Tandis qu’au Brésil, l’équipe de France retrouve des couleurs, la France réelle offre un paysage de désolation où alternent les chiffres désastreux du pouvoir et les « affaires » calamiteuses de l’opposition. Quels que soient les résultats du Mondial et les passions qui auront animé beaucoup de Français, ces spectacles sportifs de grande qualité n’ont rien à voir avec la réalité du pays. On peut même s’inquiéter de leur capacité à détourner l’attention des vrais problèmes. Les opposants à Salazar au Portugal disaient qu’il s’appuyait sur les trois « F », Fatima, Fado et Football. On peut s’interroger sur la force du troisième y compris en France. Certains hommes politiques se donnent beaucoup de mal pour faire croire qu’ils s’intéressent au football et pour associer leur image à l’équipe nationale. La ficelle démagogique est un peu grosse. C’est au moment où le football français collectionnait les titres que la France se lançait dans une politique suicidaire de réduction du temps de travail et faisait l’impasse sur les réformes absolument nécessaires.
En 1977, Alain Peyrefitte publiait « Le Mal Français ». Ce ministre du Général de Gaulle y faisait une analyse à la fois brillante et sévère du fonctionnement de notre pays. Il est aussi l’auteur de « Quand la Chine s’éveillera ». Quarante ans plus tard, chacun peut vérifier la justesse de ses vues. Pour ce gaulliste libéral, le fil conducteur était la question cruciale du choix à faire pour la vie sociale et politique entre la société de confiance et la société de méfiance. Dès 1947, il avait rédigé un essai sur ce thème.
L’ancien Président de la République vient d’être mis en examen, pour corruption active, trafic d’influence, et recel de violation du secret de l’instruction. Quelles que soient les décisions de la Justice, ce sont les eaux troubles du pouvoir qui sont ici, si on ose dire, en pleine lumière. Qu’il y ait eu des conversations qui se voulaient secrètes entre politicien, avocat et magistrat de la plus haute juridiction du pays est établi et suggère l’existence de tout un réseau de connivences dans les coulisses des pouvoirs que l’on veut séparés. Le secret n’en a pas été gardé parce que des écoutes ont permis de saisir des échanges entre un client et son avocat, entre celui-ci et son bâtonnier. La transparence souhaitable dans une société démocratique saine est ici doublement altérée. Les entretiens entre un justiciable et son conseil devraient être protégés. Pour autant faut-il laisser dans l’ombre les turpitudes des hommes publics ? L’opacité qui les abrite semble justifier les atteintes portées aux libertés. La méfiance engendre la méfiance. Si l’on ajoute à cela que l’engagement politique virulent de certains magistrats fait douter de leur objectivité, c’est de bout en bout l’ensemble de nos institutions qui éveille le soupçon : délinquance politique et justice politique, même combat… sous les yeux décillés du public. L’ombre du « mur des cons » du Syndicat de la Magistrature planera toujours sur un de ses membres traitant un dossier politique. Or les affaires liées aux hommes politiques, aux partis, aux campagnes, et à l’exercice du pouvoir ont envahi les médias, du fait divers graveleux au mensonge sordide, de la tricherie aux élections aux factures falsifiées. Au-delà de ce qui regarde la justice, le mensonge qui consiste à prendre le pouvoir en promettant la lune sans même avoir étudié la trajectoire pour l’atteindre, la dissimulation continue de l’état réel de notre pays par les gouvernements qui se succèdent, doivent aussi soulever la suspicion. Au-delà du monde politique, c’est aussi la méfiance qui règne. La France n’a pas procédé aux réformes structurelles indispensables, non seulement en raison du manque de courage et de sérieux des politiciens, mais aussi à cause de l’absence de confiance entre les partenaires sociaux. Alors que syndicat et patronat devraient dialoguer, chacun essaie d’obtenir le succès de ses intérêts auprès de l’Etat. La prise en compte de la pénibilité dans le calcul des retraites, que les syndicats attendent avec impatience et dont le patronat ne veut pas, vient d’être repoussée par le gouvernement. La Suède avait mis huit ans pour réformer de façon exemplaire son système de retraite, mais elle était parvenue au consensus, parce que la vie publique y repose sur la confiance.
Les Français sont tolérants. Les sondages révèlent qu’ils ne font confiance ni en leurs politiciens ni en leurs magistrats. Mais, ils acceptent que leurs dirigeants soient malins, pas toujours honnêtes et très libres de leur vie privée. Ils sont même capables de les réélire en connaissant leurs vices. Le déclin du pays, le nouvel homme malade de l’Europe, ne leur paraît pas lié à la « démoralisation » de vie publique envahie par des gens assoiffés d’un pouvoir dont ils n’ont pas le talent et pourtant incapables de faire autre chose. C’est donc bien d’une révolution dont les Français ont besoin. Celle-ci passe par l’instauration d’une société de confiance, qu’on ne saurait espérer de la classe politique qui encombre aujourd’hui les allées du pouvoir. Si on ne change pas une équipe qui gagne, que doit-on faire des équipes qui perdent tour à tour ?
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