On se demande vraiment à quoi servent la plupart des mandats politiques. Aujourd’hui, il semble qu’il n’y en ait plus qu’un : président de la République. N’importe qui se croit en mesure de l’investir. Le bon sens voudrait que le candidat le plus légitime soit celui qui reçoive l’adhésion d’une majorité des électeurs en raison de son passé, irréprochable, marqué par une expérience nécessaire à l’exercice de la fonction, éventuellement brillant en raison de quelques décisions intelligentes ou courageuses. Il faudrait aussi, surtout qu’il fédère ces soutiens autour d’un projet pour la France. Bref, le candidat devrait avoir un passé et porter un avenir pour le pays qui suscitent la confiance. Manifestement, l’élection qui aura lieu dans quelques mois risque de s’éloigner de cet idéal. Les partis d’un côté, et leurs primaires, les médias de l’autre, vont transformer ce scrutin essentiel en un grand jeu médiatique qui prendra la suite des compétitions sportives internationales sans peut-être susciter le même intérêt.
Actuellement, nous en subissons la phase éliminatoire. La bousculade est énorme. Dans la foule des candidats, peu s’interrogent sur leur capacité à remplir le rôle. Il est vrai que les Français se sont habitués à la médiocrité, et qu’une première pensée titille les partants : » s’il l’a été, pourquoi pas moi ? ». Une seconde idée les anime : » en dehors de cette compétition, on est invisible. Pour exister, il faut donc y participer ». C’est la grande valse des « égo », une valse qui commencera à mille, et finira à deux. Pendant quelques mois, la politique ne sera plus qu’un spectacle, pour le plus grand plaisir du microcosme médiatique, parisien surtout, incapable de s’intéresser à quoi que ce soit de sérieux et de profond pour le pays, mais bavant de plaisir devant les nouveaux produits du « show ». Depuis hier, Macron leur procure cette intense satisfaction. C’est « leur » candidat. Comme un certain Villepin, naguère, il n’a pas fait grand chose, possède un physique plutôt avantageux, se révèle un excellent comédien, très télégénique. Mais, beaucoup mieux que son prédécesseur, parfois campé sur les positions jugées surannées et rigides du gaullisme, la nouvelle coqueluche des médias correspond à l’idéologie floue qui domine la profession. Il est l’antithèse des personnages qui ont des racines au point de paraître avoir un passé même quand ils n’en ont guère. Ce n’est pas l’antédiluvien Martinez et ses moustaches staliniennes arc-bouté sur la lutte des classes, ni la « Marine », dans l’armure de l’identité et de la souveraineté nationales. Non, c’est l’homme du progrès contre les conservatismes. Cette opposition est un classique de la communication dans notre pays, une sorte de mot-de-passe, que Sarkozy, entre autres, a déjà utilisé. Dans le cas présent, cela signifie : en finir avec les blocages sociaux qui pèsent sur notre économie, mais gommer aussi ces survivances désuètes d’un autre âge que sont les frontières et les traditions nationales. L’Europe et la mondialisation sont des chances. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le personnage séduise la nouvelle économie. C’est le candidat de l’ère du vide qui n’évoque les problèmes de société qu’en second après ceux de la production et des échanges. Le fait que l’on ait donné une plus grande place à la démission d’un ministre plutôt qu’au sauvetage difficile des producteurs de lait est un signe. Ils représentent un métier enraciné et menacé. Il est un candidat hors-sol. Le souci qu’il a d’effacer cette caractéristique par des démarches, non par des idées, est révélateur. Pourquoi évoquer Amiens ? Pourquoi aller à Orléans célébrer Jeanne d’Arc ? Pourquoi le Puy-du-Fou aux côtés de Philippe de Villiers ? Lorsqu’il parle de valeurs, il rappelle curieusement les campagnes chiraquiennes des années 1980 : « libres et responsables ». Mais à la fin de son interview sur TF1, le mot essentiel arrive dont il se défend, évidemment : « narcissisme ». Il n’est pas socialiste, il est « lui » à la tête d’un mouvement dont le nom reprend ses initiales.
Il faut être habité par un extraordinaire amour de soi, être poussé par une surévaluation démesurée de son ego, quand on n’a pratiquement rien fait, si ce n’est un passage à l’ENA et un emploi dans une grande banque, avec pour heure de gloire une opération qui l’a enrichi, pour se croire le droit et la possibilité de changer la France. N’exagérons rien. Changer la France est manifestement dans son esprit comme dans celui de Jacques Attali, en faire un pays comme les autres, un terrain vague ouvert au monde, et sur lequel on installe une zone d’activités dynamique. Ce grand destin qui aura occupé les médias quelques jours se réduira à n’être qu’un élément du jeu politique, pour Valls ce que Villepin aura été pour Sarkozy, un concurrent de peu de poids, parce que dénué d’un mandat électoral, d’une expérience d’élu, et du soutien de l’appareil du parti. Il pourra juste troubler quelques électeurs « de droite » à la surface. Le pourra-t-il au point de faciliter un second tour de la Présidentielle entre la gauche et le Front National ? Je ne le crois pas.
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