Des parlementaires français, Gérard Bapt, Jacques Myard, Jean-Pierre Vial et François Zocchetto ont pris le chemin de Damas et les trois derniers ont rencontré le Président Bachar Al Assad. Ils se sont fait remonter les bretelles à leur retour, par l’exécutif d’abord, par leurs partis respectifs, ensuite, l’UMP, et le PS, moins par l’UDI. Certes, la France a rompu ses relations diplomatiques avec la Syrie. Elle a même failli entrer en guerre contre elle. Toutefois, la complexité et la fragilité de la situation de cette région du monde doivent conduire à une plus grande réserve dans les jugements. La responsabilité immense des gouvernements occidentaux passés et présents et leurs erreurs magistrales devraient les conduire à plus d’humilité et de pondération.
La politique étrangère est un domaine où le fossé entre la population et les dirigeants « informés » est large et profond. Ces derniers bénéficient en principe des données recueillies par le réseau diplomatique et les services secrets. Les parlementaires, membres des groupes d’amitié avec certains pays ou qui siègent dans les Commissions des Affaires étrangères ont, à un moindre niveau, des sources de renseignements privilégiés. Que ces élus indépendants de l’exécutif cherchent à mieux appréhender une situation, voire à explorer des solutions que semble ignorer le gouvernement est parfaitement légitime. Les condamnations méprisantes de dirigeants qui n’ont guère fait la démonstration de leur efficacité ni même de leur intelligence sur ces questions sont particulièrement mal venues.
La palme en revient sans doute à l’ex-Président Sarkozy qui, jamais avare de mépris envers ses « amis », a traité les « ambassadeurs » de « gugusses ». Si cette expression montre l’estime dans laquelle le président de l’UMP tient les parlementaires, y compris ceux de sa famille, c’est déjà fâcheux, mais du principal responsable de la sanglante chienlit qui règne en Libye, c’est assez indécent. C’est aussi inquiétant, car lorsqu’il a décidé de l’intervention de l’aviation française contre Kadhafi, il disposait des informations liées à sa fonction et aurait dû savoir qui étaient les porteurs du « printemps arabe libyen ». On espère que ce n’est pas pour satisfaire BHL ou le Qatar qu’il a fait de ce pays une vaste zone de non-droit où se croisent les djihadistes qui menacent tout le nord de l’Afrique d’une part, et les immigrés qui traversent la Méditerranée, d’autre part. Ayant soutenu cette opération, par discipline nationale et majoritaire, je suis enclin aujourd’hui à ne plus nourrir la moindre confiance à l’égard des dirigeants de notre pays. Les cris d’orfraie de Fabius, de Valls, de Hollande, alors qu’on a failli récidiver contre Bachar Al-Assad sont inconvenants. C’est actuellement un ancien général de Kadhafi, Khalifa Haftar, devenu « l’homme des Américains » qui avec l’aide du « Raïs » égyptien Sissi, combat les djihadistes en Libye. Ce sont les troupes d’Assad qui parallèlement aux Kurdes combattent l’Etat islamique dans le Nord-Est syrien à Hassakah. Les postures morales dans un contexte aussi mouvant et complexe sont grotesques ou se moquent avec cynisme de la candeur et de l’ignorance de l’opinion publique. Le désastre du prétendu printemps arabe devrait pourtant avoir rendu celle-ci plus sceptique sur la distinction convenue entre les bons et les mauvais tyrans et plus clairvoyantes sur les bourdes à répétition des gouvernants occidentaux.
On constate un divorce entre la sensibilité de la base électorale et la position des dirigeants politiques. Majoritairement, les Français, sous la pression des médias sont hostiles au régime baassiste de Damas et désapprouvent à 61% l’initiative de nos quatre parlementaires. Mais, les plus critiques sont les sympathisants du FN alors que Florian Philippot avait salué la démarche. Peut-être est-ce davantage par anti-parlementarisme que par opposition à Bachar ? Les centristes de l’UDI sont, au contraire, à 70% favorables à la reprise du dialogue avec le gouvernement légal syrien et approuvent la visite à 56% , alors que sa condamnation était d’autant plus vive qu’elle provenait de dirigeants se situant au centre de l’échiquier politique, comme Alain Juppé ou NKM. Comme d’habitude, l’UMP est plus divisée. 52% désapprouvent le voyage, mais 58% jugent la reprise du dialogue nécessaire. Ceux qui se réfèrent le plus au « gaullisme », Guaino, Fillon ou sont placés plus à « droite », Rachida Dati, Claude Guéant, ont été les plus compréhensifs envers la rencontre.
Cette confusion des attitudes sur un sujet lui-même compliqué à souhait est inquiétante. Des responsables en principe bien informés, comme les ancien et actuel Premiers Ministres, n’ont pas des opinions identiques. Sans doute leur information et leur discernement sont-ils en-dessous de ce que l’on imagine, et ce n’est pas rassurant. Mais on peut néanmoins distinguer ceux qui préfèrent la ligne politiquement correcte, et comme par hasard pro-américaine, et ceux qui désireraient voir la France renouer avec son indépendance sur la scène internationale, et peut-être retrouver son art des alliances de revers qui ont été si bénéfiques pour la défense de ses intérêts. Il n’est pas absurde que Fillon ait approuvé ces retrouvailles avec la Syrie, l’alliée de Poutine, alors que lui-même se distingue par son jugement positif sur le nouveau Tsar.
Absurde est le mot employé par Fabius pour qualifier le déplacement des parlementaires. Il serait selon lui plus cohérent de soutenir l’armée syrienne libre qui ne contrôle qu’une faible partie du territoire près des frontières par lesquelles les Américains ou les Turcs les ravitaillent, quand les forces loyalistes en maîtrisent la moitié sur laquelle se trouvent les 2/3 de la population. Il serait selon lui immoral de soutenir le dictateur qui a fait sortir les terroristes de ses prisons. Ces arguments témoignent d’un grand mépris pour ceux qui l’écoutent. N’est-il pas plus absurde de parier sur l’opposition faible et divisée ? N’est-il pas plus immoral d’oublier le rôle de la Turquie, du Qatar et de l’Arabie saoudite dans le déclenchement de la guerre civile et la montée en puissance de l’Etat islamique ? De favoriser la poursuite du conflit ? Le réalisme assumé est sur tous les plans supérieur à la morale hypocrite. Les Américains en se rapprochant de l’Iran en font la démonstration.
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