourrons nous sauver nous-même ou par des luttes de classes et d’idées, et évoluer ainsi vers un nouvel âge. Nous le voyons en constatant l’inflation des revendications individualistes de notre système démocratique, et la mentalité ambiante encouragée par le progrès de la technique. Nous avons aujourd’hui inscrit dans nos consciences la croyance en notre possibilité de changer les choses. Cela est illusoire : nous ne pouvons tout au plus que limiter et ralentir la dégradation générale, et nous devons le faire.
1.2 Conséquences
Il est intéressant d’analyser le sens de « révolution », littéralement un « tour sur soi-même ». Si la révolution est permanente, cela veut dire que nous tournons sans cesse, ce qui est le cas, politiquement surtout. Nous pouvons en effet nous rendre compte que tous les cinq ans le système politique change d’orientation doctrinale (on dira plutôt « sentimentale »…) , c’est un fait, et un nouveau tour commence, sans compter les multiples retournements de veste.
Or, et l’analogie est curieusement parlante, en mécanique, lorsqu’un support tourne, tout objet situé à sa surface subit deux forces, appelées force d’inertie d’entraînement et force d’inertie de Coriolis. La plus connue est la première, qui est la force centrifuge. Cette force éloigne l’objet du centre, et si celui-ci y est accroché, il est fractionné tôt ou tard, selon la vitesse et la durée de la rotation possibles. La deuxième est plus subtile, et est utilisée en météorologie pour prévoir la trajectoire des cyclones à la surface du globe. Cette force entraîne une déviation de la trajectoire de l’objet considéré à la surface du support en rotation, puisqu’elle agit perpendiculairement à cette trajectoire.
Nous pouvons alors comparer cela avec la notion de révolution permanente. Y-a-t-il aujourd’hui dans notre système officiel un point fixe, un point de convergence vers lequel tout le monde s’entendrait ? Observe-t-on un éloignement par rapport à des repères supposés fixes ? Les idées politiques sont-elles les mêmes qu’auparavant ? Qui peut prétendre qu’il n’a jamais dévié ? Qui peut prétendre qu’il n’est pas écartelé par son époque ?
Ceci étant, il n’y a pas de limite dans la dégradation générale, et la logique révolutionnaire n’a en conséquence pas fini d’exister. Pour en sortir il apparaît alors indispensable de trouver un centre, un point fixe sur lequel il n’y a pas de « rotations ». Nous allons voir que seul l’Être Paradigme qu’est le Christ peut répondre à cette exigence.
2 La nécessité d’une contre-révolution épistémologique
2.1 L’épistémologie
La révolution permanente s’inscrit comme nous le disions précédemment dans un cadre évolutionniste au sens général. Le fait que nous soyons naturellement attiré par cette manière d’appréhender le réel est lié à notre orgueil, et caractérise une épistémologie (ou théorie de la connaissance, c’est-à-dire un système de connaissance du réel, une manière de connaître le réel) qui est le fondement d’une très grande partie des idées actuelles, et dans tous les partis politiques, pour la simple raison que la République est déjà en elle-même une idéologie.
Cette épistémologie n’est pas remise en cause, ou alors d’une façon très minoritaire, et est fortement ancrée dans l’esprit contemporain. Pour rester cohérent, il ne faut pas faire une révolution épistémologique, mais une contre-révolution épistémologique. Il nous faut chercher le point fixe de la connaissance, auquel il faudra ramener tout : l’Être. Mais jusqu’à l’avènement du Christ, la notion d’Être reste du domaine de la métaphysique, et n’est pas pour ainsi dire rendue accessible par l’expérience sensible, même si tout le monde peut comprendre qu’être c’est être (8). À cela s’ajoute la formule scolastique « ens et unum convertuntur », que Leibnitz reformule ainsi : « Ce qui n’est pas vraiment un être n’est pas non plus vraiment un être ». Se recentrer est donc nécessaire pour retrouver son intégrité et être en plénitude. Mais quel centre choisir ? Le Christ semble être le meilleur parti.
2.2 Le réalisme christique contre les idéologies
En conséquence, nous suggérons que la seule manière de ne pas être dans une logique de révolution permanente consiste à refuser toute idéologie quelle que soit son origine. L’idéologie est par définition une ponction du réel complexe par l’esprit humain, utilisée ensuite pour modifier la réalité selon ses désirs. Nous comprenons que nous ne pouvons pas échapper à cette tendance, et l’expérience nous le confirme.
Cependant, un modèle unique y échappe : le Christ. Tel qu’il est présenté dans les Écritures, il est perpétuellement dans le réel, et ne tombe jamais dans une idéologie. Ainsi en tant que “Dieu Homme”, il est libre face à Ponce Pilate de renier sa nature divine ou sa nature humaine, ce qu’il ne fait jamais, de même par ses relations avec son entourage. Il est de plus le seul qui inverse complètement la dégradation d’énergie en ressuscitant les morts, en soignant les maladies incurables et mieux que cela : en guérissant les âmes. L’objet de cet article n’est pas d’étudier le Christ, mais il apparait très rapidement qu’au-delà du modèle de charité il incarne un unique modèle à la portée universelle, que nous appelons Être-Paradigme. Le Christ apparaît alors comme l’unique point fixe, le centre sur lequel l’appui ne faillit jamais, le « chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6). Il est l’être qui unit la métaphysique à la démarche empirique, dans sa nature de « vrai Dieu et vrai Homme », et par cette caractéristique il offre, tout en gardant son mystère, le modèle absolu de toute connaissance du réel.
La contre-révolution absolue est le Christ, et il semble que rien ne puisse le surpasser. L’histoire nous l’a maintes fois montré, ne serait-ce que par défaut.
2.3 Que faire aujourd’hui ?
Nous voyons donc que nous sommes actuellement dans une logique de révolution permanente, auto-engendrée par un modèle d’analyse du réel basé sur l’orgueil de croire qu’il est possible d’inverser la dégradation que nous constatons. Il apparaît donc que le seul véritable moyen de limiter la crise soit de se recentrer sur un point fixe dans le réel et d’analyser le réel à partir de ce point fixe. Le Christ est le seul être-paradigme à pouvoir répondre à cette nécessité, et c’est pourquoi nous proposons une contre-révolution épistémologique, afin de sortir de notre prisme d’analyse actuel. Nous savons que nous ne pouvons pas changer le monde, mais nous pouvons malgré cela limiter la dégradation et la ralentir à l’aide de et par ce modèle et de tout ce qu’il implique (il est indispensable de le considérer comme un tout ancré dans le réel, sous peine d’en produire un nouveau système idéologique). La crise se ralentira alors d’elle-même sur tous les plans, même si nous aurons encore à assumer les conséquences de nos actes passés, dont l’ombre ne se tarira jamais. Nous savons que ce modèle ne fera pas l’unanimité, mais plus les personnes en auront conscience, moins la réalité sera difficile. Idéalement, la crise pourrait être résolue (9) par ce moyen, mais en pratique il semble malheureusement difficile de mettre en place cette contre-révolution absolue à grande échelle.
Nous proposons donc, malgré un pessimisme heureux assumé, la devise : « sainteté d’abord ! », qui implique l’action politique à la mesure des capacités de chacun, et qui la rend sainte, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit parfaite : elle nécessite des sacrifices. La sainteté réside dans l’unicité de chacun empruntant le chemin du Christ, ce qui conduit à sanctifier toute action. Cette formule n’est pas opposée au « politique d’abord », et elle n’est pas personnaliste. Nous n’avons rien à voir avec le slogan personnaliste : « Spirituel d’abord, économique, ensuite, politique à leur service ». En effet nous sommes dans la pratique, du fait que l’on devient saint par les actes, et ces actes ont toujours une portée sur le bien commun plus que sur notre bien propre, dans la mesure où ils prennent le chemin du sacrifice de soi. Cette formule de la « sainteté d’abord » prend en compte le fait que le bien commun est primordial à cause de son caractère diffusif à tout ce qu’il englobe, et que le bien de chacun est obtenu uniquement par le sacrifice de chacun pour le bien commun.
1. Ainsi, et ce n’est pas un hasard, Marx, dans sa correspondance avec Lassalle, dira : « Le livre de Darwin est très important et me sert à fonder par les sciences naturelles la lutte des classes dans l’histoire ».
2. Engels in Dialectique de la nature.
3. La notion de système fermé est conceptuelle : elle n’est qu’une modélisation, et n’a pas la prétention d’invalider le fait qu’aucun système n’est réellement fermé.
4. En effet : l’action de se nourrir apporte l’énergie nécessaire à la lutte du corps contre la dégradation spontanée, qui culmine dans la mort et dans la décomposition du cadavre.
5. différentes versions d’un même gène issues de mutations ou de recombinaisons génétiques
6. On pourrait objecter à cela le phénomène de recombinaison génétique, mais celui-ci utilise des antécédents, et ne crée pas ex nihilo de nouveaux caractères, cependant il assure malgré cela la diversité au sein d’une population.
7. Cette contre-révolution maurrassienne étant d’une certaine façon révolutionnaire, même si une bonne partie de la doctrine est vraiment contre-révolutionnaire, l’empirisme organisateur par exemple.
8. Ceci est le principe d’identité.
9. Ce qui n’enlèverait alors pas les conséquences des actes passés, mais éviterait de nouvelles erreurs.
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