Lettre ouverte à Dominique Venner

Monsieur,

Si vous aviez choisi de vous suicider chez vous, dans vos toilettes ou dans votre cave, je n’aurais pas eu à vous écrire cette lettre, car je n’aurais, somme toute, pas grand-chose à dire de votre acte. Mais vous avez fait le choix de vous donner en spectacle à Paris, dans la cathédrale la plus admirée de France, et de vous y donner la mort en signe de protestation politique, selon la lettre que vous avez laissée. C’est bien parce que votre acte est un geste politique et non personnel que je me vois incité à réagir.

De par le battage médiatique soulevé par votre acte, vous avez déjà gagné la bataille de l’image et du bruit. Votre nom et votre pensée sont maintenant connus de tous. Vous avez habilement su manipuler les singes journalistes, et cela a fonctionné à merveille. Votre éditeur se frotte les mains, puisque vous lui avez permis de réaliser une publicité événementielle exceptionnelle pour votre dernier livre en préparation. En effet, il déclare que votre acte revêt « une puissance symbolique extrêmement forte » qui vous rapprocherait d’un grand auteur japonais ayant lui aussi mis volontairement fin à ses jours. Peut-il y avoir quelque chose de plus fort comme acte publicitaire et situationniste qu’un suicide minutieusement préparé ?

Pour moi, sachez-le, vous n’êtes ni un brave, ni un samouraï, ni un résistant, ni un guerrier. Vous êtes un terroriste intellectuel, tout comme Anders Breivik le fut lorsqu’il assassina froidement 77 personnes en Norvège voici bientôt deux ans, faisant ainsi la promotion de son manifeste identitaire de plus de 1500 pages. En effet, je prends votre acte au sérieux et non à la légère comme le font ceux qui ne voient sous votre geste qu’un acte de désespoir personnel. Vous êtes un terroriste intellectuel parce que vous imposez au monde la violence de votre acte et en vous donnant la mort, vous empêchez que l’on puisse vous répondre. C’est par l’éclat du sang et la frayeur que provoque une mort violente que vous diffusez vos idées.

Vous n’avez certes entraîné dans la mort personne d’autre que vous-même, mais c’est là tout le paradoxe. Un meurtrier peut être jugé, peut être puni pour réparer, même symboliquement, ses actes. Mais un suicidé, non. Qu’attendent les familles de victimes de la part d’un meurtrier ? Pourquoi viennent-elles assister au procès ? Pour tenter de comprendre ce qui a motivé l’acte qui a retiré la vie de l’un de leurs proches, pour savoir si le remords peut naître dans son cœur, pour demander justice, et enfin pour savoir si un pardon sera possible, afin de faire le deuil du drame qui les afflige.

Face au suicide, comment comprendre, comment obtenir réparation, comment pouvoir un jour poser un pardon ? Toute mort violente crie vengeance. Qui vengera la vôtre ?

Je n’ai pas peur de l’abîme qui nous sépare, et c’est pourquoi j’ose m’adresser à vous qui avez fait le crime de vous assassiner vous-même. Votre acte m’a mis en colère, car il est contraire à toutes les valeurs que je défends en me battant notamment contre l’effondrement de notre civilisation à travers la loi Taubira (instaurant le mariage pour les personnes de même sexe). Je défends la vie, sa beauté, son audace, sa force et sa fragilité. Par votre acte, vous encouragez la violence, la colère et la haine. Voilà pourquoi, par cette lettre, j’exorcise la colère que vous avez provoquée en moi afin peut-être d’arriver à vous remercier.

En effet, à la suite de votre acte, de nombreuses personnes se sont mises à vous encenser, vous voir comme un résistant, un héros, un chevalier ou je ne sais quelles sornettes encore. Les mots de « courage », de « respect », de « puissance d’exister » semblaient être sur presque toutes les lèvres. Votre acte m’a permis de voir que toutes ces personnes – militantes comme moi contre cette loi dite du « mariage pour tous » – étaient bien loin de partager mes valeurs. Certains parlent d’honneur et citent en référence le capitaine qui se laisse couler avec son bateau ou encore le japonais bien en vu, qui, face à l’échec se fait seppuku. Je ne vois là aucun honneur, seulement un orgueil tout-puissant et une blessure narcissique que l’on n’a pas le courage d’avouer.

Tous ces gens qui vous admirent sont finalement des partisans de cette vieille droite nationaliste païenne, sans espérance, idolâtre de sa propre violence et engloutie sous les torrents d’une idéologie poisseuse digne d’un surhomme décadent à la sauce wagnérienne. Je vous remercie donc de m’avoir permis d’ouvrir les yeux sur ce qu’étaient véritablement ces partenaires éphémères de combat.

En parlant de Notre-Dame, vous avez évoqué le fait qu’elle fut bâtie sur d’anciens lieux de culte païens, et vous avez ainsi donné à votre suicide une notion de sacrifice. J’accepte cette idée, mais pas comme vous le pensez. En enfonçant librement le canon dans votre bouche, vous vous êtes séparés de votre plus grand bien : la capacité de choisir la vie. Le seul sacrifice que vous avez opéré est celui de votre intelligence. Ainsi, vous n’êtes pas mort en maître d’armes, vous, le passionné des fusils et des revolvers, vous êtes mort en esclave : l’outil aura eu raison de son maître, car le maître a renoncé à gouverner sa vie.

Toute votre vie, vous avez voulu, paraît-il, défendre la civilisation européenne, son héritage et sa culture. Votre dernier acte balaie d’un revers de main tous ces efforts.

Défendre notre civilisation, c’est refuser de s’enfermer dans le désespoir, c’est se tenir debout au milieu d’un monde qui s’effondre, c’est protéger les germes de vie comme autant de miracles à éclore, c’est faire preuve de créativité devant la banalité du monde, c’est montrer de l’audace quand tout le monde baisse les bras, c’est renoncer à la grandeur des siècles passées pour bâtir un présent dont la splendeur n’a pas d’égal, c’est enfin rester auprès de sa femme, de ses enfants, de ses proches et de son peuple quand le jour du combat approche et qu’il nous faut nous montrer solidaires et vaillants, ce n’est pas abandonner les siens dans le bruit et la fureur.

Voilà pourquoi je prends la plume pour vous dire combien votre acte me répugne.

Je vous prie de recevoir, Monsieur, l’expression de mes sentiments écœurés les plus sincères.

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  • Roman Bernard , 5 juin 2013 @ 2 h 08 min

    Houlàlà, un entretien entre Daoudal et Antony !

    Ça devait être intéressant, ça ! ;-)

  • Roman Bernard , 5 juin 2013 @ 2 h 20 min

    Je préfère mourir de douleur dans une tragédie grecque que pourrir d’ennui aux réunions-Tupperware de Madame Le Quennoy.

  • Roman Bernard , 5 juin 2013 @ 2 h 23 min

    « Eh ben m’sieur l’curé ah ben c’est pas bien ça, mais où va-t-on et gnagnagna. »

  • Roman Bernard , 5 juin 2013 @ 2 h 26 min

    « ça reste un suicide et sur ce point l’Eglise est sans concession »

    Eh bien l’Église devra réviser sa doctrine, ou alors elle sera dans l’erreur.

    Bon, cela dit, certains catholiques (dont un abbé) vous contredisent…

  • Louis A. F. G. von Wetzler , 5 juin 2013 @ 2 h 28 min

    UNE MORTE GLORIEUSE AU NOM DE DIEU, DU ROY ET DE LA FRANCE ETERNELLE, MME ÉLISABETH DE FRANCE MARTYRE DE LA FRANCE Avant sa morte elle a chanté “De profundis” en latin,

    “Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur ; Seigneur, écoute mon appel !
    Que ton oreille se fasse attentive au cri de ma prière.
    Si tu retiens les fautes, Seigneur, Seigneur qui subsistera ?

    Mais près de toi se trouve le pardon pour que l’homme te craigne.
    J’espère le Seigneur de toute mon âme ;
    je l’espère, et j’attends sa parole.

    Mon âme attend le Seigneur, plus qu’un veilleur ne guette l’aurore.
    Plus qu’un veilleur ne guette l’aurore, attend le Seigneur Israël.

    Oui, près du Seigneur est l’amour ; près de lui, abondance le rachat.
    C’est lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes.

    Ainsi soit-il ou Amen”

    Texte plaidant pour la cause de Béatification de Madame Élisabeth de France

    Il s’agit d’un texte qui a pour but d’introduire la cause de béatification de Madame Elisabeth, soeur de Louis XVI, à Rome en vue de sa canonisation.
    Le supplice de Madame Elisabeth (par G.Gautherot)

    Madame Elisabeth, Philippine-Marie-Hélène de France (3 mai 1764, Versailles- 10 mai 1794, Paris)

    Le 9 mai 1794, au Temple, vers 8 heures du soir, au moment où Madame Elisabeth, soeur de Louis XVI, et sa nièce, Madame Royale, allaient se coucher, on poussa leurs verrous et on heurta à leur porte.
    Ma tante, raconte la fille de Louis XVI, dit qu’elle passait sa robe; on lui répondit que cela ne pouvait pas être si long, et on frappa si fort qu’on pensa enfoncer la porte (sic). Elle ouvrit quand elle fut habillée.
    On lui dit:
    – Citoyenne, veux-tu bien descendre ?
    – Et ma nièce ?
    – On s’en occupera après.
    Ma tante m’embrassa et me dit de me calmer, qu’elle allait remonter.
    – Non, citoyenne, tu ne remonteras pas, lui dit-on; prends ton bonnet et descends.
    On l’accabla alors de grossièretés et d’injures; elle les souffrit avec patience, prit son bonnet, m’embrassa encore et me dit d’avoir du courage et de la fermeté, d’ésperer toujours en Dieu, de me servir des bons principes de religion que mes parents m’avaient donnés, et de ne point manquer aux dernières recommandations de mon père et de ma mère. Elle sortit.
    En bas, on visite ses poches, on lui fait traverser les cours sous une pluie battante et on la mène en fiacre à la Conciergerie. A dix heures du soir, on l’introduit dans la salle du Conseil, où le juge Deliège, en compagnie de Fouquier-Tinville, lui inflige un premier interrogatoire :
    – Avez-vous, avec le dernier tyran, conspiré contre la sûreté et la liberté du peuple français ?
    – J’ignore à qui vous donner ce titre, mais je n’ai désiré que le bonheur des Français.
    – Avez-vous entretenu des correspondances et des intelligences avec les ennemis extérieures et intérieurs de la République, notamment avec les frères de Capet et les vôtres, et ne leur avez-vous pas fourni des secours en argent ?
    – Je n’ai jamais connu que des amis des Français. Jamais je n’ai fourni de secours à mes frères, et depuis le mois d’août 1792, je n’ai reçu de leurs nouvelles ni ne leur ai donné des miennes.
    – Qu’avez-vous fait dans la nuit du 9 au 10 août 1792 ? [jour de la prise des Tuileries]
    – Je suis restée dans la chambre de mon frère, et nous avons veillé.
    – Je vous observe qu’ayant chacun vos appartements, il es étrange que vous vous soyez réunis dans celui de votre frère, et sans doute cette réunion avait un motif que je vous interpelle d’expliquer.
    – Je n’avais d’autre motif que celui de me réunir toujours chez mon frère lorsqu’il y avait du mouvement dans Paris.
    – Et cette même, nuit n’avez-vous pas été avec Marie-Antoinette, dans la salle où les Suisses étaient occupés à faire des cartouches ?
    – Je n’y ai pas été, et n’ai nulle connaissance de cette salle…
    – Lors de l’évasion du 20 juin, n’est-ce pas vous qui avez amené les enfants ?
    – Non, je suis sortie seule.
    – Avez-vous un défenseur ou voulez-vous en nommer un ?
    – Je n’en connais pas.

    On lui désigna d’office Chaveau-Lagarde. Mais à quoi bon? Donne-t-on un défenseur à la brebis qu’on va égorger? Lisons d’ailleurs la Note historique de Chaveau-Lagarde :
    Je me présentais à l’instant à la prison pour m’entretenir avec elle de son acte d’accusation. On ne voulait pas que je lui parlasse. Fouquier-Tinville eut la perfidie de me tromper en m’assurant qu’elle ne serait pas jugée de sitôt, et il me refusa l’autorisation de conférer avec elle. Le lendemain, qu’elle ne fut pas ma surprise, lorsque, m’étant rendu au tribunal, j’aperçus Madame Elisabeth environnée d’une foule d’autres accusés, sur le haut des gradins, où on l’avais placé tout exprès la première pour la mettre plus en évidence. On la jugea, en effet, dès le lendemain, le 10 mai 1794.

    La “fournée” était de vingt-cinq têtes, et il y avait vraiment de quoi satisfaire les sans-culottes les plus raffinés : il y en avait pour tous les goûts :
    Une Parisienne “vivant de ses revenus”, Denise Briard (52 ans);
    Un ex-employé à l’habillement des troupes, Louis Letellier (21 ans);
    Un tailleur, ex-sous-lieutenant de marine, Charles Cressy-Champmillon (33ans);
    Un ex-officier municipal de la commune de Paris, l’apothicaire Georges Follope (64 ans), qui, de service au Temple, avait manifesté trop de commisération pour les prisonniers royaux;

    De vils aristocrates : la marquise de l’Aigle, veuve (55ans); le comte Leneuf-Sourdeval (69 ans); la marquise de Crussal-d’Amboise (64 ans); Françoise de Canisy, veuve du comte de Montmorin, l’ancien ministre des Affaires Etrangères, acquitté par le tribunal du 17 août 1792, mais massacré dans sa prison en septembre, et son fils, le sous-lieutenant de chasseurs Antoine de Montmorin (22 ans); la marquise de Sénozans, soeur de Lamoignon de Malesherbes (76 ans).
    Puis, un groupe de quatorze personnages, que l’épicier Maure, conventionnel en mission dans l’Yonne, apôtre de la Raison, avait expédiés d’Auxerre au tribunal : Louis-Claude Lhermite de Champbertrand, chanoine de Sens (60 ans); sa soeur, la comtesse de Rosset, femme d’un maréchal de camp (65 ans), et sa parente, Mme de Rosset-Cercy, femme d’un officier de marine (44 ans); trois membres de la famille Mégret : Antoine Mégret-Sérilly, ancien trésorier général de la guerre (48 ans), sa femme (31 ans), et Antoine Mégret d’Etigny, ex-aide-major des gardes françaises (46 ans); plus deux domestiques de la même famille, J.-R. Lhost et Antoine Dubois; le négociant de Sens, Théodore Halle (26 ans); enfin, cinq membres de la famille de Loménie : l’ancien ministre de la Guerre de Loménie de Brienne, l’ancien colonel de chasseurs Alexandre de Loménie (36 ans); l’ancien coadjuteur de l’archevêque de Sens, Martial de Loménie (30 ans), Charles de Loménie (33 ans) et sa soeur Charlotte de Loménie (29 ans).

    Peut-on imaginer plus affreuse hécatombe ? Après la condamnation, Fouquier-Tinville ayant observé à Dumas que la princesse n’avait pas poussé une plainte :
    De quoi se plaindrait-elle donc, Elisabeth de France, répondit avec une gaieté féroce le président du tribunal; ne lui avons-nous pas formé une cour d’aristocrates dignes d’elle? Rien ne l’empêchera encore de se croire dans les salons de Versailles quand elle va se voir au pied de la sainte guillotine, entourée de toute cette noblesse fidèle.
    C’est bien elle, en effet, c’est son âme sublime qui va dominer cette cour sanglante, et c’est sur elle avant tout que s’acharne l’accusateur public.
    Un seul acte d’accusation englobe les vingt-cinq victimes qui s’ignorent ou qui ne se sont pas revues depuis plusieurs années. Un seul témoin est entendu, une femme qui connaissait la marquise de l’Aigle. L’interrrogatoire public est presque inexsistant, et les charges sont nulles et ridicules. Dumas reproche, par exemple, au comte de Brienne, d’avoir été ministre en 1788 et de s’être fait nommer maire par une commune qu’il avait comblé de bienfaits. On les rend coupable, non pas même de ce qu’ils ont fait, mais de ce qu’ils ont pu faire, de ce qu’ils sont présumés avoir fait, des opinions qu’ils doivent avoir :
    Dans un temps de révolution où chacun doit prendre parti, expose le président, on est fondé à présumer que les opinions, bien plus que les convenances, déterminent les rapports sociaux, et se serait blesser la vérité et la vraissemblance que de vouloir admettre les liaisons le patriote et le royaliste, qui sont aussi opposés l’un à l’autre que le protestant avec l’ultramontain.
    En ce qui concerne Madame Elisabeth, les pièces ne sont autres que celles qui ont servi pour Louis XVI et Marie-Antoinette, et cela suffit, puisque l’on la va tuer uniquement en raison de son sang royal, du sang de cette “famille Capet” à qui le peulple français, rappelle Fouquier-Tinville, “doit tous les mots desquels il a gémi depuis tant de siècles”; puisqu’on l’accuse d’avoir elle-même partagé “les crimes de tout genre, les forfaits amoncelés par Capet, de la Messaline Antoinette, des deux frères Capet”… Lisons quelques autres passages du réquisitoire :

    Elisabeth a coopéré à toutes les trames, à tous les complots formés pas ses infâmes frères, par la scélérate et impudique Antoinette, et toute la horde de conspirateurs qui s’était réunie autour d’eux… elle encourage les assassins de la patrie…
    Elisabeth avait médité avait Capet et Antoinette le massacre des citoyens de Paris dans l’immortelle journée du 10 août. Elle veillait dans l’espoir d’être témoin de ce carnage nocturne, elle aidait la barbare Antoinette à mordre les balles et encourageait par ses discours les jeunes personnes que des prêtres fanatiques avaient conduites au château pour cette horrible occupation. Enfin, trompée dans l’espoir que toute cette horde de conspirateurs avait… elle fuit au jour avec le tyran et sa femme et va attendre dans le temple de la souveraineté nationale que la horde des esclaves soudoyés et dévoués aux forfaits de cette cour parricide ait noyé dans le sang des citoyens de la liberté, et lui eût foufni les moyens d’égorger ensuite ses représentants…
    Enfin, on l’a vue, depuis le suplice du plus coupable des tyrans qui ont déshonnoré la nature humaine, provoquer le rétablissement de la tyrannie en prodiguant avec Antoinette au fils Capet les hommages de la royauté et les prétendus honneurs du trône.
    Le nouvel interrogatoire n’est que la mise ne demandes de ces monstrueuses insanités. Madame Elisabeth y répond avec simplicité, une dignité, un calme merveilleux :
    – N’avez-vous pas donné des sions, pansés vous-mêmes les blesssures des assassins envoyés aux Champs-Elysées contre les braves Marseillais ?
    – Je n’ai jamais su que mon frère eût envoyé des assassins contre qui que ce soit. S’il m’est arrivé de donner des secours à quelques blessés, l’humanité seule a pu me conduire. Je n’ai point eu besoin de m’informer de la cause de leurs maux pour m’occuper de leur soulagement. Je ne m’en fait un mérite, et je n’imagine pas que l’on puisse m’en faire un crime…
    – L’accusée Elisabeth, dont le plan de défense est de nier tout ce qui est à sa charge, aura-t-elle la bonne foi de convenir qu’elle a bercé le petit Capet de l’espoir de succéder au trône de son père, et qu’elle a ainsi provoqué la royauté ?
    – Je causais familièrement avec cette infortuné qui m’étais à plus d’un titre, et je lui administrais, sans conséquence, les consolations qui me paraissaient capables de le dédommager de la perte de ceux qui lui avaient donné le jour.
    – C’est convenir, en d’autres termes, que vous nourrissiez le petit Capet des projets de vengeances que vous et les vôtres de faire contre la liberté, et que vous vous flattiez de relevé les débris d’un trône brisé en l’inondant du sang des patriotes.

    Les jurés, les solides -ceux qui condamnaient toujours- étaient éclairés. Et l’on préférerait qu’un avocat n’eût pas fait aux assassins l’honneur d’intervenir. Chauveau-Lagarde, pourtant, se leva et prononça une courte défense dont il écrivit plus tard le résumé : là où il ny a aucun élément légal de conviction, observa-t-il, il ne saurait y avoir de conviction légale; tous les débats consistaient dans les réponses de l’accusée, et ces réponses, loin de la condamner, ne prouvaient que la bonté de son coeur et l’héroisme de l’amitié : la princesse, qui avait été à la cour de France le plus parfait modèle de toutes les vertus, ne pouvait d’ailleurs être l’ennemis des Français… Dumas, furieux, reproche alors à l’avocat de “corrompre la morale publique” en parlant des “prétendues vertus de l’accusée”, et Madame Elisabeth, jusqu’alors insensible à sa propre situation, se montra tout à coup émue des dangers courus par son défenseur.
    La “conviction légale” n’avait cependant rien à voir dans cette affaire; ou plutôt nous savons en quoi elle consistait. Le jugement de condamnation avait été dressé à l’avance et signé en blanc, comme le prouve l’espace vide qui, dans l’original, sépare le corps de l’acte de la formule finale et de la signature des juges.

    Comme d’ordinaire, les charrettes du bourreau attendaient à la porte de la Conciergerie.
    Parquées dans l’étroite et obscure salle des condamnés à mort, assises sur les bancs de bois qui faisaient face à une cloison vitrée, les victimes assistaient à leur toilette funèbre. La vieille marquise de Sénozans (76 ans) se lamentait. La comtesse de Montmorin, après avoir vu massacré son mari, ne pouvait se résigner à voir périr avec elle son fils de vingt-deux ans. Madame Elisabeth, sereine, les réconfortait :
    – On n’exige point de nous, disait-elle, comme des anciens martyrs, le sacrifice de nos croyances; on ne nous demande que l’abandon de notre misérable vie : faisons à Dieu ce faible sacrifice avec résignation.
    Au bout d’une heure, on fit l’appel suprême, et les charette -” les bières des vivants”, disait Barère- se remplirent. Madame Elisabeth monte à l’échelle avec Madame de Sénozans et de Crussol; au Pont-Neuf, le mouchoir blanc qui couvrait sa tête se détache et est ramassé par l’éxecuteur; elle refuse qu’elle le lui remette, et elle va tête nue jusqu’à la place de la Révolution, montrant à tous sa modeste et pieuse sérénité. Le médecin Dacy, qui crois les charettes, rentre chez lui boulversé, et dit à sa femme en pleurant :
    – Je viens de rencontrer un ange allant à l’échafaud !

    [les Parisiens l’appelaient aussi “Sainte Geneviève des Tuileries”, sainte Geneviève (5e s.) étant leur sainte patronne]

    Elle descend la première, s’assied, le dos à l’échaffaud, sur la banquette de bois où l’on attend son tour; puis -raconte un officier municipal, Moelle, témoin oculaire- “répand un angélique sourire sur les compagnons de sa mort, lève les yeux au ciel, les reporte sur eux, et leur dit ainsi que c’est au ciel qu’ils vont se réunir.”

    La vieille marquise de Crussol d’Amboise est appelée la première : elle se lève, s’incline devant la jeune princesse, lui demande la permission de l’embrasser, et va livrer sa tête au bourreau. Les autres femmes l’imitent à son tour, et tout à tout aussi les hommes viennent s’incliner devant la royale victime qu’on a réservé pour la fin. Avant de mourir, le sous-lieutenant de Montmorin répond aux hurlements de la populace par le cri de Vive le Roi! et le domestique, Baptiste Dubois, répète ce cri vibrant.
    Madame Elisabeth récite le De Profundis pour ceux qui déjà ne sont plus. L’avant dernier est le chanoine de Champbertrand, dont elle reçoit une suprême absolution.
    Elle se lève enfin, et monte à l’échaffaud d’un pas si ferme que le bourreau renonce à la soutenir. Au moment où on l’attache, debout sur la planche redressée, son fichu de linon tombe et laisse apparaitre sur sa poitrine une médaille de la Vierge. La planche bascule, et s’accomplit le crime auquel on peut appliquer le mot de Napoléon Ier a prononcé au sujet du supplice de Marie-Antoinette : ” Il y a quelquechose de pire encore que le régicide.” [creux!]
    On n’a pas crié cette fois, Vive la République!

    ” Une odeur de rose, rapporte Madame de Genlis, se répandit sur la place Louis XV.”

    Le corps, décapité, fut placé sur le tas de cadavres qui remplissaient la grande charrette et y baignaient, au fond, dans le sang. Au cimetière de la Madeleine, il fut dépouillé, abandonné ainsi sur le sol, puis précipité dans l’énorme fosse de douze à quinze pieds de longueur et de largeur, de dix-huit pieds de profondeur, dans la fosse commune où les ossements se confondirent à ce point avec les autres qu’il fut impossible de les identifier en 1817.

  • Roman Bernard , 5 juin 2013 @ 2 h 38 min

    « Et ne jugeons pas Samuel Landon, même si ses paroles nous heurtent et nous scandalisent. »

    Il a publié une lettre ouverte, il s’expose donc au jugement des lecteurs.

  • mariedefrance , 5 juin 2013 @ 9 h 18 min

    C’est bien dans le fonds que vous vous justifiez.

    Ce que vous écrivez est en rapport avec ce que vous pensez et donc avec ce que vous êtes.

    “Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire”

    Pour moi, le suicide (que j’ai croisé) est l’histoire d’une seconde.
    une seconde de liberté ……. ou de folie.

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