C’est entendu : comme le disait Camus, il faut être solidaire plutôt que solitaire et comme le propose la morale judéo-chrétienne, « aimer son prochain comme soi-même », selon le précepte inscrit dans le Lévitique. C’est dans le même livre qu’il est encore dit qu’il faut traiter l’étranger qui vient s’installer dans le pays comme s’il était un compatriote, et l’aimer, lui-aussi comme soi-même. Evidemment, ces deux formules, resituées dans l’ensemble du Lévitique, doivent être relativisées. D’abord, parce que l’amour de l’étranger y suppose deux conditions : la réciprocité (les Hébreux ont été des étrangers en Egypte), et le respect des obligations religieuses juives, comme celle de ne pas consommer de sang, sous peine d’être expulsé. Ensuite, parce qu’il s’agit d’étrangers qui s’installent, non d’envahisseurs. Enfin et surtout parce que ce livre est l’un des plus sanguinaires de la Bible : une bonne partie est consacrée aux sacrifices des animaux et la peine de mort y est édictée pour de nombreux interdits sexuels, notamment l’homosexualité. Autrement dit, et avec logique, le prochain est l’autre qui est proche, qui fait partie du groupe, ou qui vient vivre en son sein en se conformant à ses règles. Ce n’est pas le lointain, l’autre en tant qu’autre qu’on aime, non malgré, mais en raison de sa différence. Car cet attrait pour l’altérité risque bien de cacher une détestation de soi et de l’identité issue de la tradition du groupe auquel on appartient parce qu’on lui doit sa culture.
Or, l’amour de l’autre laisse aujourd’hui la place dans le débat public français et plus généralement occidental à un renversement systématique. L’antiracisme ne vise que celui supposé des « blancs » à l’encontre des autres et suscite à force un racisme anti-blanc qui se croit tout permis. C’est ainsi qu’un rappeur noir s’est cru autorisé à appeler à pendre les blancs sous prétexte d’inverser les images, comme s’il était habituel en France de pendre les noirs, même dans des fictions. Les médias lui donnent d’ailleurs la parole pour expliquer le sens de sa créativité. On n’imagine mal la réciproque. De même, le concept « d’islamophobie » a prospéré en venant s’ajouter à toutes les phobies qui expédient, l’air de rien, toute idée conservatrice en psychiatrie. Mais qui oserait méconnaître le droit d’un Français chrétien à devenir musulman, alors que la conversion inverse est interdite dans la majorité des pays obéissant à l’islam, et qu’elle peut être punie de mort ? On tolère aujourd’hui que l’on continue à caricaturer le Pape tandis qu’on s’abstient de blasphémer le prophète musulman, pour ne pas céder à la tentation de s’en prendre à « l’autre ». Lui ne se gène pourtant pas de le faire payer très cher. Il s’en est fallu de peu qu’un autre rappeur, du nom de Médine, auteur de « Jihad » se produise au Bataclan. L’idée que ces références à l’islamisme belliqueux soient une offense aux morts du 13/11/2015 n’a fini par s’imposer que parce quelques parents des victimes ont clamé leur douleur. Ils n’étaient pas la majorité, qui, elle s’interdisait l’amalgame, la généralisation, la désignation du coupable lorsqu’il est un « autre », par essence innocent face à notre culpabilité.
La désignation, même évidente, des coupables peut même transformer en coupable, en abominable délateur raciste, celui qui désigne. Zemmour qui connaît un succès de librairie parce qu’il ose écrire ce que beaucoup pensent à mots couverts, se voit interdire d’antenne de plus en plus souvent, et traîner devant les tribunaux dans la même proportion. Lier la délinquance à l’immigration, dénoncer l’incompatibilité de l’islamisme avec l’assimilation au sein de la République française sont devenus des péchés contre l’amour de l’autre, qui, lui, peut nous haïr à loisir, car il en a le droit, en tant que victime par nature. La colonisation, les crimes de la France coloniale, comme dirait Macron, le chômage et les conditions de vie dans les quartiers sensibles, toutes choses dont nous portons le poids inexcusable, expliquent les statistiques et justifient qu’on ne donne pas les noms ou qu’on passe sous silence les origines des auteurs des rixes entre bandes qui se propagent dans de nombreuses villes à la population remplacée.
Un fait est significatif. Il fut un temps où l’antisémitisme focalisait le rejet de l’autre. Depuis qu’Israël est devenue une nation presque comme les autres, et que les Juifs apparaissent de plus en plus comme des Occidentaux, en dépit d’un moindre désir d’assimilation, si l’on tient compte du nombre des départs vers Israël par exemple, ils se trouvent à nouveau dans le mauvais camp : rejetés non plus parce qu’ils sont autres, mais parce qu’ils sont trop des « nôtres »… blancs, colonisateurs et dominants…. (à suivre)
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