La Syrie, un domino résistant

L’impasse tragique du Moyen-Orient confirme, jour après jour, l’incapacité des dirigeants des grandes démocraties à conduire une politique cohérente et efficace sur le plan international. L’entre-deux guerres l’avait montré : une politique dont les décisions sont encombrées par les calculs politiciens internes, l’instabilité gouvernementale et parfois d’obscures sources de financement étranger, est impuissante parce qu’elle ne vise pas un but unique qui formellement ne peut-être que l’intérêt de la Nation dont on assure la conduite. L’affrontement Est-Ouest avait clarifié les enjeux et les choix. Toutefois, en 1975, l’Empire du Mal avait pris le dessus : se maintenant par la force, à Berlin, Budapest ou Prague, il avait collectionné les ralliements sur les décombres des empires coloniaux français ou portugais. Deux présidents américains avaient innové intelligemment : Nixon en enfonçant un coin dans le bloc ennemi par la reconnaissance de la Chine. Reagan en osant employer les moyens de l’adversaire par le soutien à la guérilla afghane. Le premier, certainement l’un des meilleurs présidents, est tombé trop vite dans une sombre affaire de politique intérieure. Les mandats de Ford et de Carter ont correspondu à la débâcle américaine. Il reste que la Chine est devenue une grande puissance au point de menacer les équilibres de l’Afrique au Pacifique.

La situation au Moyen-Orient est le résultat explosif des politiques contradictoires menées par les puissances dites occidentales dans cette région du monde. Le Royaume-Uni, par la Déclaration Balfour, avait en 1917 approuvé la naissance d’un foyer national juif en Palestine. Cela ne concordait guère avec les engagements pris auprès des Hachémites en vue de créer un royaume national arabe dont il ne subsistera que l’Irak et la Transjordanie. Lors du vote du Plan de partage de la Palestine à l’ONU, les Britanniques s’abstiendront. Trois des cinq pays qui attaquèrent Israël étaient leurs alliés. 65 ans et cinq ou six guerres plus tard, Israël qui a grandi et s’est renforcé n’est toujours pas reconnu par la plupart des pays arabes. La division et l’instabilité de ceux-ci, s’ils procurent un répit à l’État hébreu, n’assurent pas une solution à long terme. Son soutien le plus fidèle et le plus déterminant est venu des États-Unis. Mais, là encore, l’alliance avec les djihadistes en Afghanistan, avec le soutien de l’armée et des services secrets pakistanais d’une part, et l’appui des moyens considérables de pays du Golfe liés au fondamentalisme musulman, d’autre part, a réveillé un islam militant et conquérant qui déteste le monde occidental et suscite son rejet jusqu’en son propre sein chez des immigrés ou des convertis. Entre 50 et 80 Français feraient le djihad en Syrie.  À la fin des années 70, le monde arabe était encore lisible : il y avait les monarchies pro-occidentales, les dictatures plus ou moins nationalistes, militaires et corrompues que l’Occident avait ramenées dans son giron, et il y avait les dictatures nationalistes et socialistes, notamment les deux appuyées sur le parti Baas (Syrie et Irak), qui étaient proches du bloc soviétique.

“La situation au Moyen-Orient est devenue totalement illisible.”

Deux guerres d’Irak plus tard, la situation est devenue totalement illisible. Le fantasme de créer une démocratie occidentale en Irak, en raison de la richesse du pays et de l’existence d’une classe moyenne (?) s’est évanoui, dans un pays divisé entre des Kurdes qui ont réalisé leur autonomie, des chiites majoritaires et qui prennent leur revanche, et des sunnites, frustrés du pouvoir et parcourus par les courants extrémistes. Des attentats ont lieu constamment ( 800 victimes au mois de Juillet). À la frontière, l’Iran chiite, proche des Russes qui assurent une certaine continuité avec les Soviétiques, et peut-être demain puissance nucléaire est aux aguets. Le printemps arabe a soufflé et a soulevé de nouvelles illusions occidentales sur le développement de la démocratie : plusieurs dictatures vermoulues se sont effondrées, par la révolution ou par la guerre. Mais sur les ruines d’un nationalisme arabe plus ou moins faisandé, ce n’est pas la démocratie fondée sur les Droits de l’Homme, chère à BHL, qui est apparue mais des régimes marqués par l’islamisme et tendant vers l’application de la charia. Cette régression, notamment dans des pays ouverts au tourisme, et comprenant comme l’Égypte de fortes minorités religieuses, a provoqué des mouvements contre-révolutionnaires qui s’opposent au pouvoir teinté d’islamisme sorti des urnes. Assassinats et manifestations en Tunisie, coup d’État militaire en Égypte, éclatement de fait et anarchie en Libye : le bilan est désastreux. Les dominos tombent dans le sens inverse.

Pendant ce temps, depuis plus de deux ans, le domino qui devait tomber en quelques semaines pour s’ouvrir, lui aussi à l’aube radieuse de la démocratie, la Syrie, résiste et vit un cauchemar : 100 000 morts ! El-Assad, son armée, le Hezbollah, et en seconde ligne, ses alliés iranien et russe semblent même prendre l’avantage. Après la ville de Qoussair, c’est le quartier de Khaldiyé à Homs qui, reconquis, rétablissent la liaison entre Damas et le bastion Alaouïte du littoral. Les rebelles ont un visage présentable avec le Président du CNS, Ahmed Jarba qui annonce un gouvernement provisoire pour l’après Aïd-el-Fitr, mais les éléments les plus actifs sur le terrain sont les djihadistes. Personne ne pourra empêcher qu’ils ne bénéficient des livraisons d’armes qu’envisagent les Occidentaux. Depuis un an, 28 tonnes d’armes ont déjà été livrées à partir de la Libye, par l’entremise du Qatar. L’expérience des dominos précédents, le caractère illusoire du printemps démocratique, les souffrances du peuple syrien, les menaces que font peser les djihadistes sur les chrétiens, avec ce jésuite, pourtant anti-Assad, et ces deux évêques orthodoxes, enlevés devraient inciter les Occidentaux et la Turquie à susciter le retrait négocié des milices rebelles. Le gouvernement Assad a créé un ministère de la réconciliation nationale. Il ne perd pas, mais il est épuisé, et ce sont les Syriens qui paient le prix de nos illusions.

Lire aussi :
> Syrie | Des centaines de rebelles recherchent une amnistie

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17 Comments

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  • 0 / 10
  • scaletrans , 2 août 2013 @ 11 h 44 min

    Pourquoi ne pas mettre votre pseudo au singulier, car il me semble qu’il ne concerne que vous ici…
    M. Desvignes dit avec raison que la France est le dernier obstacle à la mondialisation. Il aurait simplement du ajouter qu’elle est le dernier obstacle CULTUREL, et c’est la principale raison du remplacement de population auquel il est procédé depuis trente ans. La France est en effet la plus vieille nation Européenne, en fait une des plus vieilles nations du monde avec la Chine, dont l’unification et le périmètre actuels ne sont guère plus anciens que les nôtres. Un patrimoine culturel, historique, monumental qui n’a son équivalent nulle part au monde, cela marque les esprits, malgré les attentats contre l’intelligence perpétrés dans l’EdNat depuis 68. Ajoutez à cela un environnement paysager également unique par sa beauté et sa diversité, qui faisait dire aux Germains “heureux comme Dieu en France”, et la conclusion vient toute seule.
    La guerre civile dont tous les ingrédients sont mis en place par nos dirigeants pour le compte de leurs maîtres, opposera des groupes qui n’ont pas conscience d’avoir un seul ennemi commun.

  • Théophilos , 2 août 2013 @ 13 h 13 min

    “La Syrie un domino résistant”

    Voici un article qui aurait pu être plus humain et moins froid, pragmatique et sans cœur. Il parle d’un drame de tout un peuple pacifique et laborieux et que l’on contraint à s’expatrier,
    à vivre le désert Jordanien, le camp de concentration Ottoman ou le camp improvisé des
    Libanais, dont certains sont heureux de voir les Syriens en détresse.

    L’écrivain parle de 100.000 morts comme s’il parlait d’un simple accident sur l’autoroute
    de France vers les délices des vacances sur le littoral de la côte d’Azur. Un minimum de
    cœur et de solidarité aurait donné une âme aux souffrances des orphelins et des veuves.

    L’auteur parle de l’Empire du Mal comme si l’Empire d’en face était tout dévouement, bonté et amour du prochain, oubliant les 40 interventions armées à travers le monde depuis 1945.

    Quant aux dires que “La situation au Moyen-Orient est le résultat explosif des politiques contradictoires menées par puissances occidentales…” il semble que c’est la face claire et lumineuse de l’article et l’Ecrivain aurait dû concentrer toute sa verve dessus, tout en se rappelant que sans les effets néfastes de la Déclaration de 1917, l’Orient n’aurait pas eu besoin de quérir à lURSS de l’armer et Nasser ne se serait pas jeté dans leur giron pour construire sa digue d’Assouan…

    “La situation du Moyen-Orient est devenu totalement illisible” à cause de l’incohérence de la politique Occidentale, à cause du cynisme et de l’hypocrisie des dirigeants de ce monde et surtout à cause des intérêts géopolitiques et stratégiques de tous… Il a été dit : “La terre de Syrie a un âme et celui qui la possède, aura les clés de l’Orient en main.”

    L’on se demande : pourquoi les extrémistes poussent comme des champignons en Syrie?
    Tous les pays veulent s’en débarrasser ailleurs, en Syrie par exemple, aussi ils les aident, ils les arment, ils les subventionnent et certains les entraînent aussi.
    Tous veulent détruire la Syrie, parce que indocile et résistante à leurs dictats.
    Tous veulent se débarrasser de l’excédent de leur vieil arsenal pour en produire un autre.
    Tous ambitionnent une partie de la tarte pétrogazière, ou au moins de son acheminement.

    Si le peuple syrien souffre la faim, le soif, le froid et les épidémies, n’est-ce pas à cause de cette guerre injuste et dévastatrice, n’est-ce pas à cause du boycott économique voulu
    pour mettre à genoux un peuple fier de sa souveraineté, n’est-ce pas à cause de l’usage des deux poids et deux mesures: “il y a des extrémistes sympathiques et d’autres le sont un peu moins”, n’est-ce pas parce la justice n’est pas de ce monde?…

    Avant cette guerre voulue et programmée, depuis de longues années, jamais un Syrien n’a vécu la misère du réfugié… jamais un Syrien n’a fait naufrage face à Lampedusa… Jamais un Syrien n’a été pris en Occident pour vol, viol, trafique de drogue, ou pose d’explosif…

    Quant à la démocratie fondé sur les Droits de l’Homme, chère à BHL, qu’il me soit permis de rappeler les droits bafoués des refugiés Palestiniens depuis plus de 65 ans.

    Pour terminer, tous les Syriens seraient heureux que le nouveau Chef de la coalition soit “présentable” comme dit l’article… mais attendons les résultats.

    Pour terminer son article, l’auteur souhaite la fin de ce drame humain, mentionnant les deux Evêques kidnappés depuis le 23.4.2013 sans que personne ne soit à connaissance de leur sort. Ne serait-il pas plus logique que l’Auteur souhaite que l’on mette fin à ce drame en fermant tout simplement les robinets des armes, celui du soutien financier, celui médiatique et moral…
    Un Etat souverain mérite plus de respect. Un peuple endolori a besoin de plus de charité…

    Merci pour l’attention et la patience.

  • Francis NERI , 2 août 2013 @ 18 h 39 min

    “La même cause produit les mêmes effets. Très abominables. Très prévisibles. Chez eux, comme chez nous demain.”
    “Il n’y a plus de pilote dans l’avion. Il n’y a plus d’avion non plus. Les « machins » ne fonctionnent plus, ou en trompe-l’oeil.”

    “L’impasse tragique du Moyen-Orient confirme, jour après jour, l’incapacité des dirigeants des grandes démocraties à conduire une politique cohérente et efficace sur le plan international.”
    Tout est dit dés la première phrase, inutile d’aller plus loin. Tout est dit depuis très longtemps. Le monde souffre d’une insuffisance de régulation et de contrôle. En gros, c’est flagrant depuis les années 70 avec la “révolution de mai 68” comme point de repère.
    Les Etats sont restés des systèmes « auto-organisés », indépendants, poursuivants leurs objectifs propres et réagissant aux actions des uns et des autres.
    La lutte des parties en compétition pour le pouvoir, les matières premières, les territoires etc. ne permet pas de maintenir un certain équilibre, cela sonne l’échec et la mort des systèmes à auto-organisation car ils sont confrontés à des défis qu’ils sont INCAPABLES de surmonter.
    Bref pour ce qui nous concerne, nous Français, l’UE n’est pas parvenue à constituer un vaste Etat fédéral et ne peut y parvenir compte tenu de ce qui précède. Il ne faut donc pas penser que les « choses » vont s’arranger sur le plan de la gouvernance mondiale.
    La réponse est simple, il faut renoncer à cette forme d’UE et de mondialisation. Pour ce qui concerne la France, introduire ou réintroduire de la régulation, du contrôle et de la sanction aux niveaux d’organisation efficaces (subsidiarité) en rétablissant un Etat fort et central aux pouvoirs régaliens effectifs.
    C’est le projet politique de Marine Le PEN !
    C’est la raison pour laquelle j’y adhère.

  • zaven , 3 août 2013 @ 8 h 55 min

    Encore une fois la DESINFORMATION est à la une:
    Assad a toujours protégé son peuple : toutes religion et sensibilité confondue
    Seule la propagande occidentale “bien veillante” l’accuse de tous les maux et surtout il fait la guerre aux extrêmistes qui veullent la fin de l’occident
    Otez le voile qui masque la vérité , messieurs les journalistes

  • asina_asinam_fricat , 3 août 2013 @ 12 h 17 min

    Monsieur Francois (sans cette belle cédille si uniquement française pardon francaise) : pardonnez-moi, je ne voulais pas provoquer cette aggravation thymique , disons que je retire sincèrement mon trait d’humour :
    est-ce que cela vous suffit ?

  • asina_asinam_fricat , 3 août 2013 @ 13 h 25 min

    1° sur les pseudos
    Vous amoureux éperdu de la France (ce que je respecte) pourquoi avoir collé un mot anglais qui veut dire “échelle” avec un préfixe latin qui veut dire “à travers” ?
    M. Desvignes a lui un pseudo au pluriel contrairement à Delavigne qui serait singulier.
    Vous avez fait une faute en version latine (traduction latin -> français, dans l’autre sens cela s’appelle un thème) : pour le vérifier prenez votre gros Gaffiot dictionnaire indispensable des latinistes qui se respectent, cherchez vers a s i n … puis le verbe fricare (infinitif) ; pour raccourci vous trouverez sans doute l’adage originel dans les pages roses d’un Larousse .
    Enfin les Asinés sont des animaux à présent prouvés plutôt intelligents mais susceptibles, fantasques voire têtus selon la légende : votre insulte maladroite est insusceptible de m’atteindre.

    2° sur l’estime historique envers la France
    Vous avez bien raison et je la partage globalement pour les richesses enviables du territoire, des patrimoines admirables, des capacités passées d’assimilation interne et d’influence externe.
    Mais l’affection oblige-t-elle à la schématisation ?
    Par exemple le Saint Empire Romain était principalement germanique quoique partiellement francophone (langue française non unifiée).
    D’autre part le royaume issu des Francs a survécu de justesse semble-t-il grâce à l’exploit psychologique d’une Pucelle qui a guéri une démoralisation des troupes et leurs élites . Or le royaume anglo-normand qui était à deux doigts de l’emporter avait TOUS SES DIRIGEANTS qui étaient francophones et dominaient quelques petits millions d’anglophones sous-cultivés, avec beaucoup d’élites françaises de l’ouest et sud-ouest se sentant français avec la couronne de Londres francophone (“Dieu et mon droit”, Honni soit qui mal y pense”, etc…). Le très grand Alfred Sauvy dans une étude “De la rumeur à l’Histoire” considère qu’en cas d’amalgame anglo-franco-normand sans Jeanne d’Arc, c’est la composante française très majoritaire et de qualité très supérieure qui l’aurait mécaniquement emporté. La populace anglaise (sauf gallois et écossais) aurait adopté le français , et toujours selon Sauvy aujourd’hui c’est le français qui dominerait au nord du Rio Bravo (USA + Canada) : elle serait pas plus belle ainsi, la France ?
    Alfred Sauvy génial polytechnicien, déjà conseiller ministériel dès 1935, EST l’inventeur de la nouvelle politique familiale d’abord frileusement abordée par Blum, prolongée par Daladier puis par Pétain et portée à son apogée par Gaulle avec le succès que l’on sait. Le très catholique Pr Jacques Bichot a donné d’intenses éloges à son égard, certains consultables en ligne (je précise cela pour amener une petite “odeur de sainteté”).

    3° contre la mondialisation-indifférenciation
    Je partage un certain degré de consternation sur cette tendance qui efface la richesse des diversités. Je voudrais bien que l’histoire à venir vous donne raison sur un rôle de résistance décisive qui viendrait de France. Simplement je ne vois pas comment une stratégie nostalgiste basée sur un particularisme à la fois religieux et ultra-nationaliste pourrait s’exporter dans une majorité des consciences du monde.
    Que vous le vouliez ou non (volens nolens en latin), si la partie se déroule sur un nouveau champ on ne la gagnera pas dans un vieux donjon armorié. La France puis la Pologne l’ont expérimenté en n’opposant que des poitrines, du béton et des chevaux face au système 2D tanks+avions.
    Sun-Tsu puis par la suite d’autres penseurs de l’affrontement ont dit que la première défaite à éviter est de se tromper d’adversaire. C’est si bien intégré par les nouvelles oligarchies que précisément tout est orchestré pour rendre l’adversaire insaisissable à l’identification. Le diagnostic est posé mais votre proposition de traitement, s’il vous sert d’analgésique à votre douleur morale (que je respecte), n’a aucune chance d’avoir un SMR (service médical rendu) à l’échelle où se disputent les enjeux.

  • François Desvignes , 4 août 2013 @ 3 h 59 min

    Vous excellez dans le détail…

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