par Hélène Julien*
L’actualité touche une nouvelle fois douloureusement l’Eglise en France, avec le procès de celui qui fut le Frère Pierre-Etienne Albert, ancien chantre et laïc consacré de la Communauté des Béatitudes.
En première ligne, une des victimes, Solweig Ely, s’exprime et écrit sa souffrance avec un livre-témoignage, Le Silence et la Honte (Michel Lafon).
La Communauté des Béatitudes a, de son côté, envoyé un communiqué de presse, où elle manifeste le « malaise » qui l’atteint, et demande pardon pour les dérives et les crimes commis par ceux en qui des personnes avaient placé leur confiance.
Toute communauté nouvelle subit des transformations, des aménagements, à l’instar d’un corps qui grandit. Ces changements peuvent donner lieu à des déroutes, des défections. Dans la mouvance des communautés nouvelles, ce printemps du renouveau charismatique, beaucoup d’entre elles n’ont pas survécu à cette saine croissance. De plus, la fondation de ces communautés a souvent été dûe à l’initiative enthousiaste et dynamique, de personnes « charismatiques », facilement suivies, bénéficiant de crédit, en regard de leur prise de parole, de leur formation, ou de leur aura personnelle.
Terrible tentation de l’ego, face à ces admirations et multiplications de marques de confiance. Quelle différence trouver, entre des chefs « lumineux », et de vulgaires gourous ?
Il y a plus de trente ans, la Communauté des Béatitudes a offert un accueil pour toutes les personnes frappées par le vide laissé après les événements marquants du mai soixante-huit. Vers qui se tourner, quand on a plus de prêtres, quand nombre d’entre eux quittent et crachent sur l’Eglise ?
Il ne faut pas oublier les orphelins de l’Eglise. Ceux qui n’ont personne pour se réfugier. Ceux qui n’ont pas entendu la Parole qui sauve, faute d’appartenir à un milieu catholique, ou ceux qui , même au sein de ce milieu, n’ont pas été écoutés. Il y aurait pu avoir un panneau en-dessous de celui présentant la Communauté des Béatitudes: « ouvert à tous », car c’est ce qui frappait quand on y pénétrait. Des personnes de tous bords, de tous milieux, cohabitant dans une belle fraternité joyeuse. Il y a encore dix ans, la Communauté des Béatitudes bénéficiait d’un rayonnement international, et on peut lui être reconnaissant pour son dynamisme spirituel, qui a permis, entre autres, de réveiller la dévotion autour de sainte Thérèse de Lisieux, en organisant des pèlerinages, qui ont fortement contribué à faire connaître la Sainte à travers le monde.
Malheureusement, la Communauté paye aujourd’hui de grands manquements au suivi de ces personnes qui se sont converties en son sein, à cause de pratiques psycho-spirituelles, qui ont créé un amalgame trompeur entre vie spirituelle, et guérison. Cette confusion, Pierre-Etienne Albert en est la preuve, entre autres. Il ne faut pas minimiser la puissance de la prière, mais lorsqu’on est souffrant, les moyens humains mis à notre disposition, devraient être nos premiers recours.
Et bien souvent, des personnes ont préféré chercher auprès des frères et des soeurs de la Communauté, le secours que des psychologues, des professionnels, auraient pu leur apporter.
Beaucoup de jeunes y ont trouvé la famille qui leur faisait défaut, les substituts parentaux dont ils avaient manqué. Et ils ont en cela répondu à des promesses insidieuses, au vu de la proximité entre eux et les frères et soeurs, de leur qualité d’écoute, de leur disponibilité à un moment où dans leurs paroisses, ils ne trouvaient qu’indifférence à leur détresse, nombre d’entre elles préférant les associations, ou les mondanités, quand ce n’étaient pas des creusets du Parti communiste…
Quels étaient les pré-requis de la Communauté des Béatitudes ? Le fait que le Christ peut tout pour nous, qu’Il guérit tout, et que même paumé, souffrant, pauvre pécheur, nous pouvons Le suivre.
Il ne s’agit que de la Vérité. Oui, le Christ nous libère, nous guérit, nous sauve de notre péché et de ses conséquences, mais il s’agit d’entreprendre un voyage, un combat, un chemin de vie et de foi, qui s’articule autour des axes de la vie sacramentelle, et de nos choix au quotidien en tant qu’homme et chrétien. Ce chemin est intimement lié au quotidien, indissociable de notre pratique, mais dans un équilibre bienfaisant avec notre vie de tous les jours, dans le monde.
J’ai entendu un célèbre berger de la Communauté, dire que vivre en communauté, correspondait à un choix, et qu’il se reconnaissait incapable de vivre en chrétien au milieu du monde.
Frère Ephraïm, le fondateur de la Communauté, aujourd’hui cité lors des procès concernantles diverses affaires, lors de ses conférences ou en aparté, parlait de la Communauté comme d’une « bande de pauvres types », abandonnés à la Providence, nourris dans leur misère par la puissance salvatrice de la Miséricorde divine. C’est là un des pré-requis que je tiens à interroger. Il émane de ce discours, un retour de quiétisme : Dieu est tout Amour, tout puissant, et nous, pauvres hommes, bien misérables. Alors son Amour viendrait au secours de toutes nos faiblesses, et nous n’aurions qu’à nous laisser envahir par Lui, comme des vases qui se rempliraient en surabondance. C’est du moins ce que nous entendions, comprenions, nous autres venant puiser à cette source providentielle, que nous offrait la Communauté.
Que c’est tentant, quand on se sent blessé, minable, trop pauvre pour une vie solidement ancrée dans notre Foi. Nous n’aurions aucun effort à fournir, aucun sacrifice, Dieu ferait tout.
Encore une fois, je connais beaucoup de personnes qui ont été touchées, marquées, guéries, grâce aux prières des frères et des soeurs de la Communauté.
Mais une simple question suffit : en quoi la prière en famille, la prière en Paroisse, la prière dans le désarroi, en quoi est-elle différente ? A-t-elle moins de pouvoirs ? Pourquoi les blessés ne trouveraient-ils aucun réconfort, en se nourrissant d’abord de la vie sacramentelle, en allant puiser aux ressources inépuisables de l’ Eglise, en se formant à sa Doctrine sociale, en se rendant à la catéchèse ?
Tout catholique a besoin d’être rattaché à une Communauté, d’abord à sa paroisse. Hélas, voilà où le bat blesse : où sont nos paroisses ? Certains bénéficient de communautés rayonnantes, vivant au rythme d’une belle liturgie, d’un accueil sans failles, de saints prêtres. Mais beaucoup trop de catholiques sont encore seuls, faisant des kilomètres pour chercher une source plus « nourrissante », que dans leur Paroisse où le prêtre officiant ne daigne même plus s’agenouiller face à l’Autel, où les homélies tiennent plus du meeting politique faisant l’apologie de la tolérance, du respect, en privant leurs brebis de la formation dont elles ont besoin pour vivre leur foi au quotidien ?
L’autre pré-requis de la communauté, cherchait une cohérence entre le visible et l’invisible : si Dieu est tout-puissant, on peut tout lui demander, et il nous exaucera. Encore une fois, oui, la prière peut tout obtenir. Mais dans une démarche ouverte à sa Volonté, patiente, docile, sans chercher de signes ou à la trouver dans un environnement où l’affectif serait charmé, sans éviter le combat, qu’on appelle parfois à tort la « force du poignet ».
La communauté des Béatitudes a attiré beaucoup d’artistes en son sein en raison de l’esthétisme émanant de ses chants, de la liturgie inspirée des Bizantins, dans un grand respect du Sacré.
Chaque célébration, chaque Messe, jouissait d’une organisation parfaite, au son de voix magnifiques, et de nombreux instruments. J’ai le souvenir de magnifiques Fête-Dieu, d’entrées du Clergé en la Cathédrale de Lisieux absolument superbes, fortes de tous ces jeunes prêtres de tous les pays, accueillis par des chants quasi célestes.
Le véritable défi aujourd’hui, c’est de pouvoir offrir la beauté de la liturgie, la qualité d’un accueil toujours plus ouvert aux plus démunis, aux plus seuls, la formation pour ceux qui découvrent la présence de Dieu dans leur vie, et qui veulent apprendre à Le mieux connaître, dans les paroisses.
Le véritable renouveau, sera celui où les catholiques ne chercheront plus à se réfugier dans des communautés, où ils ne peineront plus à chercher de prêtres, comme on se fait recommander un bon dentiste, plutôt que de se risquer à aller n’importe où, et lorsque les catholiques reconnaîtront tous la réalité des souffrances qu’ils côtoient souvent sans les voir, pour que les « blessés de la vie » dont parlait Jean-Paul II, n’aillent chercher refuge vers de faux prophètes, ou des guérisseurs…
Les actes qui sont en ces jours jugés, découlent malheureusement d’un leurre : celui de croire que des personnes savent mieux, connaissent mieux le Christ et à qui on donne du pouvoir en raison de leur personnalité, ou de leur aisance à s’exprimer. Et cela ne concerne pas que la Communauté des Béatitudes.
Prions et accueillons tous ceux qui cherchent Dieu, particulièrement ceux qui ont été blessés là où ils croyaient trouver refuge. Que cette triste affaire ne nous fasse pas condamner une communauté parmi d’autres, mais nous aide à prendre conscience de cette foule qui attend qu’on lui annonce le Sauveur…
Enfin, toutes mes prières vont à Solweig, et aux autres victimes.
*Hélène Julien est mère de famille, membre de l’équipe de réinformation de Radio Courtoisie, et « militante pour la Vie ».