par Sylvie Brunet
La question environnementale incite de plus en plus à l’emploi de matériaux perçus comme écologiques. Le bois en fait partie. À plus d’un titre, pourtant, il engendre des pollutions. De quoi douter de la pertinence du soutien accordé à la filière bois.
Subventionnée et encouragée par le Gouvernement, la filière bois gagne du terrain. Selon le Conseil national de l’Industrie elle représente en France 60 000 entreprises (TPE-PME), près de 365 000 emplois et un chiffre d’affaires de 53 milliards d’euros (1). Mais le déficit de la filière s’accentue aussi, les importations du secteur s’élevant à 16 milliards d’euros en 2017, soit une hausse de 4,1 % sur un an (2). Les subventions publiques y sont conséquentes, environ 910 millions d’euros annuels en 2015, d’après le rapport de la Cour des comptes consacré aux soutiens à la filière bois (3). Plusieurs dispositifs sont en effet en place. Le programme national de la forêt et du bois 2016-2026 vise à développer le bois construction et à recycler les déchets (4). Cette volonté se retrouve dans le Plan pluriannuel de l’énergie, qui entend développer la filière bois-énergie. Cette dernière présenterait « le potentiel de développement le plus élevé au regard des différentes filières biomasse », à condition d’être « maîtrisée », notamment au regard de la qualité de l’air (5). En parallèle, l’État a décidé d’allouer 17,8 millions d’euros au fonds stratégique forêt-bois dans sa Loi de Finances 2018 (6).
La pollution par le transport
Lorsqu’on se penche sur les coûts environnementaux de l’industrie du bois, ces soutiens détonnent. Car, on l’oublie souvent, le transport est source d’émission de CO2. La pollution commence ainsi dès l’abattage et se poursuit jusqu’à la destination finale du bois de construction — principalement issu de résineux. Après abattage, le bois est transporté à la scierie, qui le transforme en matériau de construction viable. Ensuite, le bois subit éventuellement un raffinage supplémentaire dans un atelier (rabotage, séchage ou autre), moyennant un transport supplémentaire, avant d’être acheminé vers les chantiers. Or les résineux disponibles au plan national sont insuffisants, la forêt française se composant surtout de feuillus. L’importation, notamment en provenance de Finlande ou de Sibérie, est ainsi privilégiée (7). En 2015, par exemple, 74 % des produits collés (dérivés du sciage) étaient importés. Et, en 2017, presque 40 % des sciages et produits pour la construction l’étaient également (8). De ce point de vue, l’augmentation du nombre de constructions en bois a un impact négatif sur l’environnement.
La pollution par le traitement chimique
Selon le ministère de l’Agriculture, le bois serait un matériau renouvelable et performant dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique (9). Mais en pratique, le bois de construction est traité avec des produits chimiques qui lui sont appliqués pour sa conservation, tels des pesticides à base de métaux lourds comme le plomb ou le chrome. Certains de ces produits toxiques comprennent des polluants organiques persistants, potentiellement dangereux pour la santé humaine et l’environnement, non biodégradables, et qui s’accumulent dans les tissus vivants du corps humain. S’y ajoutent les divers fongicides, insecticides, colles et autres vernis. Les panneaux de bois aggloméré en particulier — dont la France était le dixième plus grand importateur mondial en 2016, selon la FAO (10) — comportent des composés organiques volatils (COV), à l’instar du formaldéhyde, classé depuis 2004 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) comme « substance cancérogène avérée pour l’homme » (11). Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce type de pollution de l’air à l’intérieur des habitations est responsable de diverses maladies comme les AVC, les cardiopathies ischémiques ou les cancers pulmonaires. Près de la moitié des décès par pneumonie des enfants de moins de cinq ans découlerait en outre de « l’inhalation de matières particulaires provenant de la pollution de l’air intérieur » (12).
Même en l’absence de traitement, certaines propriétés prêtées au bois sont à relativiser. Un argument force en sa faveur est le « puits de carbone » que ce matériau représenterait, en raison de sa capacité à absorber et stocker du CO2. Cela n’est pourtant que temporaire, car une fois mis en décharge ou brûlé en fin de vie, un arbre libère dans l’atmosphère le carbone stocké. Le processus reste le même dans la construction, avec une libération du carbone en fin de vie du bois traité, auquel s’ajoute les divers produits chimiques que le bois contient. Le bois traité avec des substances dangereuses entre ainsi dans la catégorie des déchets dangereux, « anciennement nommés déchets industriels spéciaux », avec « des substances dangereuses pour l’environnement et la santé » (13).
Le recyclage des matériaux de construction en bois pose lui aussi certaines questions sur leur pertinence écologique. Le bois composite, dont le nom anglais plastic wood illustre mieux la composition, est fait de fibres de bois et de résines plastiques. On l’utilise principalement pour les aménagements extérieurs (terrasses, pontons…), mais aussi pour le mobilier d’intérieur, en remplacement de bois exotiques. Un article de Nature, daté de 2013, rapportait les résultats d’une étude selon laquelle les émissions de gaz à effet de serre provenant du bois composite étaient près de trois fois supérieures à celles issues de la production de cèdre chimiquement traité. En complément, l’article de Nature présentait les données du Consortium for Research on Renewable Industrial Materials, qui notait que les émissions provenant de l’industrie du bois composite sont de 45 à 330 % supérieures à celles de la production de séquoia. Et si le bois composite de nouvelle génération est de meilleure qualité, le manque de données solides sur le long terme ne permet pas de prédire ses conséquences environnementales réelles (14).
Dans ces conditions, au moment même où se développent en France des projets d’immeubles de grande hauteur en bois, n’est-il pas temps de s’interroger sérieusement sur les avantages supposés du bois dans la construction ?
Apostilles :
(1) « La filière bois », Conseil national de l’industrie, https://www.entreprises.gouv.fr/conseil-national-industrie/la-filiere-bois
(2) « Le déficit de la filière bois se creuse en 2017 », Agreste Conjoncture — Commerce extérieur, avril 2018 — n° 2018 – 049 — Bois et dérivés 1/2, http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/2018_049inforapbois.pdf
(3) Rapport « Les soutiens à la filière forêt-bois », enquête demandée par la commission des finances du Sénat, novembre 2014, publié le 8 avril 2015, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20150408-rapport-soutiens-filiere-foret-bois.pdf, p.7.
(4) Programme national de la forêt et du bois 2016-2026, Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, http://agriculture.gouv.fr/telecharger/86026?token=24f71aceb85a58eb333a78dc38ffa95a, p.17, et annexe 4 Ter, « Articulation du PNFB avec la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) », p.56.
(5) Programmation pluriannuelle de l’énergie, Ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer, 28 octobre 2016, https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/PPE%20int%C3%A9gralit%C3%A9.pdf
(6) Projet de loi de finances pour 2018 : Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales, Sénat, http://www.senat.fr/rap/a17-109-1/a17-109-13.html
(7) « Un paradoxe français : une forêt sous-exploitée et un risque d’envol des constructions en bois importés », Jean-Marie Ballu, Ingénieur général des Ponts, Eaux et Forêts (IGPEF), 2017, http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/65339/RFF_2017_69_3_241_248_ballu.pdf?sequence=1
(8) Rapport de mission de la déléguée interministérielle à la forêt et au bois, Rapport n° 011010-01, établi par Sylvie Alexandre, IGPEF, mars 2017, https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/rapport%20Foret%20Bois%20011010.pdf, pp.21, 23, et note 50 p.32.
(9) « Filière bois : qualités du bois et construction », Alim’agri, Site du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 17/12/2017, http://agriculture.gouv.fr/filiere-bois-qualites-du-bois-et-construction
(10) Statistiques des produits forestiers, Principaux exportateurs des produits forestiers, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, 2016, http://www.fao.org/forestry/statistics/80938@180724/fr/
(11) « Evaluation des risques sanitaires liés à la présence de formaldéhydes », Anses, article mis à jour le 15/05/2018, https://www.anses.fr/fr/content/evaluation-des-risques-sanitaires-li%C3%A9s-%C3%A0-la-pr%C3%A9sence-de-formald%C3%A9hyde C’est nous qui soulignons.
(12) « Pollution de l’air à l’intérieur des habitations et la santé », Organisation mondiale de la santé, 8 mai 2018, http://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/household-air-pollution-and-health
(13) « Déchets du bâtiment », Fiche technique ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie), août 2016, http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/fiche-technique-dechets-batiment-2016-08.pdf, pp.3-4.
(14) Tollefsson (Jeff), « ‘Plastic wood’ is no green guarantee », Nature, 5 juin 2013, https://www.nature.com/news/plastic-wood-is-no-green-guarantee-1.13129
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