Les Français se frottent les yeux chaque matin en se demandant comment ils ont fait pour être gouvernés d’aussi pitoyable façon. Le spectacle de l’opposition ne les rassure pas. C’est l’ensemble de la classe politique qui est rejetée. Mais il faut reconnaître à la gauche un rare talent pour révéler l’amateurisme et la médiocrité de notre personnel politique.
C’est sur un coin de table qu’a été bouclé hier soir le « big bang » territorial, ce grand projet présidentiel, fait à la va-vite comme on colle du papier peint sur un mur lézardé pour en cacher les trous. Cette opération de communication condense en elle tout ce qu’il faut évacuer de notre politique. D’abord, ce n’est pas une grande réforme, contrairement à ce que le pouvoir veut faire croire. C’est une manipulation politicienne à court terme qui se réduit comme toute la politique française, et pas seulement depuis deux ans, à une opération de communication. Au tréfonds des sondages, ne parvenant pas à obtenir le moindre résultat probant sur le plan économique et social, et ne pouvant espérer de sa politique confuse et contradictoire aucun succès à bref délai, notre incroyable Président a pris un dossier qui peut être traité assez rapidement afin de donner l’illusion d’une réforme structurelle menée à bien. On observera que l’une des premières décisions de la majorité actuelle a été d’annuler la fusion des mandats de conseiller général et de conseiller régional, étape vers la suppression du département. On prétend donc faire une révolution alors qu’on a entravé celle beaucoup plus importante que l’on pouvait conduire plus logiquement, mais dans les pas de la majorité précédente. Politiquement insupportable !
La profession politique est la seule où les professionnels font preuve d’un amateurisme sans limite. A force de prétendre s’occuper de tout entre Paris, sa terre d’élection, et la bougeotte nationale, voire internationale, on ne connaît plus rien en profondeur, on n’a plus le temps d’approfondir. Le bons sens commandait la suppression de l’échelon départemental, fruit de la Révolution et dont les limites correspondent à une journée de cheval. Le regroupement des compétences au niveau régional, la suppression de la clause de compétence générale ne présentaient aucune difficulté et auraient généré de substantielles économies. La réduction à 14 régions fera gagner non pas 10 milliards mais 2 selon René Dozière, ce député socialiste qui sait compter. La prétendue nécessité du Département pour la ruralité ne tient pas, notamment si l’on élit les conseillers régionaux par circonscription, ce qui évitera d’abandonner la politique de proximité aux partis et à l’idéologie. Mais nos « spécialistes » ont tardivement pris conscience qu’une réforme touchant aux départements exigeait une révision constitutionnelle. Comme ils avaient besoin de quelque chose tout de suite, ils ont opté pour une modification du contour des régions. Le regroupement est farfelu. Si la Normandie ou la Bourgogne unies sont logiques et auraient dû être instaurées depuis longtemps, l’Alsace-Lorraine est une réalité trompeuse. C’est l’annexion allemande d’un seul département lorrain qui a créé ce trait d’union entre deux provinces dont l’identité et l’histoire sont distinctes. La réunion de la Picardie et de la Champagne, de la mer aux austères forêts de Haute-Marne, n’a aucun sens. On a même l’impression que pressés par l’heure et la nécessité de publier un communiqué, on a collé tout ce qui restait au milieu de la carte : Centre, Limousin et Poitou-Charentes, d’Orléans à La Rochelle et à Limoges, sans la moindre cohérence. Par ailleurs, on ne touche pas à la Corse ni à l’Outre-Mer. On ne détache pas certains départements dont l’intégration régionale est discutable, les Ardennes ou la Loire-Atlantique.
Les crânes d’oeuf qui encombrent les palais de République ont donc pondu une carte qui procède d’une idée abstraite : avoir des régions plus fortes. Comme si la disparité en taille et en poids économique des entités fédérées posait un problème à l’Allemagne, à la Suisse ou aux Etats-Unis ! Ils semblent avoir voulu instaurer des planchers : environ 3 millions d’habitants pour la Bourgogne et l’Aquitaine un peu en dessous ; 1 Milliard de budget pour la Bretagne. Les différences demeureront considérables avec les poids lourds : Rhône-Alpes-Auvergne ou Ile de France. Surtout, aucune cohérence géographique ni historique n’a été prise en compte. L’identité, ça n’existe pas pour un énarque, encore moins lorsqu’il est socialiste. L’ouest du Massif Central sera rattaché au sud de la région parisienne ; l’Est sera dans la même région que la Savoie, Nantes ne sera toujours pas bretonne, le littoral sera arbitrairement associé à l’intérieur profond ; même la notion de métropole d’équilibre naguère promue par la technocratie semble avoir été oubliée. Mais surtout, le grand oublié par le pouvoir privé d’une légitimité réelle à défaut de légale pour une réforme de ce type, c’est le peuple ! Un peuple dont il a peur et dont il voudrait se passer. Il faudrait un référendum pour les départements. Pour les régions, chouette, on peut faire sans. Le canton du Jura suisse, le 26e et dernier a été créé par référendum lorsque les Bernois francophones ont décidé de se séparer du canton de Berne. On mesure le ravin qui sépare une véritable démocratie de notre système.
A l’abri du peuple, nos professionnels-amateurs et néanmoins énarques sont aussi des copains. La réforme est aussi un arrangement entre amis pour ne pas dire entre copains de chambrée. Mme Royal ne voulait pas de l’Aquitaine, elle aura donc le Centre et le Limousin. L’Alsace avec la Lorraine penchera moins à droite, le Nord-Pas-de-Calais sera préservé d’un risque de basculement à droite, si on le mariait à la Picardie, mais surtout, on gagnera un semestre pour éviter la bérézina socialiste dans les départements et les régions avec l’espoir de meilleurs chiffres entre-temps. Une réforme fondée sur l’intérêt général et le salut de la France par des politiques voués au Bien Commun ! On vous l’avait bien dit !
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