Le Président « jupitérien » est-il normal ?

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La succession des trois derniers présidents français suggère deux lectures entre lesquelles l’avenir décidera quelle est la plus juste. Jusqu’à Jacques Chirac, les présidents avaient été « normaux », c’est-à-dire qu’ils avaient revêtu les apparences de la fonction présidentielle. Giscard, en voulant la moderniser, l’avait quelque peu désacralisée, mais derrière les signes parfois forcés du rapprochement avec les citoyens, comme les repas chez certains d’entre eux ou le petit-déjeuner des éboueurs à l’Elysée, la distance demeurait, ne serait-ce que par la distinction quelque peu aristocratique du personnage. Mitterrand a, ensuite, restauré quasi-pleinement le culte du monarque républicain. Chirac, avec plus de simplicité, mais aussi moins de majesté, a plus déçu par le contenu inexistant que par la forme. Le « roi fainéant », comme disent les mauvaises langues, a donc laissé place à un hyperactif que ses adversaires ont pu qualifier d’agité. C’était le premier président à transgresser la norme. Il n’était pas passé par une grande école, ni joué un rôle de premier plan depuis longtemps comme Mitterrand. Seul un dynamisme hors du commun le caractérisait, avec des actions remarquables notamment en matière de sécurité, des formules fortes qui l’ont fait élire, sur le travail ou le rétablissement de l’ordre, et aussi des manoeuvres politiciennes habiles ou des synthèses inattendues, par exemple la suppression de la double peine pour les immigrés. Sarkozy renouvelait la politique. L’habit présidentiel ne l’a revêtu qu’à moitié. Malgré quelques beaux coups, par exemple au moment de la présidence européenne de la France, la stupide ouverture à gauche, l’intervention libyenne, l’étalage permanent d’une vie privée et affective, ont été autant de signaux de l’imperfection présidentielle. Il y avait une béance entre l’homme et la fonction que quelques dérapages verbaux ont révélée. Toutefois, l’échec de 2012 a été d’autant plus relatif que la crise financière avait pesé lourd quasiment sur l’ensemble du mandat. Son successeur, un énarque laissait croire que l’on allait retrouver la normalité. Lui-même se voulait un « président normal ». Le quiproquo fut total. Les Français voulaient un président qui correspondît à l’idée qu’ils se faisaient de la fonction. Lui voulait parler d’un président qui fût comme tout le monde. Le résultat fut désastreux. Le manque de charisme et parfois de dignité, l’étalage indécent d’une vie intime décousue, les erreurs de communication à répétition et les résultats calamiteux d’une politique incohérente ont, hélas pour notre pays, jour après jour, démontré que leur président clochait, qu’il n’était pas normal du tout. Il est donc parti sans gloire, mais non sans rappeler ce qu’il était vraiment, un tacticien de la cuisine politique, un secrétaire de parti. Il a donc réussi le double exploit de détruire son ancien parti qui avait échoué à se moderniser et ne lui avait pas facilité la tâche, mais aussi d’empêcher la victoire légitime et attendue de l’opposition, désormais au bord de l’éclatement. Son missile s’appelle Macron. La question qui se pose est de savoir si celui-ci est enfin notre « président normal » ou si malgré la prosternation permanente des grands médias, et peut-être à travers elle, il n’est pas le plus « anormal » des trois.

Du côté des normes, on trouve l’énarque, intellectuellement pointu, dont le verbe est maîtrisé jusque dans l’ambiguïté. La communication est également l’objet de soins attentifs qui ne laissent aucune place à l’improvisation ni au laisser-aller. Des sondages positifs réalisés par les médias amis, qui sont nombreux, jalonnent le parcours. 62% des Français approuveraient ainsi la communication présidentielle. Un physique plutôt avantageux, une aisance dans le comportement, un maniement précis de la langue, française, mais aussi anglaise, une réputation d’esprit brillant, flattent l’amour-propre national, quelque peu malmené ces dernières années. Mais, au-delà de ces apparences, surgissent bien des signes inquiétants. Le premier réside dans l’abîme qui sépare le caractère grandiose de la mise en scène et la densité très faible du personnage. Tous ses prédécesseurs avaient un bilan, une histoire mêlée à notre Histoire. Déjà celui de Hollande était trop léger. Celui de Macron est nul : il n’a rien fait d’exceptionnel pour notre pays. Il n’a même rien fait du tout, à part avoir été deux ans ministre de l’économie. Les derniers chiffres pointés par la Cour des Comptes, notamment un dérapage budgétaire de 9 Milliards, ne plaident pas en faveur des conséquences miraculeuses du passage du sieur Macron à Bercy. Déficit, endettement, dépense publique, prélèvements obligatoires, chômage : tous les signaux sont au rouge. Certes, le Président élu entend réformer rapidement par ordonnances, mais bien des reculs annoncent déjà que la révolution prétentieusement revendiquée n’aura pas lieu. On en restera à la tuyauterie des vases communicants plus qu’à la reconstruction. Le choix de la CSG, au lieu de la TVA, pour alléger les charges est sur ce point alarmant. On prendra aux uns pour donner aux autres en ne renforçant notre compétitivité qu’à la marge. En fait, l’excès, l’anormalité résident déjà dans le déséquilibre entre le faire et le faire savoir, entre l’action gouvernementale et le spectacle présidentiel. Poussant jusqu’au bout l’américanisation absurde de nos institutions, le Président fera donc chaque année à Versailles un discours sur l’état de la France devant le Congrès, et il commence par brûler la politesse au Premier Ministre, qui n’interviendra qu’ensuite devant l’Assemblée Nationale pour sa déclaration de politique générale. Versailles à nouveau, après la pyramide du Louvre, le « président jupitérien » souffrirait donc de mégalomanie ? Sa conception du pouvoir sans partage devrait soulever l’inquiétude. Comme il n’a pas franchi de pont d’Arcole, c’est à un autre Napoléon, lui aussi jeune président, qu’il fait songer, devenu Napoléon III au début d’une aventure qui s’est achevée à Sedan.

Surtout, dans l’utilisation de cette possibilité ouverte par la révision constitutionnelle de 2008 voulue par Sarkozy, il y a une dérive qui nous éloigne des Etats-Unis, et cette fois d’une manière préoccupante. Certes, le Président américain parle devant le Congrès, mais les élections de l’un et de l’autre sont distinctes. Il arrive fréquemment que les scrutins de mi-mandat renversent la majorité. Les élus à un seul tour dans des circonscriptions, souvent ancrées politiquement, dépendent peu du Président. Les pouvoirs sont donc équilibrés. En France, l’élection législative entérine désormais l’élection présidentielle. Elle fournit au président une majorité pour cinq ans. Cette fois, le renouvellement a été considérable et paraît fournir au chef de l’Etat une armée de godillots inexpérimentés. C’est d’autant plus troublant qu’ils ont été appelés à signer un engagement de voter les lois proposées par l’exécutif. Il y a là une sorte de mandat impératif qui est une entorse à l’esprit de notre constitution. Le recyclage législatif de plusieurs ministres concernés par des enquêtes, trois parlementaires de l’ancienne majorité de gauche présidents de commission, le choix de Thierry Solère, « républicain » empressé d’illuminer le nouveau roi, comme Questeur, au mépris des coutumes parlementaires, sont autant de petits dérapages qui devraient éveiller la vigilance. En l’absence de tout mérite particulier tant de pouvoir doit-il susciter l’enthousiasme béat ou l’inquiétude ?

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1 Comment

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  • Gisèle , 4 juillet 2017 @ 0 h 36 min

    Je pense aux tirades lancées par Belmondo dans : le magnifique .
    Ne trouvez vous pas qu’i y a de quoi faire un montage humoristique ( et tellement adapté ! )

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