Dans les sondages, le Président Macron est revenu à son étiage. Après les 5 points il y a un mois, il en perd à nouveau cinq et retombe à 43% d’avis favorables. La saturation des images présidentielles, les promesses non tenues, une personnalité qui demeure distante même lorsqu’elle surjoue la proximité avec le risque de paraître manipulatrice, ont éveillé une défiance qui trouve un appui concret sur certaines mesures catégorielles. La stratégie présidentielle repose sur l’hypothèse d’un groupe central réformiste. Cet iceberg est en train de fondre. La majorité actuelle ne repose pas sur la terre ferme. Lorsqu’on interroge les Français sur le rythme des réformes, ce sont les électeurs de Fillon, qui sont les plus nombreux, à 72%, à vouloir qu’elles soient rapides au risque de tensions sociales. Mais une légère majorité des sondés, 51% pensent au contraire que le premier objectif du pouvoir est la paix sociale. Deux conclusions s’imposent : la gauche et la droite existent toujours, l’originalité de la situation française tient à ce qu’un homme venu de la gauche-caviar et un parti du même tonneau, rejoints par des opportunistes, qui jusque là faisaient carrière à droite, ont mené et réussi une OPA sur l’électorat déçu de François Fillon. L’adhésion des retraités au réformisme, qui pourtant ne leur est guère favorable, ne laisse aucun doute. Les classes populaires à l’usine comme à la ferme n’aiment pas le président banquier-urbain. Les fonctionnaires dont il semble menacer le statut le quittent. Macron va donc se retrouver sur un petit socle d’un centre au contour flou et d’une droite que ses personnalités montantes, Laurent Waucquiez et Marion Maréchal, vont s’employer à détacher de lui, puis à mobiliser contre lui. Le Président actuel est arrivé au bon moment, durant une embellie économique. Il n’est pas sûr du tout qu’elle se poursuive. C’est ce qui justifie la frénésie de réformes, car le temps est compté, mais c’est aussi ce qui explique qu’elles sont faites en trompe-l’oeil, avec une marche arrière toujours prête à être enclenchée.
L’annonce de la réforme de la SNCF en est une illustration. La situation de la SNCF est hélas très représentative de celle de notre pays dont elle condense les contradictions et les impasses. La France, cette apparente démocratie libérale, est une URSS, qui n’a pas réussi, contrairement à ce que disait Jacques Lesourne, mais qui a tenu plus longtemps, avec une dépense publique et un secteur public démesurés, une pression fiscale décourageante, des métastases de déficits un peu partout, comme les 46,6 Milliards cumulés que la SNCF, qui se dit bénéficiaire en 2017, a mis sous le tapis de SNCF réseau. Le tout : une dette exorbitante qui bénéficie de taux d’intérêts qui ne sont pas éternels ! Le résultat en est bien sûr une perte de compétitivité qui accentue le processus de déclin. Le socialisme dominant, dans les années 1930 et plus encore le communisme au lendemain de l’occupation, ont sécrété une idéologie française qui a sévi chaque fois que la gauche était au pouvoir pour que la France fasse le contraire de ce qui se faisait ailleurs avec succès. Cette pensée dominante n’emploie le mot « service public » qu’avec le respect que mérite un tabou, même dans des domaines comme la télévision ou les transports où la concurrence montre à l’évidence qu’il n’est pas justifié. Avec un total mépris pour l’égalité, une autre expression sacrée, les « avantages acquis », sanctuarise des privilèges anachroniques. C’est ainsi que les cheminots qui sont très loin de connaître les conditions de vie décrites par Zola dans la « Bête humaine », bénéficient de multiples avantages qui découlent de leur statut, de la circulation gratuite pour la famille jusqu’à la retraite à 52 ans pour les conducteurs. Comme le faisait remarquer François de Closets, à cet âge, il peuvent entamer une seconde carrière chez les concurrents, pour le fret, dès maintenant, et pour les voyageurs fin 2019. Que le prétendu « service public » génère de l’inégalité sans réelle contrepartie puisque la grève y est permise, compromettant la continuité qu’il suppose pour satisfaire des intérêts catégoriels, est une montagne d’illogisme et d’injustice malheureusement typique de notre pays. Non seulement les avantages propres aux agents de la SNCF sont des privilèges injustifiés au détriment des Français connaissant des conditions de travail plus difficiles, mais encore, ce sont ces derniers qui les financent. Au-delà de cette injustice sociale, il y en a une autre, politique.
Lorsque les cheminots font grève, ils paralysent le pays et exercent à l’égard du pouvoir un rapport de forces, un chantage, qui est une atteinte à la démocratie. Les défenseurs du « statut » prétendent qu’il garantit l’indépendance des salariés à l’égard du pouvoir politique, comme si dans une démocratie véritable, celui-ci n’était pas détenteur de la légitimité. En fait, on aboutit au résultat inverse. Les détenteurs de statuts sont plus syndiqués que les autres salariés, et comme les syndicats français, divisés et peu représentatifs, sont très politisés, ils peuvent sans vergogne lancer des grèves politiques et empêcher un pouvoir élu de faire ce qu’il a mandat de faire. C’est ce que « la droite dans ses bottes » avait expérimenté en 1995. A l’époque, beaucoup de Français avaient soutenu une sorte de grève par procuration, qui était le comble d’un dysfonctionnement politique et social de notre pays. Aujourd’hui, la situation peut être différente. L’image de la SNCF s’est dégradée. Les privilèges sont mieux connus et moins appréciés. La grève paraîtra les défendre en gênant tout le monde. De plus, le gouvernement ne remet pas en cause le statut pour ses titulaires, mais seulement pour les nouvelles recrues. Pour les retraites, cela n’aura d’effet que dans une trentaine d’années. On voit mal comment les cheminots d’aujourd’hui s’acharneraient à perdre un mois de salaire alors qu’ils ne sont pas touchés. Et on voit par là-même que le pouvoir a reculé avant de sauter. Sous l’apparence d’une avalanche de réformes, la France demeure un pays où la démocratie fonctionne mal. Dans une vraie démocratie, au lieu du bras-de-fer entre le chantage du gouvernement qui consiste à court-circuiter le parlement par ordonnances et le chantage à la grève des syndicats, on aurait demandé depuis longtemps au peuple de trancher ce noeud gordien, par référendum.
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