Entre deux sorties en “motomarine” autour de Brégençon, M. Macron a profité de la commémoration du débarquement en Provence pour débarquer à son tour sur un sol où il est étranger, celui de l’Histoire. Dans une imitation laborieuse de Churchill et sur un ton artificiellement théâtral, mais avec une pointe légère de Pétain pour rappeler aux Français de ne pas céder à la facilité, ce passager clandestin dans l’histoire de France a osé demander aux Français d’”accepter de payer le prix de la liberté et de nos valeurs ».
On n’insistera pas sur l’absence de légitimité d’un tel discours. Cet énarque et éphémère banquier, dénué de toute expérience en géopolitique, ne fait évidemment pas le poids ni par rapport au premier ministre britannique qui fut le premier résistant lucide face à Hitler, ni même face à Poutine qui dirige la Russie depuis plus de vingt ans. La nullité de son action alors qu’il était l’un des garants des accords de Minsk, le désastre consommé de sa politique africaine, ses embardées historiques toujours truffées de repentance nationale le disqualifient pour donner des leçons qui ne sont que des exercices de théâtrocratie comme dirait Maffesoli. Qu’il se contente de “communiquer” sans le moindre résultat tangible en téléphonant au président russe ne sert qu’à sa promotion personnelle comme l’a prouvé l’indiscrétion commise à cet égard en dévoilant un passage soigneusement sélectionné de ces échanges.
Dans sa rhétorique surjouée, notre acteur national a usé de deux mots essentiels : “liberté” et “valeurs”. Laissons le second, lieu commun politicien démonétisé par un emploi d’autant plus abondant qu’il n’est jamais défini avec précision. On se contentera du premier, une valeur inscrite dans notre devise nationale, mais dont il faut vérifier l’emploi. La liberté politique est d’abord celle des citoyens français en tant qu’individus, qui se décline au pluriel comme la capacité de penser, de s’exprimer, de se réunir, de fonder une famille, d’agir, d’entreprendre, de posséder, d’aller et de venir dans le respect de la loi et sans nuire à la liberté des autres. Montesquieu notait que la première liberté chez un citoyen est la sûreté, c’est-à-dire la protection par rapport à l’arbitraire du pouvoir ou à la violence d’autrui. Ajoutons qu’on voit mal comment cette liberté des individus pourrait subsister sans que l’Etat chargé de la garantir soit lui-même libre, donc indépendant et souverain. Il est manifeste que la Russie n’a ni l’ambition ni les moyens de s’en prendre à la liberté des Français. Elle peut seulement leur rendre la vie plus difficile si le gouvernement français continue à lui faire la guerre par procuration en Ukraine. Toute ressemblance avec les années 30 est trompeuse. Poutine n’a nullement l’intention d’imposer l’impérialisme russe aux Européens. Il veut seulement que son pays retrouve dans le concert des nations la place que sa taille, sa population, les richesses naturelles dont il dispose, son niveau culturel, scientifique, industriel, économique lui permettent de revendiquer et qu’il a occupée entre le XVIIIe siècle et la fin du XXe siècle. La stratégie américaine s’y oppose par tous les moyens depuis la chute de l’URSS. Cette dernière menaçait le monde libre de la soumission à une idéologie totalitaire soutenue par un impérialisme d’Etat. Jusque dans les années 1980, il y avait à l’ouest de l’Europe des nations dont les citoyens avaient conquis une liberté sans précédent malgré dans plusieurs pays le poids d’un parti communiste puissant affilié à Moscou, et de l’autre côté du rideau de fer, des peuples écrasés par une tyrannie s’appuyant sur le parti, la police politique, le goulag, un endoctrinement et une répression d’autant plus inacceptables que les buts du système s’éloignaient de jour en jour. Les dissidents, Soljenitsyne en particulier, avaient ouvert les yeux des Occidentaux, bien timorés face à cet enfer, et qui avaient, par exemple, laissé martyriser la révolte hongroise de 1956 sans sourciller. Il n’y a rien de commun entre la situation actuelle et cette époque : les Russes sont toujours patriotes, mais ne sont plus communistes. Ils ont accepté l’éclatement de l’Urss tant que l’Occident ne s’empressait pas de retourner les anciens alliés, puis les anciennes provinces de la Russie contre elle jusqu’à menacer de faire de l’une des plus vieilles “Russies”, l’Ukraine, un voisin hostile, puissamment armé, et menaçant de près ses centres vitaux. Une partie importante des Ukrainiens de l’Est du pays sont russophones et votaient pour le parti prorusse jusqu’au coup d’Etat organisé en 2014 par la CIA. Leur liberté est aussi menacée que celle des Ukrainiens de l’Ouest antirusses. Seule une solution fédérale que Kiev n’a pas acceptée et que Macron n’a pas défendue, présentait une solution. La liberté n’est donc pas la valeur d’un camp plutôt que celui de l’autre. Le vote de la Crimée en faveur de la Russie a été clair.
Par ailleurs, la liberté des Français n’est pas en cause dans cette affaire, sauf qu’à force de suivre aveuglément la stratégie américaine relayée par l’UE et l’Otan, la France perd son indépendance, et le peuple français la capacité de s’opposer à la politique des oligarchies nationales et supranationales qui s’imposent à lui. La France arme l’Ukraine, l’Union Européenne, la Commission de Bruxelles en l’occurrence, dénuée de toute légitimité dans ce domaine entend fournir des armes et offrir des formations militaires à l’Ukraine. Sous la férule de Washington, plusieurs vagues de sanctions ont été décidées pour ruiner la Russie et l’obliger à plier le genou. Celles-ci se retournent contre l’Europe privée du complément indispensable de son immense voisin dont les ressources naturelles sont gigantesques. L’idée de ne plus importer par gazoduc le gaz naturel russe et de le remplacer par du gaz de schiste américain, liquéfié et transporté par mer, est la plus loufoque qui soit. Elle dément tout souci économique ou écologique qui étaient censés être les priorités européennes, et cela pour la “liberté” d’un peuple soumis à l’une des oligarchies les plus corrompues de la planète que la famille Biden connaît de près.
Cette absurdité habillée de mots pompeux par notre grand bavard national est d’autant plus choquante qu’aujourd’hui, c’est dans nos sociétés occidentales, “démocratiques” que la liberté est menacée de l’intérieur, non par l’idéologie venue de Russie, mais souvent par celle venue des Etats-Unis et qui prend la forme d’une haine de soi suicidaire. La première liberté qu’un peuple doit défendre c’est celle de son existence. L’Ukraine n’a jamais vraiment existé avant 1991. La France est millénaire. Or, lorsque les décisions prises par la France sont celles voulues par les Etats-Unis et leurs relais dénués de légitimité démocratique, c’est la liberté collective des Français qui recule. Lorsque le changement de population en France introduit des normes culturelles étrangères qui deviennent dominantes dans une partie grandissante du pays, lorsque l’insécurité et la violence s’accroissent, c’est encore la liberté des Français qui s’efface. Lorsque des thèmes, des concepts, des normes sont privilégiés dans l’information et la formation en lien avec le wokisme venu de l’autre côté de l’Atlantique, avec pour but et pour effet de détruire les valeurs de notre civilisation en les retournant, lorsque leur contestation légitime est interdite voire criminalisée, c’est la liberté de penser et de s’exprimer qui est niée. La boucle est alors bouclée : l’idéologie destructrice n’est plus à l’est mais à l’ouest. Comme celle qui régnait sous Staline avec Lyssenko qui contestait la génétique au nom du marxisme, l’idéologie conquérante en Occident privilégie les fausses sciences, la sociologie des “genres” au détriment de la réalité biologique des sexes. Avec un entrain délirant, elle en vient à affirmer cette contradiction flagrante qui signe sa nullité intellectuelle : on est libre de choisir son “sexe”, mais on n’est pas libre de choisir son “genre”. Comme si le caprice était déterminant et la nature arbitraire !
Franchement est-ce cette liberté, cet infect brouet d’idées confuses qui précipitent notre décadence que nous devons défendre, et en plus chez les autres ?