L’élection du Président de l’UMP, le jour du congrès du FN où Marion Maréchal-Le Pen a été la mieux élue au Comité Central du parti, et quelques semaines après l’élection du Président de l’UDI redonne au paysage de la « droite » française une image conforme aux analyses de René Rémond : la trilogie des Orléanistes, des Bonapartistes et des Légitimistes reprend du service. La fusion des centristes de l’UDF et des gaullistes du RPR qui l’avait mise au rancart s’estompe. Les centristes sont triplement au retour. D’une part, Jean-Christophe Lagarde sera un partenaire exigeant voire un concurrent pugnace à la tête de l’UDI. D’autre part, le score de Bruno Lemaire au sein de l’UMP montre que les idées centristes et le refus du culte du chef ont leur place à l’UMP. Enfin, il est clair qu’Alain Juppé prônant avec le soutien de Bayrou une ligne modérée et une union avec le centre montre son ancrage orléaniste, rigoureux en économie, mais volontiers progressiste dans le domaine sociétal. En élisant Nicolas Sarkozy, l’UMP retrouve le bonapartisme, l’adhésion à un chef plein d’énergie dont la personne compte plus que les idées mouvantes. C’était la marque du RPR, le parti chiraquien et non pas gaulliste. Le résultat honorable mais médiocre de Mariton marginalise le courant conservateur de l’UMP. Celui-ci n’a jamais été que toléré, et condamné aux sièges éjectables ou aux micros coupés. Le problème va donc se poser aux légitimistes de l’UMP, soit par souverainisme, soit par attachement aux valeurs chrétiennes, de savoir ce qu’ils font dans un parti où ils n’ont aucune chance d’être écoutés. L’élection de la petite-fille de Jean-Marie Le Pen devant les caciques du parti peut bien-sûr tenir à son appartenance familiale, mais il ne faut pas négliger qu’elle représente assez bien la ligne légitimiste, patriote et conservatrice, attachée à l’identité d’une France catholique, celle qui est orpheline depuis la quasi-retraite de Philippe de Villiers. On verrait assez trois candidats à l’élection présidentielle incarner ces trois familles. Mais le brouillage idéologique va compliquer les choses.
Deux mouvements concentriques favorisent la confusion. D’un côté, les électeurs votent « utile », c’est-à-dire préfèrent souvent le moins éloigné qui va gagner au plus proche qui va perdre. L’élection uninominale amplifie ce processus. L’arrivée de la proportionnelle le réduirait. D’autre part, les candidats ratissent le plus largement possible. C’est ainsi que les trois familles se réclament partiellement du gaullisme. C’est le cas de Juppé, par sa filiation personnelle, son style sobre, son sens de l’Etat. Mais, si l’on passe de la forme au contenu, on aurait du mal à trouver dans ses conceptions sur l’Europe, la famille ou l’immigration quelques traces d’un gaullisme qui à l’évidence est inséparable de l’indépendance et de l’identité de la France. Sarkozy résume le gaullisme au pragmatisme c’est-à-dire à la réussite et à l’efficacité. Ce bonapartisme qui draine évidemment les ambitieux n’a connu ni d’Austerlitz, ni de Waterloo, mais sa fascination atlantique, son européisme, et l’adaptation permanente des idées aux chances du succès et non à l’intérêt du pays n’ont absolument rien de commun avec le gaullisme. Reste le Front National que l’histoire a opposé au gaullisme à plus d’un titre. Paradoxalement, la revendication de l’héritage gaulliste par Florian Philippot n’est pas illégitime. Souverainiste, attaché à l’indépendance nationale, mais aussi au rôle de l’Etat, ouvert sur les questions sociétales, il incarnerait ce qu’on appelait le gaullisme de gauche : un comble !
De Gaulle ne se voulait ni de gauche ni de droite. Mais il faut reconnaître avec objectivité que les premiers qui l’ont rejoint n’étaient pas à gauche puisqu’on y trouvait des monarchistes, comme Honoré d’Estienne d’Orves. On ne peut ignorer non plus que la gauche française a été son principal adversaire. De Gaulle se battait pour l’indépendance de la France plus que pour la République et les Droits de l’Homme. Qui peut imaginer de Gaulle soutenant la triple dérive européenne de l’élargissement, de l’approfondissement, et de l’abandon de la souveraineté populaire au profit de la technocratie ? Qui peut le voir acceptant la destruction de la politique familiale et de la conception traditionnelle de la famille à laquelle elle était associée ?
L’ancien Président de la République sort affaibli d’une victoire dont le score aurait été brillant pour tout autre que lui. Celui qui a été le Chef de l’Etat se retrouve chef d’un parti où il a des concurrents, voire des adversaires déterminés. Son succès sur sa personne plus que sur des idées qu’on serait bien en peine de définir avec précision et assurance, le rétrograde au rang de chef d’un RPR plus que jamais bonapartiste, mais plus du tout gaulliste. Quant au Front National, son souci de récupérer les déçus de la gauche, les victimes du recul de la solidarité nationale, les partisans de l’augmentation du rôle de l’Etat en tant que protecteur social risque de le précipiter dans la démagogie et de lui faire perdre toute crédibilité. Le futur Chef de l’Etat ne sera sans doute pas de gauche. Il ne pourra pas être uniquement orléaniste, bonapartiste ou légitimiste. Il devra inspirer confiance et susciter l’espoir. Pour cela, il devra oser être réactionnaire, comme il est sensé de l’être face au déclin. Il devra être pédagogue pour que les Français placent en lui un espoir raisonnable. Il devra aussi rassembler les familles spirituelles de la droite, sinon de la France, et ne pas se contenter d’être le restaurateur de la sienne.
30 Comments
Comments are closed.