La France n’a pas de pétrole, mais elle a des idées. Plein. Malheureusement, à mesure qu’elles s’accumulent, on se rend compte qu’une majorité d’entre elles sont… pourries.
Et quoi de mieux que la capitale du pays pour illustrer que l’enfer est pavé de bonnes intentions, qu’elles sont glissantes et qu’on y dérape donc facilement au point de se faire mal ?
Prenez l’idée lumineuse qui consiste à remplacer, de force et pas trop doucement, les voitures, les camions et autres camionnettes, par toute une cornucopie de nouveaux moyens rigolos de déplacement, depuis la trottinette électrique jusqu’au monocycle (électrique aussi) en passant par le vélo, éventuellement électrique aussi.
Avant le confinement, on sentait déjà les limites de ce brillant concept, depuis les déboires de la mairie avec le prestataire de bicycles louables jusqu’à la tendance nette à l’augmentation des accidents graves sur ces engins (et, souvent, sous ceux de la municipalité) ; augmentation en 2018, augmentation en 2019 (y compris sur trottinette), augmentation en 2020, la tendance n’était pas bonne.
Le confinement aura été l’occasion de graver les bonnes habitudes dans le marbre : beaucoup de mairies de grandes villes ont profité de l’occasion pour accroître massivement le nombre de pistes cyclables, et la disparition notoire d’une grosse partie des automobilistes a laissé croire que les choses allaient durablement changer en faveur des cyclistes.
Depuis, le constat ne fait plus guère de doute : plus on met de vélos sur les routes, plus il s’en gamelle. Eh oui : avec un vélo, on peut aller du point A au point B, ou à la morgue aussi parfois.
Mais n’oublions pas l’idée initiale : nos villes ne doivent plus devenir des autoroutes à ciel ouvert, et tout devra donc être fait pour, d’une part, rendre la vie des automobilistes impossible et d’autre part, y faire le maximum de place pour les petits pédaleurs.
Reconnaissons au moins aux pouvoirs publics un succès certain dans cette première mission puisque circuler en voiture dans les grandes villes françaises est maintenant devenu un véritable calvaire qui expliquera certainement, dans les décennies à venir, nombre de dépressions, suicides, épuisements et altercations violentes au sein de la société française. Gageons que lorsque des économistes étudieront avec attention la perte de richesse que cette idée aura entraîné, leurs conclusions seront soigneusement cachées devant la hauteur de l’outrage au bon sens et toute la misère engendrée…
D’autant qu’à force d’ajouter des vélos sur des vélos, les bouchons d’automobiles ont petit-à-petit fait place aux bouchons pédaliers dans lesquels il devient difficile, voire dangereux, de se déplacer : victime de son succès, le vélo encombre maintenant une infrastructure citadine qui, malgré les ajouts assez souvent malheureux et pas trop bien conçus, reste sous-dimensionnée pour l’afflux de frétillants pédalomanes…
Cyclistes dont, au passage, on mesurera assez précisément la conversion écologiste lorsque pluie, verglas et froidure seront de retour cet hiver ; il n’est pas invraisemblable d’imaginer que la mauvaise saison arrivée, les grandes villes se dépeupleront un peu de leurs petits pédaleurs qui tenteront alors de retourner aux modes de déplacement plus traditionnels… Pour retrouver des routes largement réduites et donc ultra-encombrées, des rames de métro collées-serrées et des RER aux performances de plus en plus aléatoires.
Certes, on pourra me reprocher de brosser ici un tableau bien pessimiste d’une situation qui ne l’est pas tant. Et ma foi, c’est vrai puisqu’avec ce renouveau du vélo dans nos villes, c’est aussi toute une gamme de nouvelles activités qui a vu le jour, à commencer par une recrudescence des vols en bande organisée, comme a récemment pu le découvrir une équipe de journalistes.
Si, d’un côté, on se rassurera en se disant que ces vols permettent à toute une économie parallèle de se mettre en place et à un nombre important de personnes d’en vivre, sans parler de ceux qui, à l’autre bout du monde (ou de l’autre côté de la Méditerranée, disons) profiteront de l’aubaine que constitue un solide biclou Décathlon, youpi et tant mieux pour les échanges Nord-Sud surtout lorsqu’ils sont sains et basés sur une entente mutuelle ahem broum broum patati patata, d’un autre côté, on ne pourra s’empêcher de noter que notre équipe de journalistes a réalisé en quelques heures un travail que la police, pourtant rémunérée pour ce faire, semble absolument incapable de réaliser.
Mais baste, passons : si les uns et les autres devaient faire correctement leur travail, comment voudriez-vous que la France reste ce bordel désorganisé et coûteux qui attire tant de monde ?
On le comprend : le vélo a envahi les rues des villes de France, pour le plus grand bonheur des écolos, des amoureux de la petite reine et des contempteurs de l’automobile. On devra cependant noter que ce changement profond montre de façon flagrante le décalage de plus en plus pervers entre une petite partie de la population, qui a les moyens de ses ambitions décroissantes et limitatives, qui peut se permettre de pédaler sans être trop chargé pour aller d’un point A en ville à un point B, en ville aussi et pas trop éloigné, et une population qui n’a aucun de ces luxes, doit absolument composer à la fois avec la taxation, les restrictions et les vexations en constante augmentation sur les véhicules motorisés et sur l’impact négatif et grandissant de la première population, pourtant largement minoritaire, sur sa qualité de vie.
Comme, de façon intéressante, la première de ces deux populations vit essentiellement du travail, de la disponibilité et du pouvoir d’achat de la seconde, on comprend intuitivement que ce mouvement général ne pourra pas continuer éternellement, ou en tout cas pas dans ces termes.
À un moment donné, à force de taxes, de bouchons et d’emmerdes invraisemblables, on va arriver à l’épuisement complet des seconds au détriment des premiers. Au paroxysme, nous aurons tout plein de cyclistes, mais ils seront tous chômeurs.
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