Aujourd’hui, je vous propose un atelier bricolage !
Je tiens tout de suite à préciser que je ne vais pas vous proposer de réfléchir sur le monde d’après (ou de l’à-peu-près disons) que j’ai déjà évoqué et que, même si en parlant bricolage, on imagine immédiatement Édouard Philippe, Sibeth Ndiaye et Bruno Le Maire en pleine séance de pâte à modeler, il ne s’agira pas ici de politique ou d’économie.
Non, aujourd’hui, c’est bricolage pratique et utile puisque nous allons faire notre masque de protection contre les virus. Rappelons que ces masques réalisés à la maison, s’ils ne filtrent pas trop bien les petits microbes qui voudraient rentrer, ont tout de même l’énorme mérite d’empêcher les postillons qu’on émet ; autrement dit, si on n’évite probablement pas parfaitement d’être contaminé, au moins fait-on un effort statistiquement très significatif en évitant de contaminer les autres. Ce qui explique au passage pourquoi les pays correctement gouvernés ont largement encouragé le port du masque pour tous…
V
Ceci étant posé et même si l’on veut bricoler du masque pour se protéger le museau des miasmes assez peu vivrensemblesques, il n’est pas question de faire n’importe quoi n’importe comment : nous sommes en France, que diable, et il importe donc de réaliser du masque efficace, dont les performances ne pourront être moquées à l’étranger.
Dès lors, le masque, aussi bricolé par des amateurs soit-il, n’en sera pas moins normé.
Et ça tombe bien puisque nous avons en France l’AFNOR, une organisation tout spécialement dédiée à pondre de la norme et à représenter notre grande et belle nation auprès de l’Organisation Internationale de Normalisation (l’ISO), qui s’est déjà chargée de réaliser l’ensemble des plans, des patrons, des recommandations et des points à suivre pour bien faire son masque personnel et s’éviter la bévue sanitaire qui pourrait entraîner ensuite une honte nationale dommageable à tous.
Et il était temps : dans quelques semaines, tout le monde va, déconfinement oblige, se ruer dehors pour retrouver les joies des balades sans but et sans cerfa et le bonheur moite des transports en commun forcément propres et peu bondés, distanciation sociale oblige. Or, soyons francs : comme le gouvernement est assez clairement infoutu de fournir un masque à tous ses citoyens, qu’il a même consciencieusement tout fait pour s’en empêcher, on en vient une fois encore au système D composé pour moitié d’instructions éparses et contradictoires fournies par nos autorités entre deux caquètements, et pour moitié de moyens du bords rassemblés au petit bonheur la chance par les bonnes volontés heureusement tenues loin des griffes administratives jamais en manque d’une interdiction idiote.
C’est pourquoi l’AFNOR n’a pas lésiné sur les efforts afin de produire un petit fascicule percutant de pertinence et de droit-au-butisme pour bien tout expliquer des tenants et des aboutissants du masque moderne, comme on le comprend très vite en parcourant, d’un doigt décidé et d’un oeil hagard attentif les 36 pages d’explications permettant de réaliser un « masque aux normes ».
Oui, vous avez bien lu : trente-six pages semblent nécessaires pour bien comprendre toute l’ampleur du bricolage dans lequel on veut se lancer, qui a tout de même reçu un numéro officiel, « Afnor SPEC S76-001 ».
Certes, ces 36 pages comprennent un sommaire dodu (sur deux pages) et, facétieuse trouvaille, un petit édito du directeur général qui nous permet, en plus de découvrir son nom et sa trombine, de bien expliquer l’histoire du document, ainsi qu’un avant-propos insistant tout de même sur le fait que « la responsabilité des signataires [du document] ne saurait être engagée à quelque titre que ce soit ». Ainsi, au contraire de vous avec votre masque bricolé maison, sachez que l’AFNOR ne prend aucun gant pour expliquer ne prendre aucun risque.
D’ailleurs, le fait que vous vous lanciez ainsi dans un exercice sous votre entière responsabilité est clairement rappelé quelques pages plus loin (page 14), où on vous rappellera de bien indiquer sur votre réalisation qu’il s’agit d’un truc d’amateur, de branleur non professionnel de la masquerie, du dilettante de la protection faciale facile et plus précisément, il vous faudra indiquer, sur le masque lui-même (en le brodant s’il le faut) :
« Ce dispositif n’est ni un dispositif médical au sens du Règlement UE/2017/745 (masques chirurgicaux), ni un équipement de protection individuelle au sens du Règlement UE/2016/425 (masques filtrants de type FFP2). »
Eh oui. Au pays de la norme, la rigolade est millimétrée.
Et comme je vous sens chaud patate pour aller voir le document, voici comment procéder : par le truchement habile d’un petit formulaire – oh, un formulaire ! – que vous devrez remplir en un unique exemplaire sans besoin d’un coup de tampon « certifié conforme » et qu’on peut presque entendre dire « papier siouplait » quand la page s’ouvre, vous pourrez accéder au téléchargement du document bourratif normatif, ici.
Attention, petit internaute : ne clique pas trop souvent sur ce lien où tu risques de te faire pincer très fort ne plus pouvoir décharger le Guide Pour Faire Ton Masque Aux Normes ! Tu arriverais en effet à saturer les capacités du serveur qui afficherait alors ceci :
Eh oui : l’octet normalisé AFNOR est compté. C’est un bien de luxe, avec une limite dans l’usage pour en garantir la fraîcheur et le nombre de bits (toujours à huit, rigoureusement vérifié par l’ensemble des chaînes qualité de l’organisation) et dont la production est assurée par un serveur bio élevé en liberté, ce qui explique qu’on puisse, parfois, en atteindre les plafonds.
Une fois le document compulsé et les instructions suivies, vous découvrirez à quel point se mettre un bout de tissus normé sur le groin relève de la gageure que tout bon Français se devra de relever. Ou vous pourrez aussi vous rouler en boule sous la table et pleurer.
S’il n’est bien sûr pas aberrant que l’AFNOR produise de la norme (c’est exactement son cœur de métier), on peut cependant regretter un nouvel exemple de cette perte de contact avec cette réalité tangible et terriblement terre-à-terre qui occupe les Français. Comme bien trop souvent dans tout ce qui semble agiter les associations, institutions et autres organismes officiels ou semi-officiels de la République, il semble qu’on ait largement fait passer l’accessoire, les mentions légales et autres nuages procéduriers avant l’indispensable.
Ce serait un peu ce qui coule le pays que ça ne m’étonnerait pas… On se prend à rêver d’une organisation efficace qui, en trois ou quatre dessins basiques, aurait décrit les quelques étapes essentielles pour réaliser un masque raisonnablement efficace.
On pourra à ce titre se moquer de nos amis canadiens qui ont eu le toupet de mettre en ligne une page web unique qui revient à fournir des instructions pour un résultat tangible en quelques lignes et quelques schémas : on n’y trouve ni formulaire d’inscription, ni le nom du directeur général des services en charge de cette réalisation ; il n’y a semble-t-il aucun avant-propos ni sommaire détaillé, ni définition des termes qu’on pourrait avoir l’audace d’employer ici ou là.
Quelle déchéance, n’est-ce pas ?
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