A observer la molle agitation des Républicains après des vacances qui les ont mal remis de leur gueule de bois post-électorale, on se rappelle le jugement hélas lucide de Talleyrand sur les émigrés de retour en 1814 : « ils n’ont rien appris, ni rien oublié ». En l’occurrence, le vide doctrinal, la préférence pour l’image trompeuse d’un homme au détriment des idées, les divisions stériles, la surprenante terreur pour un parti de droite d’être jugé conservateur parcourent toujours les allées peu fréquentées des réunions de rentrée républicaines. Celles-ci se disperseront aux quatre coins du pays, les sarkozystes autour de Fasquelle au Touquet, les juppéistes à Arcachon, les fillonistes à La Baule, et le favori de la présidentielle du parti campera à l’intérieur des terres, loin des plages chic. Il réunira ses partisans à Lyon, et gravira le mont Mézenc pour annoncer sa volonté d’être au sommet du parti avant de s’attaquer à d’autres montagnes. Le symbolisme géographique est fort. Le montagnard incarne l’effort et l’endurance, une certaine dureté aussi, alors que l’ambiance des stations balnéaires mondaines appelle la nonchalance et le confortable repos.
Les élections internes de Décembre semblent déjà jouées. Wauquiez devrait être élu sur une ligne plus « droitière ». Les jeux ne semblent pas faits pour la suite. Déjà, les soutiens de Juppé dénoncent la dérive. Bussereau appelle le candidat à ne pas imiter le Sarkozy de l’époque Buisson afin de rassembler. En somme, il lui demande d’oublier que Sarkozy a été élu en 2007 sur cette ligne, a remonté la pente en 2012 grâce à elle et n’a pas obtenu une voix de plus avec l’ouverture à gauche et les signaux envoyés aux groupes de pression « progressistes ». Comme toujours depuis la création de l’UMP, on demande aux militants et sympathisants du RPR qui forment les gros bataillons de suivre les orientations centristes de la caste dirigeante. Le rassemblement est paradoxalement l’alignement de la majorité sur la minorité. Cette stratégie suicidaire est inconsciente d’elle-même. Elle a entraîné quatre conséquences néfastes dont les stratèges ne tiennent aucun compte.
D’abord, elle a amené de plus en plus d’électeurs de droite à voter pour le Front National. Ensuite, elle a empêché toute alliance, même locale, avec ce parti. En troisième lieu, elle a contribué à faire basculer des électeurs et même des élus vers Macron et En Marche, puisqu’ils y trouvaient la modération, le centrisme dont un Fillon était accusé de manquer. Enfin, elle a vidé le mouvement qui rassemblait les gaullistes, les démocrates-chrétiens et les libéraux de tout corps de doctrine. Au lieu d’unir en ajoutant, on a rassemblé en gommant. L’histoire de l’UMP, devenue Les Républicains, est celle d’une implosion. Les gaullistes, identitaires et souverainistes, patriotes en un mot, partisans de l’ordre et de la sécurité, conservateurs, pour tout dire, ont été priés d’être des fédéralistes européens et des progressistes sociétaux au mépris de leur passé. Les Chrétiens-Démocrates, eux, ont été mis à l’écart en raison de leur attachement à la famille traditionnelle et au respect de la vie. Les libéraux ont été à peine mieux traités. Si le parti s’est concentré sur la gestion comptable du pays, il n’a guère mis en oeuvre une révolution qui aurait fait reculer de front la dépense publique, la fiscalité, la réglementation et disparaître les statuts et les privilèges qui encombrent la société française. Or la droite a été majoritaire de 2002 à 2012, et aurait dû l’être depuis 1993, sans la stupidité de ses chefs.
Ceux-ci ont confondu la politique et le commerce. Certes, il faut gagner l’électeur comme on attire le client, étudier l’électorat comme on scrute le marché, mais en ayant toujours à l’esprit que le commerçant vend un produit, qu’il peut habiller d’une idée dans un slogan publicitaire alors que le politique propose avant tout des idées, des valeurs, qui ensuite justifient des mesures. La « droite » française en est restée au commerce. Elle propose des candidats, affublés d’une image et d’un slogan, qui, une fois élus font autre chose, augmentent par exemple les impôts après avoir promis de les baisser. Le drame, c’est qu’à ce jeu, ils ont trouvé meilleur qu’eux. Macron, c’est Octave Mouret et En Marche, c’est le Bonheur des Dames, une opération commerciale qui a réussi en réunissant la clientèle, fatiguée des commerces démodés, autour d’un produit porté par une publicité tapageuse mais dont on soupçonne la qualité frelatée. On comprend la réaction du boutiquier Fasquelle offusqué par le bain de foule d’Emmanuel Macron au Touquet, là-même ou l’ancien maire organise un campus d’été des Républicains. « Concurrence déloyale » semble lâcher celui qui a fondé un mouvement au titre révélateur : « sauvons la droite » . Manifestement, il veut sauver sa vitrine, mais il serait bien en peine de dire ce qui s’y vend. Ce terne personnage a-t-il la moindre idée de ce qu’est la droite ?
Les conservateurs britanniques fournissent un bon exemple de ce que doit être un parti politique. Groupe parlementaire depuis le XVIIe siècle et parti depuis le XIXe, ils sont encore au pouvoir aujourd’hui. Ce qui les caractérise est d’avoir constamment su rassembler les militants et les élus sur la ligne majoritaire. Le virage thatchérien a été assumé. Le choix du « Brexit » par les électeurs alors que le parti était divisé a été, lui aussi, digéré. Cette continuité souple est un modèle que l’UMP a été incapable de copier. Les Républicains vont donc se retrouver avec un Président qui sera accusé par les uns d’imiter le FN, par les autres de manquer de charisme. Beaucoup, qui se réservent pour la suite, en attendant la chute, poursuivront leur carrière d’une élection à l’autre, y compris en faisant un bout de chemin avec Macron, puisque la politique, comme le commerce, c’est un métier.
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