La parenthèse enchantée des JO

La France a été invitée pendant quelques semaines à camper dans la clairière du bonheur, au milieu de la forêt des angoisses, où sont tapis les assassins aux couteaux effilés, les marchands de drogue toujours prêts à dégainer, et la foule bigarrée des nomades en errance, entre le marécage des politiciens affamés de pouvoir et la montagne des soucis des fins de mois difficiles. Le cirque Macron y a dressé son chapiteau, et le spectacle fut réussi. Pas un truand, ni même un coupe-jarret n’y pénétrèrent. Les crapules étaient dans les tribunes pour profiter des attractions. Certes, les surineurs et autres dealers  poursuivirent leurs méfaits, mais à l’ombre des grandes forêts provinciales et au ralenti, en attendant la fin des vacances, quand la maréchaussée mobilisée comme jamais prendrait les siennes.

Les Jeux Olympiques ont ainsi offert une image saisissante de la France, une allégorie de la grande inversion qui frappe notre civilisation. Ils ont offert aux Français une parenthèse enchantée, un spectacle qui les faisait rêver et leur permettait d’oublier ou de nier le réel. Pendant quelques semaines, Paris surveillé, contrôlé, enfermé, barricadé, a connu l’illusion de la sécurité. Beaucoup de Parisiens avaient fui la capitale, le régime liberticide mis en place n’a guère profité au tourisme, mais il a assuré un ordre momentané et que seule une dictature policière peut instaurer au long cours. Comme au casino, le pouvoir a tout joué sur ce coup : il fallait que les JO soient une réussite exceptionnelle pour laquelle on pouvait mobiliser des moyens extraordinaires. Des années de déclin et de honte, une économie aux abois, une sécurité en quenouille, une immigration débondée, une dette explosée, une France déclassée : tout fut effacé pour laisser place à une fierté nationale renaissante, ivre des succès des sportifs tricolores, rengorgée par la beauté de Paris sur Seine, l’éclat des mises en scène, et surtout rassurée sur la puissance et l’efficacité d’un Etat, son dieu qu’elle croyait défaillant. Le président s’est montré tel qu’en lui-même ses mandats l’ont changé : le supposé magicien de la finance est avant tout un entrepreneur de spectacles. Aussi a-t-il parcouru les coulisses des Jeux pour partager la gloire des champions. Sans doute ces plaisirs narcissiques l’emportent chez lui sur les calculs politiques. Pourquoi, grand dieu, n’a-t-il pas dissous l’Assemblée en septembre pour empocher le bénéfice de ce succès ? Le ministre de l’Intérieur, lui, peut trouver dans cette interlude sécuritaire le tremplin pour Matignon et au-delà.

Demain, il faudra retrouver la dureté de la jungle, ses menaces, sa violence, ses guerres et ses crises. La politique du réel y reconnaîtra son vrai territoire et ses paysages authentiques. L’illusion s’y dissipera. Il s’agira de gouverner et non plus d’organiser les fééries d’un royaume décadent. La France devra avoir un gouvernement, assis sur une majorité et capable de conduire une politique cohérente pendant un an au moins, une politique digne de ce nom, c’est-à-dire apte à instaurer les conditions d’une vie digne et heureuse pour les citoyens d’une nation respectable parce que capable de se faire respecter. Les victoires de sportifs parfois formés à l’étranger ne sont pas celles de la France. Elles ne sont que le substitut des défaites enregistrées dans tous les domaines qui font la richesse et la force d’une nation. Les JO n’ont été qu’un gigantesque village Potemkine posé sur les berges de la Seine, et qu’on démontera lorsque l’on cessera de faire semblant de pouvoir s’y baigner. Le coût faramineux de l’assainissement éphémère du fleuve pour que quelques têtes d’affiche politiques puissent y nager, et accessoirement quelques épreuves y a voir lieu, résume assez le sens de ce divertissement national : tout miser pour l’instant et l’artifice au détriment de la durée et de la dure réalité. Comme si les fastes de ce crépuscule d’un pays qui s’effondre ne suffisaient pas pour éveiller l’idée d’une décadence si souvent éclatante et somptueuse dans l’histoire, la parade inaugurale s’en est voulue imprégnée, célébrant la Terreur et Bacchus plutôt que la France éternelle et la civilisation chrétienne auxquelles pourtant on devait la plus grande partie du décor offert au monde. La fierté d’un pays ne peut être bâtie ni sur une parenthèse, ni sur une rupture. Elle doit être fondée sur sa continuité, sur le cours permanent du fleuve au bord duquel elle a pris naissance.

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