Avec ce virus, puis cette économie qui part en quenouille, c’est vraiment la crise ! Est-ce une raison pour se laisser abattre ? Est-ce que la France va en perdre ses moyens ? Que nenni ! Fièrement, nous allons, tousse ensemble, tousse, tousse, relever ces nouveaux défis qui se dressent devant nous !
Et pour ouvrir la voie de la réussite française en taillant fièrement dans les ronces de l’adversité à coup de bras vengeur et de glaive séculier, nous disposons fort heureusement d’une solide représentation nationale composée en grande partie de clowns à roulettes trépidant d’impatience à l’idée d’ajouter des taxes, des interdictions, des vexations fiscales ou de proposer des idées d’une pertinence douteuse par les temps qui courent.
C’est le cas de Daniel Fasquelle, un député du Pas-de-Calais affûté comme du beurre chaud, sans sel et de Normandie, qui nous a gratifié d’un petit tweet croquignolet :
Eh oui : notre brave élu en a « marre d’utiliser des outils américains pour communiquer depuis le début du confinement », dit-il en émettant sur la plateforme américaine Twitter à partir de son iPhone américain. Pour lui, il semble nécessaire de mettre en place « un grand emprunt pour aider massivement nos entreprises dans le domaine du numérique », la France se retrouvant maintenant dans l’urgence de « briser notre dépendance sur ce sujet »…
Oui, c’est évident : les semaines qui viennent de s’écouler ont amplement montré que la France manquait de souplesse et d’autonomie dans tous les domaines, à commencer par celui de la santé (pourtant parmi les secteurs les plus administrés et micro-managés par l’État jacobin, centralisateur et obèse) ; rien de tel qu’un petit emprunt national pour améliorer la situation !
Deux mois de merdouillage intense de l’infrastructure publique, depuis ses dirigeants jusqu’à la moindre administration perdue dans ses procédures, sa bureaucratie et ses milliers de petits cerfas mal tamponnés, ont montré qu’elle était incapable de débrouiller des problèmes pourtant trivialement résolus par le marché depuis la production et la livraison de gel hydroalcoolique jusqu’aux respirateurs de réanimation en passant par celles de masques sanitaires. Mais apparemment, pour Daniel Fasquelle, cette même administration, ce même État devraient lancer un emprunt dodu pour favoriser le développement d’outils et de plateformes numériques…
Et puis, alors que la France va sans doute subir le plus gros déficit budgétaire, l’accroissement le plus violent de sa dette, du nombre de ses chômeurs, de ses faillites, de sa pauvreté sur les 50 dernières années, cela semble pourtant être, d’après notre turbulent député, le moment propice pour se lancer dans un emprunt…
On pourra en douter.
Si cette réaction montre quelque chose, c’est bien l’invraisemblable déconnexion de la coterie politicienne française avec la réalité tangible : la dépendance de la France et de l’Europe aux sociétés américaines en matière de technologies de l’information n’est pas neuve, loin s’en faut, et la réponse proposée à cette dépendance est parfaitement inepte. L’innovation a besoin d’un terreau fertile, et ce n’est pas en multipliant les vexations fiscales, sociales et entrepreneuriale de tous ordres comme le font Fasquelle, ses petits copains de l’Assemblée et ceux du gouvernement que la situation va s’améliorer.
Encore une fois, la politique française a plusieurs trains de retard sur l’état des lieux mondial ; rien que les abrutissants débats systématiquement contre les GAFA montre que le regard de ces individus est toujours tourné vers le passé et la taxation de valeur ajoutée, et non vers l’avenir et la création de nouvelle valeur ; quand on n’a qu’un marteau taxatoire dans les mains, tous les problèmes, sociétaux, environnementaux ou technologiques ressemblent à des clous sur lesquels ♩ on va taper, ♫ taper, c’est ♬ leur façon d’aimer ♪.
Et c’est tellement vrai qu’on retrouve exactement les mêmes mécanismes intellectuels derrière le fiasco qui se profile déjà concernant l’application NonStopCovid, dont tout indique que le développement, le déploiement et l’usage vont se traduire par beaucoup de cris, de grincements de dents et bien peu de résultats tangibles : comme le détaillent plusieurs articles (ici, ici et là), le gouvernement a manifestement choisi d’essayer de faire plier Google et Apple dans leur façon de gérer les systèmes d’exploitation des téléphones mobiles sur lesquels la magnifique tentative technologique de traçage citoyen et festif doit tourner.
Pour le gouvernement français, il ne s’agit en effet « que » de forcer les méchants américains à modifier profondément la façon dont leurs logiciels interagissent avec le Bluetooth. Après tout, pouvoir pister les Français serait ici pour la bonne cause. Sauf que les deux géants ont clairement expliqué (les années passées et ici encore) pourquoi non seulement cette idée est mauvaise mais en quoi les dérives possibles sont aussi redoutables qu’évidentes.
Malheureusement, l’esprit français – déjà déployé par le facétieux député dans le tweet précédent – se retrouve ici appliqué d’une façon équivalente : la souveraineté française commande impérativement que les sociétés privées se plient au desiderata ministériel, et puis c’est tout. Peu importe que ceci vole à la face de l’anonymat, du bon sens et même de la praticité technique : les politiciens français décident, l’intendance et la piétaille d’ingénieurs américains suivront, point.
L’observateur habituel des pitreries gouvernementales françaises ne s’étonnera pas de voir, dans cette affaire, que les garde-fous contre les dérives idiotes et/ou totalitaires, ceux qui protègent effectivement les Français, c’est Google et Apple qui savent très bien ce sur quoi débouchent les passe-droits qu’ils auraient à donner au gouvernement français. Dans ce cadre, le marché est bien plus efficace que toutes les menaces gouvernementales : pour Google ou Apple, plier devant la France (ou le FBI américain jadis) revient à fusiller toute crédibilité et toute perspective de faire des ventes plus tard. La perte de confiance, sur un marché concurrentiel, coûte extrêmement cher, au contraire des monopoles d’État et du régalien qui ne s’embarrassent donc que rarement de ce genre de considérations très terre-à-terre…
Si l’on ajoute la volonté farouche de centralisation (eh oui, encore elle) qui a même contraint l’Allemagne et la Suisse à prendre leurs distances avec les velléités françaises, on obtient un tableau dont les remugles d’échec parviennent à se faire sentir même sur internet.
En fait, StopCovid, c’est l’application pratique du principe de souveraineté forcenée que le frétillant député du Pas-de-Calais entend financer à coup d’emprunt national républicain et triomphant : pour ça comme pour le reste, on VEUT du Made In France, quoi qu’il en coûte.
Forcément, ça va bien se passer.
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