Fleur Pellerin veut euthanasier le crowdfunding en France

Tous les jours, nous frôlons la catastrophe. Et tous les jours, le gouvernement, par son action décisive et intelligente, nous en protège. Vraiment, que ferait-on sans lui ?

Alors que les Américains sont sur le point de, justement, répondre à cette question, en constatant, comme les Belges il y a quelques années avant eux, que sans gouvernement, finalement, ça se passe très bien, en France, nous, au moins, n’aurons pas besoin de nous la poser : nous avons un sacré nom d’une pipe de gouvernement qui bosse comme quatre. Et à en juger par le rythme de son travail, on devrait s’en réjouir.

Prenez Fleur Pellerin (délicatement, parce qu’on la devine frêle malgré ses airs de politicienne capable d’écraser des chiots avec son talon) : grâce à son ministère, elle est parvenue à montrer une aptitude assez stupéfiante à fourrer son museau dans une quantité invraisemblable de dossiers dans lesquels elle n’entendait à peu près rien, mais pour lesquels chaque intervention se sera soldée, outre un bon quart d’heure de rigolade pour le chroniqueur que je suis, par un échec cuisant, une idée idiote ou une taxation ridicule et contre-productive (au choix, panachage possible).

Comme actuellement, chaque ministre est frénétiquement en train de tout faire pour que les médias s’intéressent à lui, avec une réussite mitigée pour certains, il était inimaginable que le petit appendice ministériel déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique ne fasse pas une action tonitruante pour que son nom apparaisse enfin dans l’alerte automatique Google qu’elle a certainement fait mettre par l’un des techniciens chevronnés qu’elle garde enfermé dans l’une des caves humides de son ministère.

Et c’est donc sur la finance alternative qu’elle a jeté son dévolu. En plus, ça tombe assez bien : cela faisait un moment que le lobbying des banques l’asticotait avec ce sujet, et que Bercy cherchait un moyen de calmer les ardeurs de certains sur le sujet.

Justement, pour le camper un peu, précisons de quoi nous parlons. La finance alternative dont il s’agit ici est celle appelée « crowdfunding » outre-Atlantique, ou finance participative de ce côté-ci. L’idée est fort simple : si vous avez une idée géniale et pas un rond pour en financer la production ou le développement, vous exposez votre projet, ses tenants et ses aboutissants sur internet, et vous offrez aux internautes la possibilité de vous financer ; en échange, ceux-ci reçoivent au choix un retour sur investissement, les produits qu’ils ont donc simplement « prépayés », des parts d’entreprises, etc… En fait, on peut imaginer n’importe quel type de motivation (son nom associé au projet ou même la seule joie d’avoir aidé une idée géniale à prendre vie). Des sites (comme KissKissBankBank ou KickStarter) se sont d’ailleurs rapidement montés sur le principe où une foule d’individus (crowd) va donc financer (fund) un projet ; du côté du site, une petite commission est prélevée pour les frais de fonctionnement, qui sont en pratique les frais inhérents à la mise en contact de ces centaines de milliers de créditeurs avec ces centaines d’inventeurs ou de créateurs.

Vous noterez que, jusqu’à présent, l’État ou plutôt les États, puisqu’on est sur internet, n’interviennent pas du tout, et cela, depuis plusieurs années. De la création est lancée, de la finance est engagée, des risques sont pris et l’État n’a pas mis son groin humide au milieu de ces interactions humaines ? C’est intolérable ! Comme absolument aucun des acteurs concernés (les créateurs d’un côté, les internautes de l’autre, et les sites de crowdfunding au milieu) n’avait besoin de rien et n’a rien demandé à personne, Fleur Pellerin a (plus que probablement) jugé indispensable de répondre aux pressantes demandes du cartel bancaire français pour saboter tout ça bien vite.

Et si je dis saboter, c’est parce qu’en lisant la consultation ouverte par l’Autorité des Marchés Financiers, on ne peut qu’arriver à cette conclusion. L’idée n’est absolument pas d’encadrer la finance participative, comme on serait tenté de le croire à la lecture des quelques articles qui en parlent. Ou alors, si on parle d’encadrement, ce sera celui qu’on utilise pour les planches entomologiques sur lesquelles sont punaisés de jolis papillons. L’idée est bel et bien de réduire cette finance particulière à son expression la plus triviale : le crowdfunding en France sera donc cette action qui consistera, pour un nombre limité pardon encadré de personnes (jusqu’à 1200 maximum) à financer un projet en lui accordant une somme limitée pardon encadrée (jusqu’à 250 euros maximum).

 

Bien sûr, nous précise la ministre et l’AMF, tous ces seuils sont appelés à évoluer. Mais ils les ont fixé bien bas et bien ridicules pour éviter que tout ceci ne débouche bêtement sur un truc qui pourrait fonctionner. On ne sait jamais : on commence comme ça, et en moins de deux, on se retrouve avec une Silicon Valley à la française, de la croissance et moins de chômage. Allons. Du calme. Pas de ça chez nous.

Et au-delà de ces seuils ridicules finement calculés, la lecture même rapide de la proposition de régulation ne laisse aucun doute : il s’agit de bien vite museler toute tentative de faire éclore un système de financement parallèle en dehors du giron rassurant des banques, que l’État s’est largement approprié à coup de lois et de normes (le code bancaire français est un régal à ce sujet).

Comme d’habitude, on retrouve les excuses habituelles pour justifier la distribution de coups de tonfas normatifs et de matraques télescopiques législatives. Comme il était difficile de dire ouvertement qu’avec cette consultation, on ouvrait un débat afin de lutter contre le terrorisme (excuse bidon n°1 de tous les interventionnismes récents), on se sera rabattu sur la sécurisation du pauvre public, habituellement trop niais pour distinguer les idées légitimes des petits marioles qui tentent de détourner du pognon facilement en lançant une industrie massive de tire-bouchons en plastique rose.

Bref : par un déversement d’articles aux alinéas palpitants, le projet propose d’obliger les organismes de financement participatif à se déclarer et s’immatriculer, obligatoirement en France (hein, pas de blague dans les Caïmans, on t’a vu venir, petit aigrefin, oh, hé !), et surtout entend règlementer absolument tous les petits aspects, des plus évidents aux plus pointus, qui pourraient échapper aux acteurs actuellement sur le marché, qui sont manifestement trop cons pour y avoir pensé dans leurs contrats passés de gré à gré.

Rappelons-le ici : mise à part quelques benêts qui avaient probablement émis de vagues remarques sur le mode « Oui mais si untel se tire avec le pognon de Tante Ginette qui n’est pas trop maline et s’y connaît mal sur les interwebs ? », il n’y avait guère de demande, ni de la part des créateurs, ni de la part des investisseurs, ni de la part des sites de crowdfunding pour ce genre d’usine à gaz législative encombrante.

Mais non, rien ne les arrête : comme c’était libre, entre adultes consentants, il FALLAIT absolument légiférer !

Le plus drôle est qu’en parallèle à cette volonté d’airain d’encadrer rigoureusement la façon dont les Français entendent dépenser leur pognon dans des initiatives créatrices de leur choix, l’Etat s’est attelé, depuis des décennies, à ne surtout pas encadrer même de loin la façon dont lui dépense le pognon des Français dans des idées aussi idiotes que délétères.

Eh oui, m’ame Pellerin, elle est où, la consultation qui permettra aux Français de hurler « Non, Je Ne Veux Pas De Ça Avec Mon Pognon ! » à la dernière lubie gouvernementale, la «garantie-jeune», qui consiste à arroser d’une finance über-participative les jeunes de 18 à 25 ans (pour leurs projets de trafic d’armes et de drogue) ? Il est où, l’encadrement qui accompagnera nécessairement cette nouvelle allocation mensuelle d’un montant égal au RSA socle (soit 434 euros) et destinée à ces jeunes qui n’avaient pas, jusqu’à présent, accès au RSA ?

Parce que voyez-vous, m’ame Pellerin, à ce rythme, l’État, qui ressemblait déjà à un gros distributeur à primes et subventions, va devoir trouver un encore plus gros paquet de milliards d’euros dont il n’a pas le début de l’ombre pour parvenir à arroser cette population dont la dernière des envies est de tomber dans l’assistanat le plus tôt possible. (Encore que…)

Eh oui, m’ame Pellerin : votre idée, déjà parfaitement insupportable en ce qu’elle se mêle d’un truc qui fonctionnait très bien sans vous avant, est en plus en parfaite opposition avec ce que le reste du gouvernement fait dans votre dos. Vous ne pouvez pas demander une régulation ou un encadrement d’une forme de financement si, de l’autre côté, la coterie de clowns qui vous sert de camarades ouvre en grand les vannes d’une autre forme de financement.

C’est du n’importe quoi parfaitement, chimiquement, pur. Et ce n’importe quoi permet d’affirmer, haut et clair, que ce pays est foutu.

> h16 anime le blog hashtable. Il est l’auteur de Égalité taxes bisous.

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56 Comments

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  • 0 / 10
  • mariedefrance , 4 octobre 2013 @ 10 h 26 min

    comment le peut-on ?”

    Je ne sais pas Bernard.

    Attendons peut être que NdF refasse un papier sur le sujet……… si vaste, si personnel et
    tellement polémique ! :-)

  • bibsou , 4 octobre 2013 @ 11 h 49 min

    Au lieu d’être idiots essayer déjà de faire un bon travail de journaliste (ce dont je doute fortement) et lisez correctement les recommandations de fleur pellerin. Ce n’est qu’une partie du crowfounding qu’elle veut soumettre à une réglementation. De plus encadré une telle chose n’est pas si mauvais que cela. Parfois certains ne saven pas où partent réellement l’argent qu’ils dépensent…

  • XanderSX , 4 octobre 2013 @ 12 h 22 min

    Bandes d’imb******… Encore un coup de génie dont seul l’Etat français a le secret.
    300 000€ max’ par projet, c’est qu’on va aller loin avec ça… M’enfin, c’est génial de se sentir désormais en sécurité, protégé des gros escrocs qui sévissent là-dehors et sur la toile, prêts à nous voler notre bourse ! Elle restera dispo’ pour nos politiciens et leurs taxes !

  • Charles , 4 octobre 2013 @ 12 h 39 min

    MdeF,
    C’est l’église gonciliaire de V2 qui est contrôlée
    par les sataniques et non pas l’église “romaine” éternelle.

    Toutes les institutions gonciliaires de V2
    sont infiltrés par les réseaux opaques,toutes…
    Conférence des Evêques,Ecole Catholique,Secours Catholique
    etc etc etc

  • Olivier , 4 octobre 2013 @ 13 h 09 min

    Dans un journal du soir, on peut lire que “le gouvernement a proposé trois modifications juridiques” :
    “La première concerne la création d’un statut de conseiller en investissement participatif, qui, à condition d’obtenir un agrément de l’Autorité des marchés financiers, n’aurait pas besoin de disposer de fonds propres. A l’heure actuelle, il faut avoir 750 000 euros en caisse pour se lancer dans une telle activité.
    La deuxième simplifie les démarches en cas d’appel public à l’épargne. Pour les levées de fonds comprises entre 100 000 et 300 000 euros, il suffira d’un document de trois ou quatre pages pour présenter le projet et son modèle économique. D’ordinaire, un tel document pèse environ 500 pages si les investisseurs mettent plus de 100 000 euros sur la table…
    Enfin, la troisième proposition bouleverse le monopole des banques sur les prêts rémunérés. Les banques ne seraient plus les seules à pouvoir prêter de l’argent moyennant intérêts, à condition de ne pas dépasser 300 000 euros par projet, et 250 euros par personne et par projet.”

    Que’en est-il ?

  • mariedefrance , 4 octobre 2013 @ 13 h 17 min

    Alors, Charles, qui dirige l’Eglise romaine éternelle ?

  • Anna C , 4 octobre 2013 @ 13 h 19 min

    Bravo pour ton article!
    La France est foutue avec ce genre de personne au pouvoir, c’est certain. Honte à Fleur Pellerin! Il faut vraiment être faible d’esprit (pour ne pas dire débile). Elle est une plaie de plus dans l’économie française.
    J’espère sincèrement que Mme Pellerin fera un pèlerinage sans billet retour, loin de la France, pour le bien de tous!!

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