Comme prévu, la plupart des médias fébriles se bousculent près des fontaines municipales ou dans les maisons de retraite pour suivre l’actualité météo au plus près de la palpitance du moment. Et pendant que ceux-ci sont en train d’interroger une infirmière, broc d’eau à la main, pour bien comprendre l’importance de l’hydratation par 35° à l’ombre, d’autres, plus finauds, se bousculent au Conseil européen pour se tenir au courant de la fièvre grecque qui secoue actuellement l’Europe.
Moyennant quoi, il n’y a plus personne au bastingage pour observer les écueils, ce qui augmente logiquement la probabilité de se les prendre, ni pour évaluer les dégâts causés par ceux qui sont déjà venus s’enficher dans la coque. En clair, pendant qu’on regarde les îles grecques s’enfoncer dans les sables mouvants d’une dette gluante et les dirigeants européens hésiter entre la corde et le billot, deux autres pays semblent presque se bousculer l’un l’autre pour savoir lequel des deux serait le prochain à sauter dans le marigot putride.
Dans ce couple infernal, il y a bien sûr l’Italie.
Avec 60 millions de ressortissants, l’Italie représente plus de cinq fois la Grèce, et même si ce pays dispose d’un PIB rondelet s’établissant à près de 2000 milliards d’euros, il accumule une dette publique inquiétante autour de 132% de son PIB et qui, si l’on prend en compte les dettes des entreprises et de la population, s’élève à 259% du PIB. Avec un déficit budgétaire de 3% et un chômage tournant autour de 12.5% depuis le début de l’année sans vouloir faire mine de baisser, la situation n’est absolument pas folichonne. Si l’on compare à la Grèce, il y a même tout lieu de s’inquiéter, ce qui explique peut-être la prudence diplomatique de Matteo Renzi, le premier ministre Italien, dans ses déclarations vis-à-vis de la situation grecque, se sachant sans doute épié par une Allemagne de plus en plus nerveuse.
La seule donnée un peu rassurante qui joue actuellement en faveur du normalement bouillant pays méditerranéen est son excédent budgétaire primaire (avant service de la dette). Déjà à 1,9% en 2013, il est encore positif en 2014 à 1,6%. Autrement dit, même si c’est de façon modeste, l’Italie rembourse effectivement ses dettes.
Ce qui nous amène à l’autre larron du couple infernal, la France.
Très comparable à l’Italie en ce que le pays compte 65 millions d’habitants, et un PIB tournant autour de 2500 milliards d’euros, sa dette totale grimpe tout de même à 98% de son PIB qui, s’il nous prenait comme pour l’Italie la fantaisie d’inclure les dettes des entreprises et de la population, atteindrait 280% de son PIB… Ceci n’est guère rassurant, tout comme le déficit budgétaire qui continue de se situer régulièrement bien au-dessus des 3% normalement acceptés (4% en 2014), et comme son taux de chômage, là encore non seulement élevé (à plus de 10%), mais en constante augmentation depuis trois ans, au grand dam d’un Ministre du Chômage parfaitement inutile.
Plus inquiétant encore, là où l’Italie affiche des excédents primaires, la France essaie de cacher assez piteusement des déficits primaires de 1.7% en 2014 (2% en 2013). En 2015, le pays en affichera encore un, d’environ 31,5 milliards d’euros, soit environ 10% de son budget (sachons vivre), ce qui montre assez bien l’étendue de la cavalerie en cours : depuis au moins 1995, on s’endette pour payer des dettes, seule l’année 2006 ayant connu un excédent primaire.
Or, si ce constat pouvait déjà être fait il y a quelques semaines, avec l’actuelle crise grecque, plus personne ne semble regarder les petits voyants de l’économie française qui clignotent tous, et pas en vert. Ce qui explique l’apathie presque totale de la presse nationale lorsqu’on apprend que cette dette publique s’est encore envolée (encore !) au premier trimestre 2015, avec 51,6 milliards d’euros ajoutés au tonneau des Danaïdes libellé « France », dont 37,1 pour la dette de l’État, le reste se répartissant entre les belles œuvres de notre Sécurité Sociale et celles de nos Régions et collectivités territoriales, qui, pour rappel, se plaignent bruyamment du resserrement progressif des gros robinets d’argent public.
Pas de doute : l’austérité continue donc de frapper durement la France par son absence complète. Pire encore : non seulement, la dette augmente, mais encore en plus trouve-t-elle la force de le faire plus rapidement que dans les autres pays de la zone euro. Quand on aime, on ne compte pas, je suppose.
À l’aune de ces chiffres et de cette trajectoire qui montre, au passage, que la France est, bien avant la Googlecar, le premier véhicule réellement sans pilote depuis plusieurs années (comme le prouve du reste un câble diplomatique de 2012), on ne peut qu’être particulièrement inquiets des déclarations tonitruantes du stand-up comique qui nous tient lieu de président. Ainsi, pour lui, « Ranacrindre » de ce qui se passe en Grèce : peu importe qu’à bien y regarder, tout ce qui s’y passe soit une réduction d’un facteur 5, environ, de ce qu’on connaît en France ; même si là-bas, ça se passe mal, chez nous, c’est différent. L’impétrant, pas gêné pour un rond de saucisson, prétend même que « la France est plus robuste qu’il y a quatre ans » avec un aplomb que seul un hypocrite chimiquement pur peut se permettre.
Et le plus beau de toute cette lacrymale histoire, c’est que tant la France que l’Italie parviennent à ces contre-performances alors que la politique monétaire de la BCE est particulièrement accommodante. Si l’on n’oublie pas que tout se déroule actuellement avec des prix énergétiques tirés vers le bas par un pétrole très bon marché, on comprend que le moindre retournement de tendance, même modeste, aura immédiatement un impact désastreux sur ces deux économies en réalité fort fragiles.
Pire encore pour le cas français, les taux extrêmement bas dont elle profite lors de ses émissions d’emprunts ont complètement anesthésié l’ensemble des emprunteurs institutionnels du pays (que ce soit l’État, les collectivités territoriales diverses ou les caisses de sécurité sociale) qui n’ont plus aucune notion de la valeur réelle de ce qu’ils contractent. À la moindre bourrasque, à la moindre remontée un tantinet sensible des taux d’intérêts des OAT françaises, l’addition passera de salée à insoutenable. On a vu que cela peut arriver très vite.
Avec une telle dette, avec une telle trajectoire, franchement, la faillite grecque était courue d’avance. Avec une telle dette, avec une telle trajectoire, que croyez-vous qu’il puisse arriver à la France ?
> H16 anime un blog.
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