Je suis égoïste

Tribune libre

Ce n’est pas que j’en sois particulièrement fier mais c’est la vérité – et j’aime la vérité. Alors oui, je suis égoïste. Je pense d’abord à mon intérêt propre, à celui de ma femme, de mes enfants, de mes amis avant d’envisager celui qui est supposé être général – quelque soit la définition que vous voulez bien lui donner. Je vis, avant toute chose, pour moi-même et pour celles et ceux qui me sont chers. Vos classes sociales, races, religions ou nations m’indiffèrent pour l’essentiel et passeront au mieux au second plan de mes préoccupations. J’ai, au fonds de ma petite personne, le sentiment profondément ancré que, si ma vie a bien eu un début, elle aura aussi une fin : dans le laps de temps qui m’est impartit, j’ai bien l’intention d’en profiter.

Je veux vivre. Je veux aimer, créer, faire et réussir. Je veux offrir la meilleures des vies possibles à ces cinq êtres humains qui composent ma famille la plus proche et je veux le faire par mes propres moyens. Ça aussi, c’est important : je refuse obstinément et jusqu’à un point qui relève de l’obsession de devoir quoi que ce soit à qui que ce soit : ce que j’ai, je l’ai gagné ; ce que je n’ai pas, je ne l’ai pas mérité. Appelez ça de la fierté ou de l’obstination. Peu importe le nom qu’on lui donne.

Je suis égoïste et je n’en ai pas honte. Je n’en suis pas fier – je l’ai dit plus haut – mais je n’en ai pas honte. C’est peut être que vous et moi n’avons pas la même définition de ce mot : pour moi, être égoïste ne signifie pas que je me fiche du sort de mes semblables [1]. Pas du tout. Seulement, ma solidarité et ma générosité ne s’appliquent pas de manière égale à tous. Par exemple, pour mon ami Karim, qui est jordanien et musulman, je crois que je serais prêt à tout. J’aime ce type : il a ce mélange d’intelligence brillante, de simplicité et d’humanité vraie qui font que certains de mes semblables, à mes yeux, valent plus que d’autres. En revanche, être solidaire d’un Jean-Luc Mélenchon ou d’une Marine le Pen, pardon, mais c’est trop me demander. Ces deux là, de mon point de vue, sont les représentants de la lie de l’humanité, des nuisibles dont les idées, les motifs et les moyens ne m’inspirent que du dégoût. Oh, je ne dis pas que s’ils se noyaient j’appuierais sur leurs têtes mais, franchement, j’hésiterais à leur porter secours.

C’est que je n’ais pas non plus la même définition de solidarité et de générosité que vous. Pour moi, l’un comme l’autre ne peuvent être que des actes volontaires, un choix individuel qui me pousse, respectivement, à unir mon sort à l’un de mes semblables ou à lui venir en aide lorsque sa situation me touche. Dans ma vision des choses, être solidaire c’est un pacte entre individus libres et consentants, c’est – comme au temps des premières mutuelles ouvrières – ce que font des gens qui veulent lier leurs destins et faire cause commune face aux aléas de la vie. Dans ma vision des choses, la générosité c’est un don, gratuit et unilatéral ; une main tendue que saisira un autre homme libre et pour laquelle vous n’attendez pas d’autre récompense qu’un « merci. »

Mais lorsque la solidarité ou la générosité deviennent des obligations – quelles soient religieuses, légales ou les deux – elles ne méritent plus de porter ces noms. Lorsque la solidarité et la générosité consistent à me prendre de force le fruit de mon travail pour le reverser à des individus qui n’ont absolument rien fait pour mériter que je leur vienne en aide et qui, de surcroît, n’éprouvent pour moi que mépris et ressentiments… Pardon, mais je ne suis pas « solidaire. » Je suis égoïste. Ce que vous appelez solidarité ou générosité, je l’appelle « vol légal. » Oxymore ? Seulement si vous pensez que, par définition, tout ce que fait un gouvernent est légal [2]. C’est le droit naturel contre le droit positif – vous devrez me pardonner de penser que le premier prévaudra toujours sur le second.

Oui, je suis égoïste. Je suis égoïste parce que je porte en moi cette conviction que ma vie n’appartient qu’à moi, que je suis un individu bien avant d’être un rouage de vos grands ensembles abstraits. Je refuse que quiconque vive à mes dépens comme je refuse de vivre aux crochets de que qui que ce soit, je ne veux pas de vos protections obligatoires que vous m’imposez comme le ferait une vulgaire mafia, je rejette de toutes mes forces votre pseudo-générosité et votre fausse solidarité ; cette condition avilissante dans laquelle votre « modèle social » veut m’enfermer : celle qui me laisse le choix entre être le salaud qu’il faut tondre et l’assisté qui devra mendier sa subsistance dans vos administrations.

J’entends d’ici votre vertueuse indignation.

Je suis égoïste mais vous l’êtes autant que moi. À cette différence près que vous êtes hypocrites de surcroît. Combien, parmi vous, de vertueux hauts fonctionnaires qui clament avoir « le service public chevillé au corps » et n’hésite pas, dans leur propre intérêt, à utiliser leur position pour s’attribuer avantages indus, passe-droits et autres menus services de leurs collègues ? Combien d’élus, garants de l’intérêt général, qui, non contents d’être payés grassement fraudent, usent et abusent de leurs pouvoir et de leur influence à des fins purement personnelles ? Combien de syndiqués qui défilent chaque premier mai en réclamant des « avancées sociales » qui, de toute évidence, n’ont pas d’autre objet que d’améliorer leurs situations individuelles aux dépens des autres ? Combien de bénéficiaires des aides sociales qui appellent à la solidarité tout en filtrant les appels de Pôle Emploi ? Combien de « Français de souche » qui se drapent dans un patriotisme résistant pour réclamer qu’on leur reverse les allocations touchées par ceux qu’ils jugent trop bronzés ? Combien de généreux bobos des beaux quartiers qui votent pour plus de redistribution alors qu’eux-mêmes excellent dans l’art subtil de l’évasion fiscale ? Combien de dirigeants de nos grandes entreprises qui, au nom l’intérêt supérieur de la France, arrondissent leurs fins d’années en négociant protections douanières et commandes publiques dans l’antichambre des ministères ?

L’hypocrisie. Voilà de quoi votre système est malade. La dure réalité, c’est qu’à une égratignure à peine sous le vernis de votre universalisme mielleux pour les uns, de votre patriotisme tapageur pour les autres et de votre générosité redistributrice pour tous, se cache votre nature humaine ; laquelle n’est certainement pas meilleure que la mienne. Vous êtes aussi égoïstes que moi mais vous préférez avancer masqués, cacher vos objectifs personnels sous de grands mots – « justice sociale », « identité nationale », que sais-je – tout en veillant à exploiter le système qui en résulte au mieux de vos intérêts. Parlez-moi donc de morale !

D’ailleurs, vous observerez avec moi que vos héros politiques – qui sont, bien entendu, si vertueux et désintéressés que vous n’hésiteriez pas à leur confier encore plus de pouvoirs qu’ils n’en ont déjà – l’ont bien compris : à droite comme à gauche on rivalise de promesses de cadeaux, confiseries et autres caresses pour mieux s’attirer vos faveur printanières. Retraites, salaires, services « gratuits » [3]… Tout y passe. Qui va payer ? Les autres bien sûr ! Tenez, par exemple, les « riches » (comprendre les plus riches que vous), les marchés financiers, les entreprises étrangères… Bref, tout ce qui cumule le double avantage d’avoir de l’argent et peu de poids électoral. Et vous ? Vous applaudissez : le vol légal a toujours beaucoup de succès auprès de ceux qui pensent être du bon coté du fusil.

Oh, je sais que vous avez tout un arsenal de justifications pour colorer l’entreprise de justice, de solidarité et autres faux-semblants. Les riches sont des exploiteurs capitalistes, les marchés financiers sont responsables de la crise, les entreprises étrangères désindustrialisent la France… On a les convictions de ses intérêts et quand on ne les a pas, on les invente. Mais à la fin de l’histoire, seuls face à vous-mêmes, vous devrez bien admettre que votre véritable motivation, le véritable moteur de votre action, de votre choix de société, de votre choix politique… se trouve en face de vous.

Alors moi qui suis égoïste mais qui refuse de cautionner cette société de pillage et de mensonge, je n’irais pas voter ou je voterais blanc ou nul – c’est à voir. Quoiqu’il en soit, je n’apporterais mon suffrage à aucun de vos héros : j’ai trop de respect pour l’idée de la démocratie pour accepter de me livrer à cette farce sinistre. Je suis mon propre royaume et je réclame le droit de me gouverner moi-même.

> le blog de Georges Kaplan


[1] Note aux électeurs des fronts : par « mes semblables », j’entends les homo sapiens – peu importe leur origines ethniques, tailles, religions, poids, classes, nationalités, appartenances politiques et autres groupes dans lesquels vous aimez les classer.
[2] À ce propos, l’auteur de ces mots souhaite éviter le point Godwin ; il vous appelle néanmoins à réfléchir quelques instants sur cette phrase.
[3] Allons, combien d’entre vous pensent que la Sécu ou l’Éducation Nationale sont des services gratuits ?

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