Le spectacle donné par l’Assemblée Générale des Nations Unies était renversant. Un quart de siècle après l’effondrement du bloc soviétique, une quinzaine d’années après la double apogée des Etats-Unis, à la fois détenteur unique de la puissance militaire dans le monde, mais champion et martyr de la démocratie face au terrorisme, Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie est venu donner une leçon aux « occidentaux », une quadruple leçon. D’abord, non sans malignité, il a rappelé l’Histoire : la rencontre dans « son » pays, en Crimée, à Yalta des Alliés contre Hitler pour construire la paix, nécessairement sur des compromis entre Etats différents. Ce rappel l’a amené à la géopolitique pour souligner les dangers de l’exclusivisme, l’opportunité de reconnaître les différences, de ne pas vouloir imposer un modèle unique de société. Le Président russe a fait ensuite de la morale en dénonçant l’hypocrisie de ceux qui ont suscité et aidé le mécontentement populaire à se transformer en révolution violente menée par des extrémistes. Il a clairement pointé le soutien apporté aux terroristes par le biais d’armes et de formations qui transitent par de prétendus « modérés ». « Comprenez-vous ce que vous avez fait ? » a-t-il lancé et tout le monde a compris effectivement qu’il invitait les Américains, les Anglais, et les Français à la contrition pour leurs interventions en Irak et en Libye. Leçon de droit, encore, à propos de ce pays : la Russie, la Chine, l’Allemagne aussi s’étaient abstenues lors du vote de la Résolution 1973, permettant d’instaurer une Zone d’exclusion aérienne pour protéger les populations. Elle a été violée puisque l’intervention des Alliés visait l’élimination de Kadhafi en appuyant l’action des rebelles. De même, il a souhaité que soient appliqués en Ukraine les accords de Minsk afin de faire cesser les tensions à l’Est de l’Europe et de permettre aux habitants du Donbass de retrouver la paix. Enfin, il a fait un cours de démocratie. Ne nommant ni les pays ni les personnes, il s’adressait surtout aux Américains et aux Français. Pour qui a écouté le Président Hollande parler du peuple syrien comme s’il l’avait sondé, la mise au point était sévère. Ne décidez pas de l’avenir des peuples à leur place !
Le discours de Poutine était celui de la sagesse, du réalisme, du bon sens, de la responsabilité, aux antipodes d’un Nikita Krouchtchev frappant sur son pupitre avec sa chaussure ! Plus respectueux que lui de la Charte de l’ONU, ça n’existe pas. Face à l’Europe submergée par les victimes de la guerre, l’action la plus utile serait de restaurer la paix en s’unissant contre l’Etat islamique et en soutenant ceux qui sont seuls à se battre contre lui, les Kurdes et les troupes de l’Etat syrien légitime. Les musulmans doivent être pleinement associés à la lutte contre ce péril qui les menace en premier lieu. Vladimir Poutine qui vient d’inaugurer une impressionnante mosquée dans sa capitale n’a pas hésité à interpeller les autorités spirituelles de l’islam pour qu’elles se prononcent avec force contre ceux qui dénaturent leur foi. Il a déploré ce qui divise inutilement les nations, comme la permanence de l’Otan, alors que le Pacte de Varsovie a disparu. Empruntant avec talent les voies du politiquement correct, le Président russe a plaidé pour l’ouverture des échanges économiques, la fin des sanctions unilatérales, et… pour la mobilisation contre le réchauffement climatique. Poutine et le Pape François sur la même ligne !
Bien sûr ce discours destiné au monde avait une cible : Barack Obama et à travers lui la politique d’ingérence menée par les Etats-Unis au détriment des peuples, plus malheureux qu’avant les interventions pour importer la démocratie et qui ont déstabilisé les Etats. Cet esprit « gaullien » est un terrible signal pour les Français. Le Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-Moon a cité les cinq pays qui détiennent la solution de la crise : les Etats-Unis, la Russie, la Turquie, l’Iran, et l’Arabie saoudite. La France n’en fait pas partie. Quelle chute depuis que les responsables français ont quitté les voies du gaullisme, même lorsqu’ils osent s’en réclamer ! Le 14 Mars 2003, Dominique de Villepin au Conseil de Sécurité mettait en garde contre une action militaire en Irak. Sans « complaisance envers Saddam Hussein », il prévoyait des conséquences lourdes pour les hommes, la région et la stabilité internationale. Cette clairvoyance qui avait précédé l’annonce d’un veto de la France par Jacques Chirac a été malheureusement abandonnée par Nicolas Sarkozy lorsque celui-ci, après avoir reçu Kadhafi, comme il accueillera plus tard Bachar Al-Assad, fit entrer en jeu les forces aériennes françaises contre les troupes du dictateur libyen. La mosaïque tribale libyenne traversée par des courants salafistes n’y a pas résisté. Le chaos installé dans ce pays riche permet à des organisations terroristes, comme daesh, d’y prendre pied, et aux passeurs d’y prospérer. Dans l’indifférence générale, notre Président actuel s’est singularisé par un entêtement dans l’erreur. Il est le dernier à croire à l’existence d’une opposition et à une alternative modérées en Syrie. Il imagine un peuple syrien face à un dictateur haï, alors que la situation est infiniment plus complexe. Son intervention à l’Onu a été un réquisitoire superflu et obsolète contre un dictateur soutenu à l’intérieur comme à l’extérieur et qui résiste à un ennemi beaucoup plus effrayant. On ne peut associer le bourreau et sa victime a-t-il déclaré, mais le jour même on apprenait que la famille de Ghaïs, un militaire syrien décapité, portait plainte contre son bourreau « français », membre de l’Etat islamique. Bachar Al-Assad disait récemment que plus personne ne prenait la France au sérieux. On comprend hélas pourquoi.
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