Ah, la loi Egalim ! Quel roman ! On avait déjà pu sentir le parfum délicat de la déroute complète dès son élaboration, et ces colonnes furent l’occasion, avec plusieurs articles qui lui furent consacrés, que l’échec d’ampleur biblique fut bien au rendez-vous. Cependant, avec la nouvelle décision du Conseil Constitutionnel, une nouvelle strate de dégâts consternants vient s’ajouter aux précédentes déjà nombreuses.
La loi Egalim, ou loi Alimentation, c’est ce chapelet d’articles qui s’était fixé pour mission de faire intervenir lourdement l’État dans différents marchés agroalimentaires, notamment dans la distribution et la façon dont les entreprises organisent la vente de produits alimentaires, avec ou sans opérations commerciales, et ce afin d’améliorer le sort des agriculteurs en tentant de relever le prix d’achat des produits qu’ils vendent.
La loi se charge ainsi de définir tout un tas de nouvelles règles édictant par exemple la façon dont les promotions peuvent ou ne peuvent plus s’opérer sur le territoire national. Discutée puis votée en 2018, elle fut mise en place en février 2019 et ce alors même que nombre de parties prenantes dans les discussions dénonçaient déjà d’énormes dérives possibles. Le législateur, fort de son omniscience parfaite et solidement burné de son historique impressionnant de réussites flamboyantes, n’en eut cure et la loi passa ainsi sans que soit remise à plat la plupart de ses dispositions idiotes.
Ce qui devait arriver arriva avec une précision diabolique : les prix de certaines denrées augmentèrent, les consommateurs en firent les frais, les producteurs (au premier rang desquels les agriculteurs dont la loi était censée améliorer le sort) ne virent pas la couleur de ces augmentations de prix. Des entreprises, dont le modèle d’affaires se basait quasi-intégralement sur des ventes promotionnelles dorénavant interdites, se retrouvent dans des difficultés suffisantes au point de devoir licencier. Si l’on ajoute les gains dodus engrangés par les distributeurs (comme prévu mais contre toute attente du législateur décidément bien stupide) et les conclusions sénatoriales qui montrent que cette loi ne satisfait absolument personne (sauf l’État), on aboutit à la conclusion d’un désastre aussi total que prévisible.
Cependant, l’affaire ne s’arrête pas là.
Avec l’obstination (aussi prévisible que l’échec) du législateur qui ne veut surtout pas abroger cette catastrophe législative (trop tôt, pas assez de dégâts), de nouveaux effets pervers se font jour à mesure que les semaines passent.
Dernier en date, l’application de l’article 48 de cette loi qui porte sur l’interdiction prochaine, en 2022, de « la production, du stockage et de la vente de produits phytopharmaceutiques » destinés à des pays tiers et contenant des substances prohibées par l’Union européenne. Derrière cet article se trouve en effet la volonté de nos parlementaires de mettre fin à la production sur le sol français de certains pesticides pourtant prohibés par la réglementation européenne comme l’atrazine qui ne sont donc pas vendus en France mais exportés dans certains pays (africains notamment, où ils sont autorisés).
Cependant, cette interdiction se complique singulièrement avec les récents développements juridiques autour d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l’Union de l’industrie de la protection des plantes (UIPP).
Cette dernière cherche en effet à savoir s’il est légal d’interdire la production d’un produit dont la vente est interdite sur le sol européen, même si on ne le vend effectivement pas sur le sol européen, estimant que cette interdiction est contraire à la liberté d’entreprendre pourtant garantie dans les textes constitutionnels français : une interdiction de ces productions revient, pour certaines entreprises de l’UIPP, à se couper d’une part non négligeable de leur chiffre d’affaire (ce qui se traduira mécaniquement par des pertes d’emploi, au moins en France).
De façon finalement pas trop étonnante, le Conseil Constitutionnel a donc tranché en estimant que le législateur était « fondé à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l’environnement à l’étranger ». Autrement dit, il apparaît parfaitement constitutionnel d’empêcher les gens d’entreprendre en France si leurs activités ont des impacts à l’étranger, aussi hypothétiques soient-ils et quand bien même elles sont parfaitement autorisées là-bas.
Il va de soi que cette décision, qui impose donc aux entreprises sur le sol français une morale supérieure à celle en vigueur partout ailleurs en Europe, n’aura qu’un effet immédiat : inciter ces entreprises à aller voir partout ailleurs en Europe si elles y sont mieux traitées.
L’arbitrage rendu par la plus haute juridiction française va ainsi ouvrir la voie à d’autres arbitrages en faveur de l’environnement dans ce type d’affaires opposants plusieurs droits à valeur constitutionnelle, dont on devine déjà que ceux en rapport avec la sauvegarde de l’environnement (à tout prix et surtout si cela peut nuire au capitalisme et à la liberté) primeront sur tous les autres.
De la même façon que la France, en inscrivant dans sa constitution un « principe de précaution » qui a durablement fossilisé des pans entiers de recherche et de développement dans différentes disciplines, garantissant au pays qu’il ne sera qu’un client des innovations correspondantes et plus jamais un producteur, cette nouvelle jurisprudence va durablement affecter les perspectives sereines de production pour un nombre croissant d’entreprises sur le territoire national.
Outre la garantie maintenant de plus en plus solide que sera durement puni toute atteinte, même vague, même lointaine, à une déesse Gaïa de plus en plus vaste et de moins en moins accommodante, ce nouveau chapitre juridique démontre encore une fois l’instabilité juridique permanente dans laquelle s’enfonce la France.
Du point de vue de l’entrepreneur moyen, chaque année qui passe ajoute de nouvelles incertitudes légales, en plus de son lot de taxes, de ponctions et de petits formulaires administratifs débiles à remplir pour espérer avoir la paix de l’Occupant Intérieur. À chaque nouvelle incertitude, à chaque nouvelle interdiction, un secteur de l’économie, plus ou moins modeste, plus ou moins porteur d’emplois et de richesse, disparaît définitivement. Avec ce dernier jugement, c’est 2700 emplois qui se retrouvent ainsi directement menacés. Et c’est encore un petit morceau de liberté d’entreprendre qui disparaît en France.
Enfin, ce n’est pas grave : vu l’économie française absolument pétulante actuellement, doit-on vraiment se faire du souci ?
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