Tribune libre de Christian Vanneste*
On a pris l’habitude d’opposer les amateurs et les professionnels. C’est le sport qui a créé cette habitude. Dans cette évolution sémantique, le mot « amateur » n’y a pas gagné. En effet, à l’origine, ce terme est investi positivement par sa racine : un amateur est celui qui aime et chacun sait que l’on touche là une idée, un sentiment qui se trouve au cœur de l’âme humaine. Littré, qui préférait la raison au cœur, l’élève même d’un cran en précisant qu’il y a chez l’amateur, une curiosité intellectuelle qui le pousse à étudier ce qu’il aime. Un amateur de roses ne se contente pas de les aimer au passage, il en connaît les variétés, voire il les collectionne. Le sport a, pendant longtemps, gardé à ce mot toute sa noblesse. Si l’amateur pratique sa discipline avec une technique moins sûre que le professionnel, il est désintéressé et élève sa compétence même parfois défaillante au niveau de l’acte gratuit. Rien n’est plus agréable dans notre cher pays que de voir un petit club « amateur » mettre en difficulté une « grosse » équipe professionnelle. Mais ce plaisir rencontre ses limites : les amateurs sont de moins en moins gratuits et le spectacle exige du talent, de la mise en scène, cette part de brio et de vedettariat qui consacre le « pro ». Alors le mot « amateur » s’est peu à peu chargé d’un sens péjoratif. Il s’est mis à pointer du doigt un manque de maîtrise voire une propension à la maladresse, à désigner le professionnel qui connaît insuffisamment son métier.
Toutefois, il est un domaine, et dans notre pays tout particulièrement, où les deux termes sont indissociables. C’est la politique. L’histoire récente fait apparaître cet étrange phénomène qui exigera des analystes futurs des trésors de perspicacité : plus les politiciens sont des professionnels et plus ils ont des talents d’amateurs. En effet, une grande partie du « personnel politique » se recrute à la sortie des écoles, écoles parfois spécialisées, comme celles qui associent prétentieusement la science et la politique. Le professionnel est embauché par un cabinet parlementaire, ministériel ou carrément présidentiel. Il pourra éventuellement se faire élire, devenir ministre, à moins qu’il ne soit ministre d’abord et élu ensuite. Il aura appris les arcanes du microcosme politicien, connaîtra les détours des sérails de la République, des partis, du millefeuille territorial si riche en niches, qui pour n’être pas fiscales n’en sont pas moins douillettes. Il sera surtout un spécialiste de la communication, de l’agitation médiatique dans un duo avec le journaliste, sorti des mêmes écoles et muni du même prêt-à-penser. N’ayant aucune expérience de la vraie vie, ne possédant aucun des savoir-faire professionnels de la plupart de leurs lecteurs ou électeurs, il va cependant avoir à décider ou à commenter pour eux. Et c’est alors que la mutation s’opère : passant d’une réunion à un studio, d’un sujet à un autre, d’une interview à un communiqué, le professionnel de la politique va multiplier les formules, les petites phrases, les propositions. La conquête du pouvoir lui offre un terrain fertile. Pris dans la tornade enthousiasmante de la campagne, il présente alors le visage de celui qui détient les clés de l’avenir.Il est élu. Et alors, patatras, le voici au travail et le bon peuple s’aperçoit qu’il n’avait rien préparé de manière sérieuse et… professionnelle.
“Je ne me souviens pas, depuis Édouard Balladur, d’un gouvernement qui n’ait fait preuve d’un amateurisme doublé d’outrecuidance.”
On pourrait croire que je vise là uniquement la situation présente et la succession calamiteuse des « couacs », des avancées aussitôt suivies de reculs sur beaucoup de sujets, que je stigmatise l’impréparation évidente d’un gouvernement qui additionne les erreurs idéologiques, les fautes économiques et les hors-sujets sociétaux. Hélas, non. Je ne me souviens pas, depuis Édouard Balladur, d’un gouvernement qui n’ait fait preuve d’un amateurisme doublé d’outrecuidance : Juppé, ce grand professionnel de la politique, qui après deux ans de rupture avec la lutte contre la « fracture sociale » amène la majorité confortable qui le soutenait dans la Bérézina de la dissolution ; Jospin qui hérite d’une victoire inattendue et d’une croissance économique plus prévisible et qui trouve le moyen de planter notre pays avec les 35 heures ; Passons sur Raffarin et Villepin, la proximité érigée en immobilisme à petits pas et l’ego vide et rutilant. Qui se souviendra de la longue vie politique de Chirac, élu sous la bannière gaulliste et de plus en plus « Queuilli » vers la sortie ? Alors vint Sarkozy qui, moins professionnel que d’autres, affirmait régulièrement que la politique est un métier. Élu grâce à ses intuitions de droite qui le distinguent du reste de la classe politique, le voilà qui se croit habile en pratiquant une ouverture à gauche, en écoutant les « visiteurs du soir », les rédacteurs de ces innombrables rapports qui encombrent inutilement les chemins de l’action politique, le voilà qui fait en finassant pendant deux ans ce qu’il devra défaire ensuite. Le tacticien de la cible mobile, malgré de réels progrès, n’aura pas dessiné pour la France la stratégie dont elle avait besoin. Aujourd’hui la France est dirigée par un tandem composé d’un énarque, homme d’appareil et d’un professeur qui depuis longtemps est devenu un professionnel. Autour d’eux, deux groupes : ceux qui viennent du parti, des associations militantes satellites, dont les obsessions idéologiques sont aux antipodes des préoccupations des Français et ceux qui appartiennent à la sphère publique, à cette caste protégée des tempêtes du grand large et soucieuse de préserver ses privilèges.
Quelles solutions ? Il y en a trois : d’abord, redonner du temps aux responsables politiques, en regroupant davantage les élections et en interdisant les cumuls. Ensuite, exiger de ces responsables qu’ils aient exercé une vraie profession dans la « vraie » vie avant de se présenter à une élection, et d’avoir assumé des mandats locaux, insuffisants pour en vivre, mais formateurs, avant d’ambitionner des mandats nationaux. Enfin, laisser le peuple trancher dès lors qu’une question divise par trop les Français, et sans que l’exécutif se sente comptable du résultat : il a assez à faire avec la santé économique du pays et avec sa sécurité. À notre frontière, il y a un pays qui n’est pas éloigné de ce modèle, c’est la Suisse, cette confédération dirigée à la surface par une union nationale et dont le peuple vit la démocratie directe au rythme de ses votations. Ce modèle n’est pas totalement exportable dans notre vieux pays centralisé, mais il serait sage de s’en inspirer.
*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.
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