Urgence et contrainte sont les deux mots qui règnent sur les esprits en proie aux médias. Le terrorisme islamiste a une nouvelle fois frappé la France. Le danger que présentent nombre d’individus de nationalité française ou non, circulant en France et ailleurs, au travers de la passoire européenne, a conduit dans la précipitation à instaurer l’état d’urgence. Après la loi sur le renseignement, et avec la prolongation de cette situation juridique, on peut dire que l’insécurité réelle crée une peur justifiée et que celle-ci engendre une restriction de nos libertés. Ce mécanisme mis en branle dans le temps court face à la violence se retrouve dans le temps long devant le risque climatique. Là encore, la menace qui pèse sur les équilibres écologiques planétaires suscite la crainte de catastrophes qui mettraient en péril la vie ou le mode de vie d’une grande partie de l’humanité. Si l’urgence n’est pas à la même échelle, le compte à rebours du réchauffement mortel est néanmoins lancé. Dans la mise en scène de la COP 21, l’objectif de cette réunion présentée comme celle de la dernière chance est la signature d’un accord contraignant, c’est-à-dire d’un engagement limitant la liberté des Etats et par voie de conséquence, celle des particuliers soumis à des restrictions, à des incitations, à des pénalités pour produire moins de gaz à effet de serre. Dans les deux cas, nos sociétés d’esprit libertaire, vont accepter de troquer une part de liberté réelle contre une part de sécurité possible.
On se trouve donc à nouveau dans un contexte où le pouvoir politique couvert par la légitimité du protecteur va contrôler davantage les comportements individuels. La « Big Mother » de l’Etat social-démocrate, selon l’excellent glissement opéré par Michel Schneider sur le « Big Brother » orwellien, prévenant, infantilisant, accompagnant les individus les plus fragiles sur les chemins d’une vie où ils ne seront jamais adultes, va étendre son emprise. Le danger rend tous les hommes fragiles. Il faudra donc tous les surveiller. Nous sommes encore gouvernés par les générations déformées plus que formées par l’esprit soixante-huitard. Les tabous de la morale traditionnelle n’ont plus cours. Les identités sont diluées. Les institutions dépassées. Mais dans le même temps, la mondialisation, la libération de échanges ont fait tomber les frontières et affaibli les Etats. Comment materner davantage dans un monde plus libre ? Tel était le dilemme. La montée des périls va le résoudre. Le retour de l’Etat est désormais nécessaire. Comment va-t-il s’opérer ?
Dans le jeu habituel de la démocratie, la droite cultivait l’esprit sécuritaire tout en gardant ses faveurs pour la liberté économique, la liberté d’expression et l’autonomie de la sphère privée. La gauche s’opposait à la sévérité des lois et justifiait leur contestation prétendument citoyenne, mais elle se mobilisait contre la liberté laissée à certaines idées ou à certains comportements, sous prétexte de lutter contre des « phobies » ou de faire payer les pollueurs. Ce double équilibre est aujourd’hui rompu. La peur du terrorisme, celle du désastre écologique, se joignent aux craintes du déclin économique sous les coups des pays émergents, et aux menaces ressenties pour la santé afin de créer un appel unanime à plus de sécurité, à plus de contrôles, à davantage de contraintes et de répression. Le gouvernement de la peur accroît les pouvoirs des gouvernants. Il n’est pas le chemin de la démocratie.
S’il y a une urgence, c’est de retrouver ce chemin, c’est de restaurer les équilibres nécessaires pour que la responsabilité personnelle et la confiance refassent surface. L’égalitarisme pathologique du « tout se vaut », du « tous citoyens du monde » va tuer les libertés parce que celles-ci ne peuvent être que les droits exercés par des citoyens en chair et en os dans un pays réel. Ceux-ci sont libres sans une surveillance excessive, sans qu’on écoute leurs conversations privées, sans qu’on les enferme comme suspects, parce qu’ils forment encore une nation homogène unie par des croyances et des valeurs collectives qui rendent possible la confiance entre ses membres et une foi en un avenir commun. Le patriotisme, l’attachement à l’appartenance nationale, la reconnaissance de l’intérêt supérieur du pays ne sont pas des obstacles mais des conditions de possibilité d’une société libre. Le patriotisme est ce qui protège, relativement, les Etats-Unis. La stupide tentation française puis européenne de singer l’Union des Etats d’Amérique a fait disparaître des frontières que cette dernière n’a jamais connues, a favorisé une immigration sans tenir compte ni des différences culturelles, ni des rancoeurs post-coloniales, ni des liens subsistant avec les pays d’origine. C’est la disparition de cette communauté nationale éclatée par le communautarisme qui fait perdre de vue l’objectif commun sans lequel il n’y a pas de nation, qui dissipe la confiance et qui rend les libertés de réunion, de déplacement ou d’expression suspectes.
La démocratie est inséparable de la nation. Celle-ci doit posséder une unité fondée sur une histoire, et sur une éducation qui comprend justement la connaissance de cette histoire. Les libertés ont besoin de ce cadre. L’ignorer, comme on le fait depuis trop longtemps d’une façon absurde, conduit à la situation actuelle où des dirigeants utilisent la peur et la méfiance pour restreindre les libertés et pour instaurer cette nouvelle forme de despotisme dont parlait Tocqueville dans « De la Démocratie en Amérique ». Big Mother veille sur nous.
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