Valls a globalement réussi ce qui était pour lui la semaine de tous les dangers. En étant applaudi par une salle debout à la fin de l’université d’été du PS, il a franchi le dernier portique du slalom géant. Ce n’était pas gagné. Montebourg, c’est dans sa nature, à force de mépriser Hollande, avait ignoré Valls. Erreur fatale ! Ce dernier n’attendait que cela pour éliminer un gêneur qui se croyait incontournable en raison de son score aux primaires. Mais Montebourg a décidément tort de dédaigner le capital, qui s’épuise, si on ne le renouvelle pas. A peine la gauche du PS était-elle douchée par le renvoi sine die du fringant avocat bourguignon que Valls la prenait à rebrousse-poil devant le MEDEF, avec un « j’aime les entreprises » sacrilège. On s’attendait à l’explosion. Certes, les frondeurs ont fait un baroud d’honneur en se réunissant la veille de la venue du Premier Ministre et en déversant un flot de critiques sur le changement de cap, mais en sa présence, la tempête annoncée s’est réduite à une petite houle de sifflets couverts par les applaudissements.
La tactique a été habile : une qualité qui ne pouvait être prêtée à la gauche depuis longtemps ! D’abord, Valls assume son réalisme économique, son « blairisme » disent certains, en oubliant que Blair n’a pas fait entrer le Royaume-Uni dans l’Euroland. Simplement, il fait comprendre que la lutte des classes est finie depuis belle lurette, et que ce n’est pas en décourageant les entrepreneurs qu’on allait créer des emplois. Son « réalisme » n’a donc rien de génial. Il ne peut étonner qu’un pays habitué à ce que les socialistes viennent périodiquement le couler avec des idées stupides délaissées partout ailleurs depuis des décennies. Elles n’ont encore cours en France qu’en raison de l’idéologie dominante, notamment dans les médias, chez ces journalistes qui votent très majoritairement à gauche, et à cause de l’ignorance criminelle du microcosme politique à l’égard de l’économie et de l’entreprise. On ne devrait jamais confier une Ferrari à quelqu’un qui n’a fait que du vélo dans son jardin. Mais Valls a aussitôt compensé cette saillie par quatre manoeuvres d’équilibre. D’abord, si le gouvernement doit s’adapter à la réalité économique, il ne lâche rien sur les questions sociétales. La présence de Mme Taubira dans l’équipe ministérielle et à la réunion des frondeurs est une caution pour la gauche idéologique. C’est, en prime, un chiffon rouge pour la droite, ce qui fait toujours plaisir au public, se dit notre Catalan, amateurs de corridas. Rôle identique pour Najat Valaud-Belkacem. En second lieu, un pont trop loin avait été lancé sur les 35 heures par le nouveau Ministre de l’Economie, ancien banquier et néanmoins socialiste. Valls a clairement rappelé qu’il n’était pas question de toucher au tabou. En troisième lieu, il a affiché sa fidélité à François Hollande. Merveilleux moyen d’affirmer son sens de l’Etat et de la dignité politique. Merveilleux moyen aussi de devenir le vrai chef, le Richelieu, à la fin de la journée des dupes… Enfin et surtout, par la vigueur de son discours, il a fait sentir chez ces socialistes qu’il dit aimer, le parfum d’une victoire possible, une odeur qu’il commençaient à oublier. Les militants et même les élus se soucient moins des idées, de la qualité des hommes ou des programmes que de la perspective de gagner.
Tout ceci éveille des souvenirs. Un Ministre de l’Intérieur, ferme sur la sécurité, apte à faire croire au sérieux de son action dans ce domaine ? Un homme politique prêt à s’ouvrir à l’autre camp, à la gauche pour l’un, au MEDEF, pour l’autre ? Un Ministre qui fait lancer des brûlots par d’autres, pour les couler ensuite, l’utilisation de l’ADN, par exemple, pour vérifier les liens de parenté entre immigrés ou les 35 heures ? Un chef dont l’énergie oratoire réveille l’espoir des troupes ? Vous avez trouvé : Valls est le clone de Sarkozy, un Sarkozy de gauche. Et le Catalan comme le fils de Hongrois ont la même idée : déboulonner un Corrézien, que ça doit quand même agacer. Malheureusement, au-delà de la qualité du spectacle et du talent des acteurs, cette représentation en boucle est-elle salutaire pour le pays ? Quels sont les résultats concrets qui en découlent ? Sarkozy n’a pas été Thatcher. Valls n’est ni Blair, ni Schröder. Faute de réformes suffisantes et conduites à temps, elle n’a, malgré ses atouts, ni les résultats de l’Allemagne, ni ceux du Royaume-Uni. Il ne faut pas confondre l’action et la gesticulation.
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