L’instruction est un véritable champ de bataille duquel il serait dommage de ne pas profiter pour pilonner consciencieusement nos têtes blondes avec de la bonne propagande étatiste. C’est exactement ce à quoi s’emploie l’Éducation Nationale par le truchement, redoutable, de petits manuels construits pour cette tâche discrète ô combien essentielle pour former notre future élite, celle-là même qu’on voit d’ailleurs déployer avec aisance ses raisonnements affûtés comme du beurre chaud, depuis un mois, tous les soir, place de la République.
Ainsi avais-je noté, il y a quelques temps déjà, une nette tendance, dans certains manuels, à l’infiltration de messages assez orientés politiquement. Entre les manuels de biologie qui dégenraient à tout va ou ceux d’économie dont l’aspect alternatif des enseignements laissaient perplexes, il devenait difficile d’écarter d’un haussement d’épaule l’évident parti-pris des exercices et des textes fournis aux élèves de France.
Oh, bien sûr, on trouve toujours l’un ou l’autre exercice qu’on n’aura aucun mal à classer dans la catégorie, de plus en plus bondée, du WTF, cet aimable fourre-tout où viennent s’échouer les idées plus ou moins baroques de nos éditeurs de manuels qui n’hésitent pas, par exemple, à nous dépoter un petit Claude François pour un exercice SVT (sciences de la vie et de la Terre, apparemment) sur la résistance électrique et les évidents principes de sécurité avant de tripoter des trucs électriques dans son bain (fun et de bon goût, vous en conviendrez).
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Mais quand bien même : à côté de ces … disons trucs ludico-éducatifs pour les petits scholéronautes de l’improbable, on découvre régulièrement d’inquiétantes pépites prosélytes.
C’est donc sans grand étonnement mais avec toujours la même dose de consternation que j’ai appris d’un lecteur (qui se reconnaîtra et que je remercie) que la tendance, pour l’année 2016, ne se dément pas : on découvre, au détour d’une des pages d’un livre d’activités (i.e. un manuel contenant des fiches d’exercices) de Français, à destination des candidats au bac professionnel, une magnifique pleine double-page consacrée à une étude de cas étonnante.
Sous la question « Le progrès peut-il nous rendre malade ? » — déjà quelque peu chargée en elle-même — on peut lire l’interview de Catherine Grèze, député européenne Europe-Ecologie, dont on ne pourra pas dire qu’elle soit particulièrement exempt de toute charge politique claire. En voici une petite copie d’écran :
Cliquez pour agrandir la propagande à sa taille risible
Et comme elle n’est pas forcément très lisible, je vous encourage à aller regarder de vous même sur le site de l’éditeur qui propose très aimablement de fouiller soi-même les pages du manuel.
Mais en substance, l’exercice proposé permet de faire passer un message clair : oui, le progrès peut rendre malade, c’est d’ailleurs une député qui le dit et qui, de surcroît, cite un cancérologue, donc c’est du sérieux, ça, mon brave monsieur, c’est du solide, et ça vaut donc le coup de lister les problèmes et dangers soulevés par cette élue, ainsi que les solutions qu’elle préconise évidemment. On pourra aussi résumer l’article en quelques lignes, transformer les phrases interrogatives directes en indirectes, surligner des chiffres, les classer, souligner des mots (pomme de terre par exemple) et en discuter avec son voisin.
Notez qu’il n’est absolument pas question d’analyser la solidité des éléments proposés ou de remettre en question les réflexions de l’élue. C’est normal, me direz-vous, puisqu’il s’agit d’un exercice de français, mais c’est aussi comme cela qu’on fait passer des idées, des concepts et des discours chez des élèves, même si ces concepts, ces idées et ces discours reposent sur du vent, des approximations ou des affirmations qui, scientifiquement, ne tiennent pas la route. Et justement : il n’est pas dans les attributions du professeur de français de discerner la véracité des discours proposés, ce qui fait de lui, a minima, un accessoire de ce genre de propagande ou, pire, un complice.
Eh oui : le manuel choisit ouvertement de relayer sans le moindre filtre une source indirecte (une élue dont le fond de commerce, comme tout personnage politique, repose avant tout sur l’exploitation de l’émotivité et de la crédulité plus ou moins grandes des votants) qui base son discours sur les propos d’un cancérologue, lui-même largement sorti de son domaine d’expertise et qui ne fait pas mystère de ses positionnements farouchement anti-progrès.
Certes, on étudie du Victor Hugo alors qu’il fut député et certes, on pourrait m’objecter qu’alors, l’étude en cours de français d’un texte politique n’a rien de choquant. Mais voilà : n’est pas Hugo qui veut, et ce dernier, depuis longtemps mort, enterré et panthéonisé, a largement gagné sa place dans la littérature. L’étude d’une interview politique d’une élue d’une formation actuelle ne peut en rien se comparer à ses vibrantes prises de positions engagées, et représente bien un moyen sous couvert d’exercice de français d’enfoncer des idées politiques dans le crâne malléable des élèves.
Et c’est tellement vrai que si le texte n’était pas issu d’une député Europe-Écologie, mais – au hasard – d’un député d’extrême-droite, vous pouvez parier gros que l’exercice de français aurait immanquablement porté sur le démontage en règle des bobards proférés, avec analyse des procédés de langage mis en place.
Autrement dit, si le sujet de l’exercice avait été sur les questions rhétoriques, celle en tête de chapitre aurait alors constitué un parfait exemple tant il semble évident, pour les auteurs du manuel qui n’hésitent absolument pas à faire une agréable publicité – très visible sur la double page – pour l’association des Robins des Toits, que oui, tout à fait, « le progrès peut nous rendre malade »…
Enfin, on ne pourra que s’étonner du double langage officiel de l’Éducation Nationale qui entend combattre, par la voix même de sa ministre, les méchantes théories du complot, mais n’hésite pas à relayer les incroyables allégations qui voudrait que soient biaisé, faux ou trompeur l’ensemble des recherches menées jusqu’à présent et qui n’ont jamais réussi à prouver le moindre effet ionisant des ondes radios utilisées dans différents procédés de communications actuels. En somme, en vertu du momifiant principe de précaution, comme on n’a pas réussi à prouver – et pour cause ! – qu’il n’y avait aucun risque dans nos technologies, considérons-les par défaut comme délétères et n’en parlons plus, ou plutôt, relayons avec gourmandise dans des manuels de français.
Non, vraiment aucun doute n’est permis : la propagande continue joyeusement à l’Éducation Nationale jusque dans les choix du ministère sur de pareils manuels.
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