Entretien avec Marc Crapez, chercheur en science politique, sur l’actualité politique de la semaine écoulée.
L’avenir de l’UMP passe-t-il par un changement de nom, par l’ouverture au centre, par la définition d’une plateforme ? Comment expliquer que la droite ait tant de mal à se définir autrement que par rapport à la gauche ?
Excellente question. Mes écrits s’y intéressent de près. Dominée, culpabilisée, orpheline d’un récit fondateur, la droite a honte du nom qu’elle porte et ne cesse de s’excuser d’être ce qu’elle est. Ses composantes se querellent brutalement, à l’image des anathèmes que les conservateurs adressent aux libéraux, et vice-versa. Conservatisme, libéralisme et populisme sont les trois lépreux de l’univers politique, et chacun tente de se dédouaner de son stigmate en tapant sur le voisin.
Maintenant, comment organiser l’UMP ? Le changement de nom semble être programmé (en réalité pour Sarkozy la suprême habileté serait d’y renoncer sur l’autel de concessions à son rival Le Maire). La plate-forme, elle, existe déjà, c’est le programme UMP finalisé en janvier dernier sous l’égide de Copé, dans lequel tous les prétendants actuels ont largement puisé. Enfin la question de l’ouverture au centre est une véritable escroquerie intellectuelle. En effet, le centre occupe la part du lion dans les gouvernements, les médias et les corps constitués. A l’UMP, les modérés sont tout-puissants face à quelques individualités gaullistes, libérales ou conservatrices.
Que Juppé fasse la couverture du magazine Les Inrockuptibles n’est pas pour surprendre. Hier, c’était Baroin, NKM et Le Maire qui y donnaient un entretien. Jadis, Alain Carignon, François Léotard et Michel Noir furent plusieurs fois interviewés et célébrés par le magazine Globe. Il s’agit toujours, de la part des intellectuels de gauche, de gonfler artificiellement la popularité des politiciens de droite les plus centristes. Leçon n° 1 : arbitrer les élégances idéologiques en introduisant la zizanie chez l’adversaire.
Ces grands bourgeois modérés sont les Premier-ministrables de demain et ceux qui ne le deviendront pas seront, au bas mot, Garde-des-sceaux ou ministre des Affaires étrangères. Parallèlement, seront impitoyablement marginalisées les idées de « droite forte » et autres « droite populaire », ces courants pourtant appréciés par le vote des militants en 2012. Il y a là un déni excessif de la vox populi, qui va au-delà d’une dose oligarchique de confiscation du pouvoir.
On a l’impression que réfléchir dans un (grand) parti est aujourd’hui impossible, un peu comme si, outre les petites phrases et les polémiques du quotidien, les partis étaient les ennemis de l’intelligence et seulement des machines électorales, comme aux USA, où les think tanks attirent les intellectuels et les chercheurs y compris de droite… Quel rôle peut et devrait jouer la société civile en France pour y remédier et pour permettre aux intellectuels et chercheurs de droite d’être libres, financés et relayés tout à la fois ?
Il est certain que le quinquennat a rétréci les horizons et orienté les partis vers des machines électorales à l’américaine. Et que les divergences sont exploitées par l’adversaire comme trahissant des rivalités cacophoniques. Mais la suppression des courants à l’UMP renforcerait la personnalisation en créant des fan-clubs satellites. En tant que chefs du RPR et de l’UMP, Philippe Séguin et Jean-François Copé ont un point commun : la fondation d’une revue.
“J’ai été évincé de la souverainiste Fondation Marc-Bloch, car suspect de droitisme ultra-libéral, puis évincé de la Fondation pour l’innovation politique, libérale de droite, car suspect de souverainisme.”
La droite investit rarement l’espace métapolitique, ou champ culturel, considérant le travail théorique de longue haleine comme du temps de perdu. Si je peux livrer un témoignage personnel, en sortant un jour d’une réunion à la Fondation pour l’innovation politique, je me retrouvai avec un jeune énarque de l’entourage du candidat Sarkozy de 2007, venu incognito à la pêche aux idées. N’ayant d’attrait que pour la littérature grise, il n’avait pas lu notre revue et l’imaginait anti-sarkozyste. Inutile de préciser que ce degré d’incompréhension n’existe pas entre le PS et les think tanks qui lui sont proches.
Le problème des think tanks en France est que 95% d’entre eux sont pro-européens (européistes) et pro-immigration (immigrationnistes). Ces deux conditions sont des figures imposées pour la société civile, le monde de l’entreprise, les syndicats, l’université, l’édition, les médias. L’hebdomadaire Le Point, qui était fortement européiste mais résistait à l’immigrationnisme, grâce à de fortes personnalités comme Jacques Marseille, est finalement rentré dans le rang.
En 2005, j’ai publié une tribune, dans la grande presse, favorable au Non à la constitution européenne, mais ce fut une gageure. J’ai, en outre, été évincé de la souverainiste Fondation Marc-Bloch, car suspect de droitisme ultra-libéral, puis évincé de la Fondation pour l’innovation politique, libérale de droite, car suspect de souverainisme. Mon dernier livre a fait l’objet d’un boycott quasi-unanime en raison de chapitres sur la « crise des banlieues » et la « crise de l’Europe ». Ces deux tabous paralysent la réflexion, génèrent du conformisme et interdisent les nuances : celui qui n’adhère pas à un camp est perçu comme un ennemi. On peut rester optimiste dans la mesure où, à la longue, les idées fausses finissent par s’effriter.
Qui sont les jeunes qui s’engagent dans des partis de droite en 2014 ?
L’engagement dans un parti peut être une forme d’utilitarisme. Dans une réunion militante on entend souvent, outre des hâbleurs, des gens au chômage qui espèrent s’en sortir en nouant de nouvelles relations auxquelles ils prêtent, en désespoir de cause, un pouvoir démesuré. Par ailleurs, parmi ceux qui font la claque dans les meetings, il y a des rejetons d’élus, pas uniquement désintéressés.
“En matière de mœurs, les jeunes adultes sont donc libéraux mais aussi conservateurs, libéraux sans être ultra-libéraux, respectueux de l’altérité mais conscients que tout ne se vaut pas.”
On peut plaider que l’engagement des nouvelles générations est empreint d’idéalisme. Au dernier congrès du Front national, Marine Le Pen a souligné qu’elle incarnait une « dernière chance » pour des « compatriotes relégués à la marge » et désireux de se « réapproprier » la France. De fait, une partie de la jeunesse croit en elle, car leur sociabilisation s’est effectuée avec la crainte de divulguer le fond de leur pensée, et ils la remercient de leur donner une chance de s’exprimer. Elle les délivre des chaînes du politiquement correct.
Côté UMP, il y a un souci de protection et de transmission des valeurs morales traditionnelles. Les sondages prouvent qu’en dépit d’un déferlement de propagande les nouvelles générations aspirent toujours au schéma familial classique et au souci de bonne éducation des enfants. En matière de mœurs, les jeunes adultes sont donc libéraux mais aussi conservateurs, libéraux sans être ultra-libéraux, respectueux de l’altérité mais conscients que tout ne se vaut pas.
Enfin, une autre source d’engagement tient à la personne même de Sarkozy. Les « jeunes pop » relativisent ses défauts, estiment que ses qualités l’emportent, et aspirent à défendre le verre à moitié plein, à échapper à la facilité du scepticisme en servant une cause. Au meeting de Nîmes, Sarkozy les a gratifiés d’envolées patriotes : « la France qui veut rester la France… ne veut pas recevoir des leçons de ceux qui ignorent ce que pense dans ses profondeurs le peuple de France ».
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