Lorsque Chirac a créé le RPR, deux perspectives s’entrelaçaient : l’une consistait à remettre le gaullisme à la tête du pays, alors que Giscard d’Estaing était Président de la République après avoir battu sévèrement le gaulliste Chaban-Delmas au premier tour de l’élection présidentielle et instauré une présidence qui se voulait moderne et libérale. Le gaulliste Chirac avait abandonné Matignon en claquant la porte et laissé la place à Barre qui se voulait gaullien , mais n’était pas du tout gaulliste. Les ministres étaient en partie des membres du RPR, mais il s’agissait plutôt de ceux qui avaient soutenu Chaban-Delmas en 1974, alors que Chirac avait « trahi » son camp en soutenant Giscard d’Estaing, d’une façon décisive en lançant un appel soutenu par 43 signataires en faveur de celui-ci. Dans les trois gouvernements Barre, les gaullistes historiques, ceux de 1940, comme Galley, ceux de 1944 comme Guichard, et ceux de 1958, comme Peyrefitte auront un poids décisif. Yves Guéna, autre baron du gaullisme sera aux côtés de Chirac après avoir soutenu Chaban-Delmas, mais profondément nationaliste, il sera l’un de ceux qui pousseront le président du RPR à lancer l’Appel de Cochin contre la politique européenne des centristes. Galley et Guéna avaient rejoint la France Libre dès Juin 1940, et combattu dans la 2e DB du Général Leclerc. Ils appartenaient à cette race d’hommes qui servent plus qu’il se servent. Peu à peu, ces hommes qui avaient connu et servi de Gaulle vont être remplacés par des hommes d’appareil, experts en propagande, en manoeuvres politiciennes et parfois en coups tordus. Beaucoup seront toutefois animés par des convictions fortes. Charles Pasqua illustre assez bien cette seconde catégorie : l’objectif gaulliste est toujours là, d’une France indépendante et grande. Mais le parti prend au quotidien le pas sur la patrie, ce qui est l’exact contraire du gaullisme. Autour de Chirac naît une nouvelle génération, celle qui arrive par les cabinets et l’esprit de carrière plus que par les convictions et l’esprit de sacrifice. Deux rivaux apparaissent : Juppé, qui a voté Krivine en 1969, et n’est ni gaulliste, ni encore moins de droite ; Seguin, qui lui s’affirme nettement gaulliste, mais plutôt de gauche, et soutiendra l’abolition de la peine capitale à l’Assemblée. Autour d’eux les ambitions foisonneront avec la volonté de réformer le RPR, et la droite en général, après l’échec cuisant de 1988. Ils en feront un parti attrape-tout, avec de multiples candidats à la succession. Entre temps, en 1983, ils auront profité de la vague bleue aux municipales pour générer une nouvelle caste de barons, députés-maires, Noir à Lyon, Carignon à Grenoble, Seguin à Epinal et Barnier, président du Conseil Général de Savoie. Comme souvent, la décentralisation mitterrandienne profitera surtout à des hommes de droite qui tailleront leurs fiefs. Dans la région parisienne, Chirac raflera les 20 arrondissements de la capitale tandis que de nombreuses citadelles communistes tombaient. Balkany s’emparait ainsi de Levallois-Perret. Ces noms sont lourds de sens : certains évoquent des « affaires », d’autres montrent l’étendue des différences qui séparent désormais les gaullistes : quoi de commun entre l’eurolâtre Barnier et le souverainiste Seguin ?
Chirac ne se remettra jamais vraiment de l’échec de 1988. Son ambiguïté politique va se découvrir sans cesse davantage. Chirac aura été un animal politique hyperactif, très efficace auprès de Pompidou, d’un dynamisme inouï en campagne, connaissant par coeur toutes les circonscriptions du pays, mais on serait bien incapable de définir une ligne à sa pensée. Le RPR paraît plus « à droite » que l’UDF centriste créé par Giscard, mais s’il est ferme sur les questions de sécurité et d’immigration, et soutient une liste souverainiste aux européennes de 1979, il est affublé par son fondateur du titre de « travaillisme à la française », au moment même où les conservateurs de Mme Thatcher prennent le dessus au Royaume-Uni. Lorsque la droite gagne les élections, malheureusement à la proportionnelle, de 1986, Chirac, Premier Ministre de cohabitation, épaulé par l’autre « brillant second » de Pompidou, Balladur, et par Pasqua, pratique une politique clairement à droite, qui vient se briser sur la mort de Malik Oussekine, en décembre 1986. Face au machiavélique Mitterrand, Chirac n’a pas fait le poids, mais la gauche qui gagne les élections gouverne d’une façon à ce point systématiquement désastreuse, que la droite reprend le pouvoir en 1993 par un véritable ras-de-marée. C’est Edouard Balladur cette fois qui est à Matignon. Pour avoir participé directement aux péripéties cette période, j’en ai tiré la conclusion que la capacité de Balladur à gouverner était très supérieure par sa compétence et sa cohérence à celle de Chirac, mais que ce dernier savait faire campagne, ce qu’ignorait totalement l’autre. Le génie de Seguin poussa Chirac à attaquer Balladur sur sa gauche au nom de la fracture sociale qu’il fallait refermer. A peine élu président, Chirac confia Matignon à Juppé qui oublia la fracture sociale pour payer les factures et redresser les comptes, régler aussi ceux de quelques-uns. Le RPR se déchira. Balladur et le nouveau venu, Sarkozy, furent mis à l’index. Les questions de personnes l’emportaient largement sur les débats idéologiques. Le gaullisme ? La droite ? La guerre des chefs n’allait plus cesser. Le RPR n’était déjà plus qu’un panier de crabes aux pinces mortelles. C’est alors que Villepin et Juppé convainquirent Chirac de dissoudre l’Assemblée avant que la crise économique prévue par les experts survienne… La droite sacrifia la meilleure majorité jamais obtenue et fut battue. Elle avait plus que jamais mérité son titre de « plus bête du monde » ! Le monde connut l’embellie économique du changement de millénaire, et la France ne fit pas les réformes qui étaient plus que nécessaires, vitales ! (à suivre)