Ça y est, c’est décidé : François Hollande a frappé – mollement – du poing sur un coin de table en décidant, dans la précipitation et l’effervescence des dernières minutes, de jouer à redessiner la carte de France : il y aura donc 14 grandes régions au lieu de 22, sous réserve de quelques ajustements cosmétiques lors des prochains débats au Parlement. Et François Hollande se frotte les mains : voilà de quoi envoyer des signaux apaisants à une Commission de Bruxelles impatiente de voir les réformes enfin se concrétiser, et à des Français qui s’interrogent de plus en plus sur la capacité à trancher et à décider du Président de la République. Pourtant, c’est bien tout le contraire qui risque d’arriver. Et les élus locaux appellent déjà la fronde…
En premier lieu, reste à savoir si l’objectif de réduire la dépense publique et de simplifier l’administration des territoires sera atteint. Et à cet égard, il y a de quoi s’inquiéter : beaucoup redoutent de voir dans ces régions redécoupées dans une logique douteuse – c’est à dire après des arbitrages rendus afin de ménager les susceptibilités des barons PS locaux – une totale absence de cohérence économique, culturelle et identitaire. Mais plus grave encore, on ne voit pas poindre une quelconque rationalisation du millefeuille territorial, dont la réforme a été renvoyée aux calendes grecques : la suppression des départements n’aurait pas lieu avant 2020 ou 2022 , et rien n’a été annoncé sur la suppression de la clause générale de compétence ou sur la diminution des dotations de l’État aux territoires. Pour Jean-Luc Bœuf, spécialiste des collectivités territoriales à l’Institut Montaigne, « on ne supprime pas le département, on transfère simplement ses compétences. Quant à la fusion de deux régions, elle ne générera en termes de fonctionnement que des microéconomies. » D’autres redoutent même de voir dans ces super-régions des monstres de technocratie qui justifieront l’embauche de fonctionnaires toujours plus nombreux, sans que l’on perçoive une réelle volonté politique de supprimer les doublons dans la fonction publique territoriale. Faute de faire ne seraient-ce que des micro-économies, la réforme risque même de générer encore plus de coûts à long-terme.
Les Français attendent de cette réforme autre chose qu’une simple fusion de régions qui risque d’accoucher d’une souris : des économies substantielles, une clarification des compétences territoriales, et surtout le respect des identités régionales auxquelles ils sont viscéralement attachés. En bref, l’enjeu véritable est de concilier tradition et modernité.
Loin de toute velléité nostalgique, on peut toutefois raisonnablement imaginer un retour à des régions inspirées du découpage des anciennes provinces, en les réadaptant aux données du XXIe siècle. Elles remplaceraient les départements, ces entités froides, trop nombreuses et désincarnées, imaginées par les révolutionnaires de l’Assemblée Constituante il y a plus de deux siècles. En effet, la nécessité de rejoindre deux préfectures voisines en une journée à cheval, qui présidait à leur création, est devenue, à notre époque, quelque peu contestable… À l’inverse des départements, les anciennes provinces, loin d’être des réalités désuètes, avaient le mérite, pour la plupart, d’être d’une taille intermédiaire entre la région et le département tels qu’ils existent actuellement. Bien évidemment, il ne s’agirait pas de reproduire exactement la carte de France de l’Ancien Régime – cela n’aurait absolument aucun sens– mais de chercher à mieux coller à des réalités identitaires, culturelles, et linguistiques qui sont restées immuables, en dépit des aléas de l’Histoire. Ces provinces reconstituées pourraient donc s’organiser autour de grands pôles macro-régionaux lorsqu’il s’agira de financer et d’organiser des projets d’infrastructures, des politiques macro économiques, et des coopérations communes.
En effet, une, piste intéressante, comme l’a évoqué récemment le député maire UDI de Neuilly Sur-Seine, Jean-Christophe Fromantin, pourrait être de créer des macro-régions qui se substitueraient quant à elles aux 22 entités existantes. Celles-ci seraient organisées autour des grandes métropoles françaises et de leur bassin d’attractivité, loin de tout arbitrage centralisateur et planificateur, ce qui serait nécessairement voué à l’échec. En premier lieu, on retrouve évidemment la capitale, Paris, une grande métropole d’envergure européenne comme Lyon, mais aussi des villes tournées vers l’Europe du Nord et de l’Est comme Lille et Strasbourg, ou bien le port de Marseille, ouvert sur la Méditerranée. Pour corriger le déséquilibre de ce découpage, penchant légèrement vers l’est du pays, d’autres régions s’organiseraient autour de métropoles régionales comme Bordeaux, Nantes, ou bien Clermont-Ferrand. Toutefois, Jean-Christophe Fromantin exclut tout échelon territorial inférieur entre ces régions et les communes. Or, le danger de se passer de subdivisions de taille intermédiaire risque, à l’instar du redécoupage proposé par le Président de la République, d’éloigner toujours plus les décisions des réalités du terrain, de rendre leur coordination plus malaisée, et, in fine, et de rendre les politiques publiques moins efficaces et plus couteuses.
Il va également de soi que cette recomposition territoriale passe par une autonomie accrue, par une responsabilisation plus grande de ces nouvelles collectivités et par une meilleure clarification de leurs pouvoirs respectifs. C’est en appliquant réellement le principe de subsidiarité, en collant aux plus près des enjeux économiques de notre temps et aux réalités identitaires et culturelles qui les ont précédé et qui les poursuivront, que la réforme territoriale à venir sera mieux acceptée et mieux réussie. L’enjeu est conséquent, et cela suppose d’éviter de rendre les derniers arbitrages sur un coin de table après d’interminables tergiversations…
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